Amadou Hott, le ministre de l’économie, du plan et de la coopération du Sénégal
Le nouveau cadre législatif des partenariats public-privé adopté au Sénégal devrait inspirer les pays d’Afrique subsaharienne. Un mécanisme plus fluide, qui permet les projets émanant du secteur privé, créateur de richesse et d’emplois, peut servir d’exemple.
Le Sénégal a fait le choix d’utiliser l’investissement public comme amorce de son rebond économique. Pour accompagner cette stratégie, il est primordial d’accélérer les investissements privés, d’où la réforme de la loi-cadre relative aux PPP (Partenariats public privé). Il faut que les projets en attente soient sécurisés et lancés tout en s’assurant de leur soutenabilité sur la durée.
Dès son origine, la réforme financée par la Banque mondiale à travers le fonds PPIAF s’est voulue inclusive ; elle repose sur des consultations avec tous les acteurs intéressés de près ou de loin par le PPP.
L’opérationnalisation des PPP et la nécessité de créer un cadre juridique sécurisé, flexible et innovant sont essentielles pour attirer et conserver les investisseurs locaux ou étrangers. Le Sénégal devait réinventer le socle sur lequel viendraient se greffer des PPP pertinents, essentiels pour la création de richesses et d’emplois. En effet, le Plan d’actions prioritaires avait montré ses limites juridiques et institutionnelles en peinant à séduire les investissements privés.
La nouvelle loi adoptée par l’Assemblée Nationale le 22 février 2021 s’applique à quasiment tous les secteurs dits classiques. Toutefois, certains secteurs sensibles tels que les mines, les télécommunications, l’énergie, la sécurité ou la défense sont exclus de son champ d’application.
Un flou persiste quant à la spécificité des offres d’initiatives privées (unsollicited bids) qui remplacent désormais les offres spontanées en leur donnant un meilleur encadrement. De par leur nature unilatérale, ces offres ne découlent pas d’une publication d’un quelconque avis et l’applicabilité de la nouvelle loi n’est pas expressément précisée. Toutefois, le bon sens et l’esprit de la loi prévaudront sans doute lors de la publication des dispositions réglementaires à venir.
Une autorité morale et technique
Alors que la loi de 2014 prévoyait trois conditions pour déclencher l’utilisation des contrats de PPP, la réforme de 2021 réduit ce seuil à deux conditions. Qui sont la complexité du projet rendant l’autorité contractante incapable de l’assumer seule ; tandis que les caractéristiques propres au projet doivent faire en sorte que le recours au PPP soit plus pertinent que les contrats publics de droit commun.
Cette rationalisation se poursuit par la suppression du Comité national d’appui aux PPP et du Conseil des infrastructures, deux poids lourds rendus incapables de suivre le rythme des courses à la croissance économique. Un comité interministériel valide désormais le recours aux contrats de PPP et assure le rôle central précédemment joué par la Primature.
Une souplesse supplémentaire est aussi apportée dans la durée prévue pour les contrats de PPP. La réforme permet d’apprécier la nature des services requis, le calendrier nécessaire à la réalisation des objectifs et les engagements de performance, notions dépassant largement les seuls critères liés aux durées d’amortissements et des modes de financements précédemment retenus.
La nouvelle Unité nationale d’appui aux PPP (UNAPPP) soutiendra toutes les autorités contractantes, de l’État jusqu’aux entités publiques et les collectivités territoriales. Cette unité composée d’experts multisectoriels soutiendra les autorités contractantes dans la négociation, la préparation, la conception des projets et dans la structuration du financement. Bien que l’avis de l’UNAPPP ne soit que consultatif car sujet à validation par deux ministères distincts, nous pouvons espérer que les opinions données serviront d’autorité morale et technique à défaut d’être juridiquement contraignantes.
Aussi, l’introduction d’un contrôle a priori des projets afin de s’assurer de leur adéquation par rapport aux attentes de la population est une résolution qui devrait apporter un certain dynamisme dans la sélection des projets. Pour autant, il faudra garder en tête que ce contrôle peut être un goulot d’étranglement pré-contractuel favorisant la corruption. Une préoccupation similaire peut être suscitée vis-à-vis des dispositions relatives à la finalisation des termes du contrat.
Le diable se cachant toujours dans les détails, il sera impératif de redoubler d’efforts, par voie réglementaire, pour qu’une bonne gouvernance soit institutionnalisée et que des rule-based mechanisms soient vite élaborés. Au-delà des procédures de droit commun d’appel d’offres à une étape, précédée ou non d’une préqualification et celles à deux étapes, obligatoirement précédées de pré-qualifications, la nouvelle loi fait de la place pour des régimes particuliers.
Éviter les procédures inutiles
Souvent, les unsollicited bids sont perçus comme des portes ouvertes à des projets taillés sur mesure pour favoriser des prestataires spécifiques ; tandis que persiste la perception qu’ils font obstacle à la transparence et à la libre concurrence. Pourtant, ces initiatives reflètent le caractère innovant et entrepreneurial attendu des investisseurs privés. Là encore, un arbitrage transparent et sur des critères prédéfinis pourrait instaurer une confiance et une sagesse nécessaires à l’appréciation sincère de ces offres.
L’introduction du concept nouveau d’accord-programme permet quant à lui de conclure une convention destinée à fixer, tout ou partie, des modalités applicables aux contrats PPP relatifs à des projets de même nature sur une période donnée. L’accord-programme permettra donc d’éviter la duplication de procédures contreproductives.
Bien que la nouvelle loi-cadre insiste sur une égalité de traitement accordée aux candidats, elle introduit aussi la possibilité de favoriser le secteur privé national, voire local. Cette discrimination positive est politiquement essentielle car elle permet aux entrepreneurs locaux de se positionner face aux géants de la mondialisation.
Il faut quand même garder en tête que les projets favorisant les entrepreneurs locaux sont souvent exclus des financements internationaux car considérés comme contraires à la libre concurrence. La nouvelle loi apporte une certaine souplesse et une agilité en laissant le soin aux dispositions réglementaires, plus aisément modifiables, d’en fixer les seuils.
La réforme de 2021 innove également en précisant que les contrats de PPP ne peuvent être aliénés qu’avec l’accord préalable des autorités contractantes qui apprécieront au cas par cas que les concessionnaires aient la capacité financière, technique et les garanties nécessaires.
Un pas vers le Guichet unique
La nouvelle loi prévoit en outre que l’organe existant chargé de la régulation des marchés publics serait désormais aussi compétent pour la régulation et l’audit périodique durant l’exécution des contrats de PPP. Bien que l’expertise spécifique requise pour les PPP ne soit pas parfaitement la même que pour les autres marchés publics et qu’il faudra une période de transition nécessaire au perfectionnement de l’organe, on ne peut qu’approuver le pas supplémentaire vers le Guichet unique.
D’autre part, le règlement des différends concernant les procédures de passation du contrat de PPP est désormais porté par écrit devant le représentant légal de l’autorité contractante, comme un recours administratif, et ce préalablement à tous recours contentieux.
Par contre, dans le cas des litiges liés à l’exécution ou à la résiliation des contrats, un comité de règlement des différends constitué au sein même de l’organe de régulation des PPP est compétent pour tenter de faire aboutir une procédure amiable. Cette action précède un éventuel recours devant les tribunaux judiciaires ou les instances arbitrales comme la Cour commune de Justice et d’arbitrage, conformément aux engagements pris à Maurice en 1993 lors de la signature du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Avec l’adoption de cette nouvelle loi, le Sénégal opère une réforme majeure d’un pilier essentiel dans la promotion de son attractivité. Cette réforme ambitieuse a été menée avec une intelligence politique remarquable.
Comme souvent, le succès d’un programme, aussi visionnaire soit-il, repose sur le choix des hommes sélectionnés pour conduire les réformes structurelles et dans le choix des autres hommes qui mettront ces réformes en actions au quotidien.
Ces choix ne sont pas des tâches aisées mais elles constituent la base de tout progrès inclusif, nécessaire à l’émancipation de la population. On le voit, le développement économique d’un pays peut souvent s’opérer avec ingéniosité, sans vider les caisses du Trésor public ni en creusant davantage la dette publique.
(Source : African Business)