Par: Mayacine MBAYE, Spécialiste en financement du système de santé et de la protection sociale en France
Dès sa prise de fonction, le président de la République du Sénégal a déclaré la guerre au coût de la vie excessivement élevé dans le pays. En effet, suite au conseil des ministres tenu le 24 avril, le vainqueur de l’élection présidentielle a instruit le gouvernement de lui fournir – avant le 15 mai – un Plan d’urgence opérationnel de lutte contre la vie chère destiné à soulager les populations grâce à l’adoption de mesures immédiates de réduction du coût de la vie avec un focus sur le prix des biens de consommation de première nécessité.
Différents facteurs influent fortement sur la hausse effrénée du coût de la vie au Sénégal. Ces facteurs sont de nature endogène (i) et exogène (ii). Ainsi, afin de réduire cette forte tension pesant sur les ménages et les entreprises, des réponses rapides à court et moyen terme peuvent être apportées par les nouvelles autorités étatiques (iii). Ces mesures nécessitent du courage politique mais aussi de l’intelligence économique et fiscale.
- Les facteurs exogènes :
Les sénégalais subissent de plein fouet -comme la plupart des pays gros importateurs – la forte inflation résultant principalement de la situation géopolitique mondiale. En 2022, le taux d’inflation enregistrée au Sénégal s’est établit à un peu moins de 10% (9,7% d’après l’ANSD soit une évolution de 7.5 points par rapport à l’année précédente). Les facteurs exogènes constituent la conjoncture économique mondiale subie par les pays indépendamment de leur volonté politique à maintenir une évolution stable et contrôlée des prix. Cependant, force est de constater que l’inflation est une situation structurelle et non conjoncturelle comme le penseraient certains. Les fortes variations des prix poussent les autorités financières à mettre en place des politiques anti-inflationnistes. Ces dernières n’ont pas vocation à faire baisser les prix et les ramener à leur niveau initial, mais visent à trouver des solutions permettant leur stabilisation. Ces politiques consistent, pour le cas de la BCE et de la BCEAO, à augmenter leur taux directeur. La conséquence de cette opération est de ralentir le niveau de consommation des ménages et des entreprises. Or de tels politiques sont, de facto, défavorables à la création d’emplois et de richesses.
D’autre part, la balance commerciale du Sénégal est déficitaire car le pays importe beaucoup plus qu’il n’exporte et ne produise. Concrètement, le déficit commercial du Sénégal s’établissait en 2022 à environ 4.000 milliards ( -3 986 milliards de FCFA selon l’ANSD). Par conséquent, il subit assez fortement :
– L’explosion des prix des matières premières : Le Sénégal dépend fortement des importations de matières premières telles que le pétrole, les céréales et le riz qui est le produit le plus consommé dans le pays. Les variations dernièrement enregistrées des prix mondiaux des matières premières entraînent une augmentation substantielle des coûts de production et de transport. En effet, le coût du transport maritime a plus que doublé du fait d’une modification de la relation entre l’offre et la demande (une disponibilité de services qui est largement inférieure au besoin exprimé) faisant suite à l’arrêt quasi total du transport maritime lors de la crise sanitaire du COVID 19 en 2020 et au confinement de la population mondiale découlant de l’application des stratégies de riposte à la pandémie et de protection sanitaire des populations. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette augmentation se répercute systématiquement sur le panier quotidien des ménages ainsi que sur les charges des entreprises.
– Les conflits : les tensions géopolitiques mondiales ont perturbé les marchés et entraîné une hausse des prix des produits de base tel que le blé suite à la surprenante attaque russe à son voisin Ukrainien. Les deux pays produisent le tiers du blé mondial soit 29% de la production. A cela s’ajoute la lutte contre l’inflation qui se traduit par la hausse des taux directeurs au niveau de la Banque centrale freinant fortement la consommation des ménages et des entreprises.
– Politiques monétaires : La crise de l’inflation en Europe n’épargne pas le Sénégal. Les politiques monétaires menées par la Banque centrale Européenne ont un impact sur les économies de l’UEMOA car le franc CFA étant arrimé à l’Euro. Ces choix peuvent limiter la capacité des pays comme le Sénégal à répondre efficacement aux chocs économiques du moment. Cet arrimage fixe à l’Euro permet certes une certaine stabilité monétaire et un « pseudo-contrôle » de l’inflation, mission confiée à la BCEAO, mais ne favorise pas la compétitivité de l’économie sénégalaise qui reste tributaire des humeurs de l’économie de la zone Euro.
II- Les facteurs endogènes :
La cherté de la vie et, par ricochet, la perte du pouvoir d’achat des sénégalais sont des réalités perceptibles sur toute l’étendue du territoire national. Néanmoins, elles sont ressenties différemment selon que l’on vit dans les grandes agglomérations urbaines comme Dakar ou dans le reste du pays essentiellement composé du monde rural. Il n’est pas superflu de rappeler à ce niveau que les différentes stratégies et politiques de correction des iniquités territoriales à travers des plans d’aménagement devant assurer un développement harmonieux des territoires n’ont pas réussi à effacer la macrocéphalie de la région de Dakar qui concentre toujours la quasi-totalité de l’activité économique et administrative du pays. Globalement, les facteurs internes pouvant être avancés pour expliquer la cherté de la vie au Sénégal demeurent principalement :
– Le surpeuplement et l’exode rural à Dakar : L’urbanisation incontrôlée et l’accroissement démographique exponentiel de la région de Dakar exercent une forte pression sur les ressources, les infrastructures et les services. Cela se traduit par une hausse des prix des logements, du transport et d’autres biens et services. La disparité entre le revenu médian 326 000 francs CFA brut par mois et le coût de la vie est très forte. À cela s’ajoute une très forte disparité des revenus entre les différentes zones géographiques qui composent la capitale.
– Une pression fiscale forte : l’augmentation du coût de la vie et la grosse perte du pouvoir d’achat des sénégalais ne faisaient pas figure de priorité de l’Etat. Aucun effort n’a été consenti afin de permette au « gorgorlou » sénégalais à subvenir dignement à ses besoins et à ceux de sa famille. Les politiques fiscales ne tiennent pas en compte la cherté du coût de la vie en établissant des mécanismes de taxation favorables au maintien du pouvoir d’achat des ménages. En effet, les prix auront tendance, à terme, à se stabiliser mais ils ne baisseront pas. Les traitements des fonctionnaires ont certes augmenté mais le secteur privé n’a pas suivi suffisamment l’effort de l’Etat en termes de hausse des salaires afin de permettre aux ménages, étranglés par le coût de la vie, de respirer.
– Les insuffisances du système de contrôle : l’état n’a pas non plus mis les moyens nécessaires afin de contrôler le respect des prix destinés à la vente de produits de première nécessité. La vente de détails est la principale source d’approvisionnement des ménages et les prix augmentent du jour au lendemain et diffèrent d’une « boutique » à une autre dans un même quartier. Cela implique donc de contrôler toute la chaine d’approvisionnement afin de trouver où se situent les dérives relatives au prix de vente des produits.
– Souveraineté alimentaire : le niveau de production sénégalaise actuelle ne permet pas de nourrir toute la population et le riz qui est le produit le plus consommé dans le pays est majoritairement importé. La production issue de la vallée du fleuve Sénégal et de la Casamance n’est pas assez valorisée dans le cadre d’une approche de promotion du « consommer local » pouvant développer chez les populations une préférence pour le riz cultivé dans le pays. Ainsi, chaque Sénégalais consomme en moyenne 100 kg de riz par an et le Sénégal importe 80% de sa consommation en riz, constituant le plus gros poste de dépense d’importation après le carburant. Les agriculteurs, pour la plupart, travaillent en moyenne 3 mois par an dans une agriculture de subsistance très vulnérable face aux variations pluviométriques.
III- Les mesures immédiates à prendre
Des mesures immédiates et concrètes peuvent être prises par le gouvernement assez rapidement. Cela constitue certes des pertes de recettes assez conséquentes, mais peuvent être en partie compensées par la taxation d’autres produits qu’on pourrait définir de « confort ».
Ci-dessous, de manière non exhaustive, sont listées des mesures en faveur du pouvoir d’achat dont les effets seront assez rapidement ressentis par les sénégalais à savoir :
- Baisse de la TVA à moins de 10% sur tous les produits alimentaires de première nécessité.
- Baisse des taxes douanières pour l’importation des denrées de première nécessité en dressant une liste de produits spécifiques
- Ouverture de la vente du sucre à la concurrence
- Contrôle nationale et inopiné des boutiques de quartiers qui concentrent l’essentiel de l’approvisionnement des ménages et prévoir de fortes amendes en cas de non-respect des prix officiellement négociés entre l’Etat et les syndicats du secteur de l’alimentation.
- Eviter toute subvention qui pourrait s’avérer contreproductive car sa fin entraînera systématiquement le retour à la case de départ à savoir une forte augmentation des prix.
- Règlementer le coût de l’électricité par la mise en place d’un bouclier tarifaire et penser à arrêter, transformer ou en tout cas rendre plus transparent le modèle « woyofal » très décrié par les populations.
- Taxation des produits à très forts bénéfices et potentiellement dangereux à la santé comme les produits de dépigmentation à défaut de les interdire
- Suppression de la bourse familiale et transfert des fonds dédiés à la compensation des pertes de recettes suite à une baisse significative des denrées de première nécessité
- Augmenter substantiellement les taxes sur le tabac et l’alcool pour financer en partie la perte de recettes liée à la baisse de la TVA
- taxer davantage les produits textiles importés (la fast fashion) neufs en provenance de la Chine ainsi que la friperie.