Si le départ de l’Angola est conforme à sa politique étrangère indépendante, certains analystes affirment également que les exigences de l’OPEP en matière de quotas ont aliéné les États africains.
L’Angola, deuxième producteur de pétrole en Afrique, vient d’annoncer son intention de quitter le cartel de l’OPEP, une décision qui met en lumière les relations tendues entre les exportateurs de pétrole africains et leurs grands rivaux.
L’OPEP, actuellement présidée par l’Arabie saoudite, s’est engagée à réduire sa production de pétrole depuis l’année dernière afin de soutenir le prix du Brent, dans un contexte de chute des cours. Toutefois, en juin 2023, l’Angola a quitté une réunion de l’OPEP suite aux tentatives de l’Arabie saoudite de réduire le quota de pétrole du pays.
Pour l’heure, les autres membres africains de l’OPEP, l’Algérie, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Libye et le Nigeria, ne semblent pas planifier une sortie du cartel.
Un compromis a finalement été trouvé pour que les objectifs de production de l’Angola, du Nigeria et de la République du Congo soient réexaminés par une tierce partie indépendante, mais cet examen a tout de même permis aux trois pays africains de voir leurs objectifs pour 2024 revus à la baisse.
L’Angola a été particulièrement lésé par l’augmentation du quota des Émirats arabes unis (EAU), beaucoup plus riches, malgré l’insistance de l’OPEP sur la nécessité de réduire la production de pétrole, et a décidé de quitter le cartel.
« Nous pensons qu’en ce moment, l’Angola ne gagne rien à rester dans l’organisation et, pour défendre ses intérêts, il a décidé de la quitter », a réagi le ministre des ressources minérales et du pétrole, Diamantino Azevedo (photo ci-dessus). « S’il reste dans l’OPEP, l’Angola serait contraint de réduire sa production, ce qui va à l’encontre de sa politique consistant à éviter toute baisse et à respecter les contrats. »
Pas d’inclinaison vers l’Ouest
Alex Vines, de Chatham House à Londres, reconnaît que « depuis juin 2023, Luanda et Abuja ont le sentiment que les voix africaines ne sont pas suffisamment écoutées en ce qui concerne les quotas ». L’analyste nous confie cependant que le départ de l’Angola « a été préparé pendant un an et s’inscrit dans la vision de João Lourenço en matière de politique étrangère ». Depuis qu’il est devenu président en septembre 2017, João Lourenço a cherché à poursuivre une « politique étrangère de l’Angola d’abord » et à maintenir l’indépendance vis-à-vis des organisations internationales, y compris l’OPEP.
Certains ont suggéré que la décision de Lourenço de quitter un bloc dominé par les États du Golfe et Moscou pourrait être révélatrice d’un changement pro-occidental. Ceci est particulièrement vrai à la lumière d’une visite à la Maison Blanche, en 2023, au cours de laquelle Lourenço a fait l’éloge de la stratégie africaine du président Joe Biden et a exprimé son intérêt pour l’établissement de liens économiques et de défense plus forts avec les États-Unis.
Pour sa part, Alex Vines rejette ce point de vue, estimant que Luanda est déterminé à ne pas être « catalogué » par des organisations internationales ou des blocs géopolitiques.
« Les dirigeants angolais l’ont appris lors d’une expérience amère de la guerre froide à la fin des années 1980, en étant trop dépendants d’une Union soviétique affaiblie et, ces dernières années, en étant trop exposés à la Chine. »
La décision de quitter l’OPEP est, selon lui, « davantage une déclaration du désir de l’Angola de devenir pleinement non aligné, avec l’indépendance de choisir librement ses partenaires commerciaux et ses marchés ».
Ariel Cohen, directeur général du programme sur l’énergie, la croissance et la sécurité à l’International Tax and Investment Center à Washington, déclare que « le rejet de l’OPEP par l’Angola et sa volonté d’accroître sa souveraineté économique ne doivent pas être interprétés comme un revirement pro-occidental ». En effet, poursuit-il, « le plus grand acheteur de l’Angola et le plus grand bénéficiaire de l’augmentation de la production angolaise est la Chine, qui consomme dix-neuf fois plus de pétrole angolais que les États-Unis ».
Et d’ailleurs, le Mouvement pour la libération populaire de l’Angola (MPLA) reste au pouvoir après une élection controversée en 2022 et conserve des liens avec la Chine, et cette décision de quitter l’OPEP, qui met l’accent sur la souveraineté et le nationalisme, ne fera que renforcer la popularité du gouvernement.
Une incompréhension des spécificités africaines
Si le départ spectaculaire de l’Angola de l’OPEP est lié au style spécifique de politique étrangère de João Lourenço, qu’en est-il de l’état général des relations entre l’Afrique et l’OPEP ? Ariel Cohen explique à African Business que l’OPEP s’est « aliéné » l’Angola et d’autres pays africains, au cours des dernières années.
« La transformation de l’OPEP en un outil pour les extrémistes iraniens et vénézuéliens qui pratiquent des prix élevés, ainsi que les manœuvres géopolitiques de la Russie et de l’Arabie saoudite, ont aliéné de nombreux membres de l’OPEP, dont l’Angola », détaille-t-il. Parallèlement aux problèmes intérieurs de l’Angola et aux troubles internationaux, notamment en ce qui concerne la sécurité alimentaire et des engrais en raison de la guerre en Ukraine, la production pétrolière angolaise a chuté en raison des quotas de l’OPEP ; il n’est donc pas surprenant que certains quittent l’organisation.
Ariel Cohen estime que l’OPEP est devenue de moins en moins utile économiquement et stratégiquement pour les exportateurs de pétrole africains. Alors que les tentatives de Riyad et de Moscou pour faire monter les prix mondiaux du pétrole en limitant l’offre étaient largement utiles lorsque les capacités de production de l’Afrique étaient plus limitées, l’Angola et d’autres pays disposent aujourd’hui de meilleures infrastructures pour augmenter la production de pétrole et stimuler les exportations.
« Cette situation n’est pas propre à l’Angola : lorsque la production de pétrole était limitée dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne, ou qu’une expansion supplémentaire n’était pas financièrement plausible, l’OPEP était souhaitable. »
Selon Ariel Cohen, « aujourd’hui, avec des pays africains plus que désireux d’accroître leur production, de répondre à une demande croissante et, ce faisant, d’engranger des bénéfices importants, les incitations de l’Afrique s’éloignent encore davantage de l’OPEP dirigée par les Saoudiens et les Russes ».
Bataille autour des institutions mondiales
La décision de Luanda de quitter l’OPEP intervient à un moment où de nombreux pays africains se battent pour obtenir plus de pouvoir et d’influence dans les institutions mondiales qui, selon eux, ne reflètent pas correctement les intérêts africains. João Lourenço a déjà appelé à la réforme et à l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple, tandis que l’inclusion récente de l’Union africaine dans le G20 a mis en évidence les efforts du continent pour s’asseoir à la table des négociations mondiales.
Ariel Cohen estime que l’OPEP est une autre organisation internationale avec laquelle les pays africains évaluent leurs relations, même s’il juge que le cartel pétrolier est plus réticent à la réforme que d’autres organismes mondiaux.
« Si l’OPEP avait été plus encline à tenir compte des préoccupations africaines, l’Angola ne l’aurait pas quittée », affirme-t-il. « Alors que des institutions comme le FMI et la Banque mondiale ont tenté de tenir compte des préoccupations africaines en réformant les programmes d’ajustement structurel, l’OPEP a, de manière tout à fait transparente, contraint et cajolé les États africains pour qu’ils se conforment à son programme mondial. »
À court terme, le départ de l’Angola ne devrait pas poser trop de problèmes à l’OPEP. Si les prix du Brent ont reculé à l’annonce de la sortie de Luanda, les négociants s’attendant à ce que les sociétés pétrolières angolaises augmentent leur production et contribuent à l’offre mondiale, la capacité du pays à influencer plus profondément les prix mondiaux est très limitée. Après tout, l’Angola ne produit qu’environ 1,2 million de barils de pétrole par jour, soit environ 2 % de la production totale de l’OPEP.
De plus, on ne voit pas de signes, à ce stade, d’un départ massif des Africains hors de l’OPEP.
« Les autres membres africains de l’OPEP, l’Algérie, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Libye et le Nigeria, ne semblent pas planifier une sortie du cartel », précise Axel Vines.
À plus long terme, d’ailleurs, un tel désengagement pourrait représenter un coup dur pour l’autorité de l’OPEP, en particulier dans le contexte du désir plus large de l’Afrique de remanier les organisations internationales et les structures de gouvernance.
L’« Angola est encore un producteur de taille moyenne et l’OPEP conserve une part dominante de la production mondiale de pétrole », explique Ariel Cohen. « Le départ de l’Angola est donc moins important pour le marché pétrolier et les prix dans l’avenir immédiat que ce que cette sortie démonstrative fera au pouvoir et au prestige de l’OPEP en tant qu’organisation. »
La question de savoir si d’autres pays africains suivront l’exemple de Luanda dépend toutefois de la manière dont le pays gère sa souveraineté retrouvée sur la production pétrolière.
« Si l’Angola réussit et gère bien l’augmentation de ses revenus pétroliers, il créera un puissant précédent, conclut Ariel Cohen ; s’il bâcle sa gestion financière ou si les prix des matières premières s’effondrent, cela prouvera que la tentative d’indépendance de Luanda a échoué. »
Le Magazine de l’Afrique