En date du 23 octobre 2023, la Commission Bancaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) a rappelé aux établissements de crédit le cadre réglementaire relatif à la commercialisation des produits et services d’assurances à leurs guichets. Les banques ne devront commercialiser que des produits d’assurance liés aux opérations de banque. En outre, ladite commercialisation se fait sur la base d’un contrat de partenariat conclu à cet effet avec une société d’assurance. La Commission bancaire de l’UEMOA rappelle également l’obligation de la détention de la carte professionnelle pour les agents commis à la commercialisation. À cet égard, les établissements de crédit sont invités au strict respect des dispositions légales et réglementaires susvisées, sous peine de sanctions prévues par la réglementation bancaire. Afin de décrypter la portée de cette circulaire, Financial Afrik s’est adressé à l’expert Abdou Cissé, auteur d’une chronique fournie sur la thématique en août 2021. Entretien.
En tant qu’acteur averti des marchés d’assurance et de la finance, que vous inspire cette nouvelle alerte de la commission bancaire ?
Encore merci à Financial Afrik pour les rappels des tribunes passées sur le sujet. Il faut reconnaître que la commission est dans son rôle de protecteur des usagers de banque, mais cette alerte suscite trois réactions qui portent sur :
– La nécessité aux établissements de crédit de respecter leurs partenariats avec les compagnies d’assurances ;
– L’absence de solutions aux problématiques posés par les différents types de partenariats entre l’assurance et la banque ;
– La non prise en compte des pratiques de Bancassurance et d’Assurbanque qui sont devenues une réalité sur nos marchés.
Justement sur le premier point, la circulaire semble rappeler aux banquiers que l’assurance n’est pas de leur ressort. Existe-t-il aujourd’hui une frontière matérielle entre banque et assurance ?
En effet, juridiquement les métiers de banque et d’assurance obéissent à des règlementations distinctes. Le cloisonnement juridique doit donc rester. Cependant toutes les études que nous avons menées montrent des liens entre les deux secteurs qui ont donné naissance à beaucoup d’opportunités tant de la banque vis à vis de l’assurance que vice-versa. Donc, au sein de l’UMOA, cette dynamique ne peut être freinée. En effet, La zone est marquée aujourd’hui par des groupes comme Sunu-Bicis, Nsia dans l’Assurbanque et Attijariwafa Bank dans la Bancassurance. Il ne serait pas opportun d’imposer aux banques de ces groupes de commercialiser à leurs guichets uniquement des produits d’assurances liés aux opérations de banque ; cette mesure peut être perçue comme restrictive voire contreproductive. Les acteurs d’assurance et de finance ont plutôt besoin d’être accompagnés par des évolutions règlementaires pour saisir ces nouvelles opportunités et apporter leur contribution au développement de l’écosystème ; d’autant plus que la zone de couverture d’assurance (CIMA) est plus large que la zone UMOA.
Que pourrait craindre le régulateur bancaire dans ces partenariats au-delà des problématiques de tarification sur lesquelles vous aviez beaucoup insisté dans votre tribune de 2021 ?
L’immixtion d’un nouvel acteur dans le marché bancaire ou l’apparition de nouvelles activités posent toujours un problème d’appréciation de risques préalablement à toute approbation. Il se confirme ainsi que la règlementation n’a pas vu venir ces opportunités de synergies de ces deux marchés et de là, pourraient naître des craintes. Points sur lesquels j’avais beaucoup insisté sur la tribune à laquelle vous faites référence. Mon point de vue est qu’il n’est plus possible de réguler les marchés de l’assurance et de la banque séparément ; la Commission Bancaire doit travailler en étroite collaboration avec l’autorité de contrôle des assurances, la CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance).
A propos de la problématique de tarification spécifiquement, il est nécessaire de statuer sur les points suivants :
– Les banquiers ne doivent pas avoir droit de regard sur la fixation des taux de primes pures associés aux risques commercialisés par les assureurs ; la tarification doit respecter les règles de l’actuariat.
– Les chargements d’acquisition des contrats réclamés par les banques doivent être encadrés (au maximum 7% de la prime commerciale payée par l’assuré) ;
– Les conventions de commissionnement sur participation aux bénéfices des contrats doivent cesser d’être imposées par les banques aux assureurs ;
– Les dépôts à terme en contrepartie d’apport d’affaires doivent être encadrés ;
– Dans le cas des contrats d’assurances sur crédits emprunteurs, certains assureurs acceptent toutes les conditions fixées par les banques ; ainsi, les demandeurs de crédit se trouvent complètement lésés en tant que payeurs de la prime commerciale.
Ces partenariats ont atteint des proportions d’incohérences telles qu’il serait indiqué de faire une revue actuarielle de l’ensemble des contrats signés entre banques et assurances pour stopper les dérives ; d’autant que ces incohérences ont conduit à une concurrence faussée sur le marché assurance (valse des portefeuilles d’un assureur à l’autre).
Comme les pratiques de Bancassurances et d’Assurbanques sont devenues des réalités sur nos marchés, quelles sont les vraies réformes qu’il faut entamer pour accompagner les acteurs économiques ?
Les réformes passeront d’abord par de réels Etats Généraux des marchés de l’assurance et de la finance, pour que la zone franc CFA puisse bâtir un environnement financier capable d’accompagner correctement les évolutions économiques des Etats ; pour y arriver, il faut nécessairement donner à l’activité d’assurance sa place réelle dans le développement économique. Les acteurs du marché financier, de l’économie et du secteur étatique n’ont pas une vision réelle des corrélations profondes entre leurs activités et celle du secteur des assurances. Depuis les indépendances des années 60, nous n’arrivons pas à disposer d’un système financier conforme aux réalités de notre tissu économique, labellisé informel à hauteur de 75% de l’activité, organisé autour d’une conception de termes comme microfinance, micro-assurance, finance inclusive, assurance inclusive, entreprise sociale et solidaire…
Dans ce pêle-mêle, orchestré sur les 25 dernières années, nous avons peut-être réussi à entretenir des micro-projets et des micro-entreprises dans des micro-Etats, mais nous n’avons pas atteint des objectifs majeurs comme l’implication complète du tissu économique africain dans un système financier conforme à nos réalités et la construction d’un projet de protection sociale pour améliorer les conditions de vie des populations. La formalisation de nos petites et moyennes entreprises africaines ne se fera pas par la fiscalité, mais plutôt par une plateforme commune entre assurance et finance (microfinance et micro-assurance). La finance sans assurance est une des raisons de la crise financière internationale de 2008 ; l’assurance sans la finance contribue encore au faible développement de nos marchés africains. De réelles synergies entre finance et assurance doivent rester dans l’esprit d’élargir l’accès de tous les acteurs économiques au système financier en distribuant des produits conçus, fabriqués et gérés au sein d’une même plateforme, avec une notion de consolidation, de mutualisation commerciale, de mariage de bilans d’activités de banque et d’assurance, d’optimisation conjointe de Produits Nets Bancaires avec les trois Marges d’Assurance (technique, exploitation et financière) ; sans oublier une auto couverture du risque de taux face à la sensibilité (souvent inverse) des deux métiers à l’évolution des taux d’intérêt.
Cette plateforme commune à l’assurance et la finance partira de la micro-assurance et la microfinance pour atteindre les Bancassurances et Assurbanques. La micro-assurance restera toujours une assurance qui cible une certaine catégorie de la population et ne doit pas être regardée comme une assurance pour les pauvres (erreur de diagnostic commise sur les quinze dernières années en Afrique subsaharienne). Le continent africain doit concevoir le métier d’assurance comme un vecteur directeur des évolutions économiques, sociales et financières. Dans un contexte marqué par des compagnies d’assurances et des banques de développement en rythme de progression très faible, le challenge peut trouver du répondant par la mise en place de plateformes de collaboration en actions multiples (Etats, assureurs, banquiers, financiers, acteurs de la protection sociale). Des réponses aux impératifs stratégiques d’innovations et d’exploitations de nouveaux créneaux, sont nécessaires pour adresser des questions comme :
– L’absence de la dimension assurance dans les politiques socio-économiques
– La faible présence des assureurs dans le socle de la protection sociale
– L’absence de la culture de l’assurance
– L’absence d’un système financier conforme au système économique
– Le retard en innovation de produits de couvertures de l’activité économique
– La faiblesse du niveau de formation continue des acteurs économiques en assurance.
Certes, la microfinance avait été conçue pour un accompagnement des micro entreprises dans leurs besoins de financements directs et dans l’accompagnement de la consolidation d’une économie solidaire. Seulement, après plus de vingt ans d’applications dans les pays en développement, les objectifs attendus n’ont toujours pas été atteints. Notre expérience nous permet aujourd’hui d’affirmer qu’en réalité, ces échecs de l’adaptation de la microfinance aux besoins de nos entreprises relèvent exactement d’une absence de la micro-assurance dans les différents projets de financement. Il est ainsi fondamental de changer de vision et de prendre en compte la combinaison assurance-finance dans la réponse aux exigences financières exprimées par les entreprises sociales et solidaires. Ce nouveau modèle de transformation permettra de répondre à la demande sociale. C’est pour toutes ces raisons que des Etas Généraux des marchés d’assurance et de finance doivent être accueillis très favorablement, pour transformer positivement nos économies, car il sera difficile de résoudre nos problèmes sans donner à l’assurance sa place et sa dimension réelle dans tous les domaines d’activités économiques.
Vous défendiez l’idée de rendre obligatoires certaines assurances dans la zone afin de dynamiser les marchés ?
En effet, la Fanaf (Fédération des Sociétés d’Assureurs de Droit National Africaines) avait sollicité Cisco consulting en 2022 pour une étude d’impacts de mise en place de nouvelles assurances obligatoires. Cette étude nous avait permis de démontrer que l’Etat est l’acteur principal du marché de l’assurance (premier assureur d’un pays). Les banquiers devraient aussi faire cet effort de diagnostic. En exemple d’assurance obligatoire, les banques sont obligées d’avoir des sûretés réelles aujourd’hui sinon elles sont tenues de provisionner leurs engagements sur les crédits qu’elles octroient. Ainsi, dans la classification des Banques Centrales de l’Afrique subsaharienne, il faut impérativement qu’une assurance en cas de défaut (temporaire) puisse avoir le même niveau que l’hypothèque ; ceci rendra à l’assurance de défaut une dimension de garantie normale et permettra de fluidifier le financement de nos économies.
Quelle part donner au volet social ?
Le premier rôle primaire d’un Etat c’est de protéger le peuple. Sans sa présence, le marché de l’assurance ne peut pas fonctionner et peut même devenir une foire. Le premier moteur du développement économique c’est l’assurance sociale ; tous les pays développés ont bâti leurs structures à partir de couvertures sociales et privées. De plus, en Afrique, la solidarité est au cœur de notre culture financière. C’est une raison de plus pour que nos systèmes sociaux et financiers soient articulés autour de la mutualisation qui est à la base de l’assurance, comme une infrastructure économique. Aujourd’hui l’assureur, le banquier et l’État sont relégués au même plan par le peuple africain qui acceptera difficilement de se formaliser par rapport à l’écosystème qui relie ces trois acteurs. Les acteurs économiques ont l’impression que le cycle inversé de production s’apparente à du vol car les prestations promises tardent à venir ou ne viennent jamais ; ils produisent une richesse réelle que les normes occidentales n’arrivent pas à mesurer de façon adéquate pour la monétiser correctement. Au regard de l’ensemble des agrégats économiques qui caractérisent nos pays, on se rend compte du temps perdu par nos Etats dans l’adaptation des normes occidentales à nos espaces économiques. Il est grand temps de construire nos propres modèles.
Quelles actions préconisez-vous en guise de conclusion ?
Nous devons travailler vers l’objectif de faire disparaitre de l’esprit des acteurs économiques africains, cette conception de l’assurance comme étant de la confiscation ou encore de la fiscalisation ; atteindre cet objectif nécessite une garantie des règlements effectifs des sinistres par les assureurs. Voici quelques actions que je préconise ;
– Travailler vers la couverture des activités économiques par des assurances obligatoires (couvrir en assurances toutes les activités formelles et informelles de l’économie par la redistribution et la mutualisation) ;
-Travailler vers l’objectif de permettre aux Etats, aux banques Centrales, aux Banques Commerciales et aux Entreprises de prendre en compte l’importance de l’INDUSTRIE des assurances ; les acteurs qui ont besoin de financer leur activité sont confrontés à la frilosité des banquiers (manque de garanties) ; il est donc impératif que le marché des assurances développe ces produits de couvertures en évitant la sophistication de la finance ;
– Travailler vers l’objectif de recharger l’assurance d’émotions positives pour le bien être de toutes les populations.
Depuis les indépendances, ce cloisonnement des métiers d’assurance et de finance n’a pas contribué au développement économique. La participation de l’assurance et la finance au Produit National Brut reste faible. Le marché bancaire a toujours proposé des produits financiers individualisés, qui coûtent cher et s’adressent à des acteurs dont l’activité économique est sans historique formelle. Aussi, le risque de défaut pour entreprises et ménages n’a jamais été mutualisé. L’inclusion financière et assurancielle apporteront de réelles solutions. J’en appelle ainsi à une marche collective en intelligence, pour bâtir une stratégie commune de long terme en regroupant tous les acteurs concernés (Commission Bancaire, Banque Centrale, Cima, Fanaf, Directions des assurances, banquiers et assureurs) autour d’Etats Généraux. L’objectif étant de développer une nouvelle conception de l’assurance et de la finance propre aux africains par la redistribution et la mutualisation.
Financialafrik