Comment augmenter les recettes fiscales ?

Les gouvernements africains peuvent-ils encore financer les services essentiels aux citoyens, et payer le service de leur dette ? Plusieurs options qui s’offrent à eux afin d’améliorer la perception d’impôts auprès des entreprises et des particuliers.

 

De nombreux États africains perçoivent des revenus fiscaux trop faibles, en comparaison au PIB du pays. Selon une étude de l’OCDE sur trente pays africains, le ratio moyen impôt/PIB était de 16,5 % en 2018. Chiffre à comparer à une moyenne de 34,3 % dans les 38 États membres de l’OCDE et de 23,1 % pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Certains pays comme les Seychelles, la Tunisie et l’Afrique du Sud présentent toutefois des ratios impôt/PIB supérieurs à 30 %, tandis que d’autres restent sous les 10 %, comme le Nigeria, la Guinée équatoriale, le Tchad et la RD Congo.

« La résolution des problèmes de gouvernance et l’amélioration de la transparence dans l’utilisation des ressources publiques sont essentielles pour instaurer la confiance et générer des ressources nationales accrues. »

Le rapport pointe plusieurs facteurs : une conception et une mise en œuvre déficientes de la politique fiscale ; un respect et une application insuffisants de la législation fiscale ; et des niveaux élevés d’activité économique informelle et d’évasion fiscale. Néanmoins, les choses progressents puisque ce ratio impôt/PIB a progessé de 1,4 point entre 2010 et 2018, grâce à l’augmentation des recettes provenant de la TVA et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Soucieux de maintenir ces tendances, de nombreux pays africains ont intensifié ces dernières années les mesures visant à accroître la collecte des impôts.

Le budget 2023-2024 du Kenya, qui a été adopté par les membres du Parlement en juin, a doublé la TVA sur le carburant, qui est passée de 8 % à 16 %. C’est l’une des mesures prises par l’administration du président William Ruto pour renflouer les caisses de l’État. Une autre de ces mesures consiste à augmenter les taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques pour les revenus les plus élevés. Les tranches de taux pour l’impôt sur le revenu collecté par le biais du système de paiement (PAYE) sont passées à 32,5 % pour les revenus mensuels compris entre 500 000 shillings (environ 3270 $) et 800 000 Ksh (environ 5240 $). Le taux est passé à 35 % pour les revenus supérieurs à 800 000 Ksh. Auparavant, le taux était uniformément de 30 % pour tous les hauts revenus.

Pour améliorer la collecte des recettes, les gouvernements africains ont également réduit le nombre de subventions, d’exonérations fiscales, de déductions, de crédits et de taux préférentiels. Ces mesures tendent à réduire l’impôt à payer. Les autorités affirment que ces allégements réduisent l’assiette fiscale et favorisent davantage les riches que les pauvres. Par exemple, le Nigeria a supprimé les subventions aux carburants dans le cadre des réformes économiques menées par le nouveau président, Bola Tinubu.

Risques et défis d’une réforme

Ces mesures ont entraîné une augmentation constante du total des recettes fiscales perçues par les pays africains au cours des dernières années. Par exemple, le South African Revenue Service (SARS) a augmenté ses recettes fiscales totales de 216,5 milliards de rands (11,6 milliards de dollars) en 2017/18 à R563,8 milliards (30,2 milliards de dollars) en 2021/22, soit un taux de croissance annuel composé de 6,5 %.

Les réformes fiscales peuvent améliorer la situation budgétaire d’un pays, mais elles comportent aussi des risques et des défis. Des impôts élevés peuvent avoir des effets négatifs sur l’économie s’ils ne sont pas appliqués avec prudence. Ils peuvent diminuer le revenu disponible des consommateurs, ce qui peut réduire leurs dépenses et affecter la demande des consommateurs, la production et l’emploi. Ils peuvent également décourager les entreprises d’investir, de se développer ou d’embaucher davantage de travailleurs. Des impôts élevés peuvent également réduire les incitations à l’épargne et à l’investissement.

Les analystes estiment qu’au lieu de viser des impôts élevés, les décideurs politiques devraient s’efforcer de mettre en place un système fiscal équitable et efficace. La Banque mondiale suggère aux gouvernements de trouver un équilibre entre des objectifs tels que l’augmentation des recettes, la promotion de la croissance et la réduction des coûts administratifs, et la garantie d’un système fiscal juste et équitable. Les considérations d’équité comprennent l’imposition relative de différents groupes de contribuables, tels que les riches et les pauvres, les particuliers et les entreprises, les zones urbaines et rurales, les secteurs formel et informel, les revenus du travail et du capital, et les générations plus âgées et plus jeunes.

La Banque mondiale souligne également la nécessité de simplifier le code fiscal. « Faciliter le paiement des impôts améliore la compétitivité. Les systèmes fiscaux trop compliqués sont associés à des niveaux élevés d’évasion fiscale, à des secteurs informels importants, à plus de corruption et à moins d’investissements. Les systèmes fiscaux modernes devraient chercher à optimiser les recouvrements d’impôts tout en minimisant la charge que représente pour les contribuables le respect des lois fiscales », écrit-elle.

Élargir l’assiette

L’Afrique doit améliorer la mobilisation de ses recettes intérieures tout en maintenant la stabilité économique et l’attrait pour les investisseurs, considère Daniel Ngumy, associé directeur du cabinet d’avocats d’affaires ALN Kenya. « Il faut faire beaucoup plus pour intégrer le secteur informel, car c’est le moyen idéal d’élargir l’assiette fiscale », explique-t-il, en évoquant le risque que cela représente pour le climat d’investissement.

« Le danger que nous voyons est que les entreprises qui paient des impôts sont les mêmes que celles qui sont constamment ciblées pour générer des revenus, en particulier les multinationales. Elles disent qu’elles en sont arrivées à un point où, chaque année, elles ont un nouveau dossier fiscal à traiter. Cela demande de l’énergie et du temps, et c’est parfois très épuisant. »

Selon Daniel Ngumy, le Kenya est gravement menacé par sa dépendance à l’égard de quelques gros contribuables et doit élargir son assiette fiscale en incluant le secteur informel. « L’incapacité à intégrer le secteur informel posera à long terme des problèmes pour la viabilité de notre économie. L’ajout de travailleurs informels à notre assiette fiscale protégera le Kenya du risque de voir un seul gros contribuable quitter le pays, ce qui peut facilement se produire. En revanche, si un million de travailleurs informels sont ajoutés à l’assiette fiscale et que vous les aidez à mieux générer des revenus, le résultat est nettement meilleur que si l’on dépend d’une seule grande entreprise. »

 

Brian Waruru, directeur des services fiscaux internationaux et des services de transaction au sein du cabinet d’audit EY, préconise des approches descendantes dans le cadre desquelles les grandes entreprises formelles sont tenues d’encourager les petites entreprises et les fournisseurs du secteur informel à respecter la législation fiscale. L’analyste insiste

sur la nécessité pour les gouvernements de soutenir la croissance du secteur informel et d’accroître sa contribution fiscale. Il suggère que les gouvernements améliorent la productivité du secteur informel en facilitant l’accès au financement et aux services publics, et recommande que les gouvernements facilitent l’enregistrement officiel des entreprises informelles et en réduisent le coût.

« Les gouvernements peuvent réduire les frais d’enregistrement et encourager les petites entreprises à s’enregistrer. L’enregistrement place les petites entreprises dans le radar du système formel et contribuera à la culture de la conformité fiscale. »

Tirer parti de la technologie et de l’organisation

L’adoption d’outils et de solutions numériques pour moderniser l’administration fiscale, améliorer la collecte et l’analyse des données et faciliter la déclaration et le paiement des impôts en ligne a aidé de nombreux gouvernements africains à augmenter le recouvrement des impôts.

« L’adoption de la technologie dans le système fiscal peut réduire l’évasion fiscale grâce à l’échange d’informations entre les différents systèmes fiscaux à l’intérieur et à l’extérieur du continent », explique Brian Waruru.

« Au-delà de la déclaration électronique et des systèmes de paiement, les autorités fiscales devraient également explorer d’autres technologies telles que le Big data, l’intelligence artificielle et la biométrie, afin d’améliorer l’administration fiscale, de fournir de meilleurs services aux contribuables et de contrôler le respect des règles. »

Le recours à des équipes spécialisées et correctement formées peut accroître la capacité à collecter des recettes fiscales. Par exemple, l’administration fiscale du Kenya dispose d’un bureau des gros contribuables et d’un bureau des impôts internationaux, dont les équipes ont été spécialement formées pour traiter toutes les questions fiscales concernant les gros contribuables et les multinationales.

En Afrique du Sud, le bureau des grandes entreprises et de l’international, lancé en décembre 2018, et fournit un service de bout en bout à ses contribuables en garantissant une attention élevée à ses offres. Dans chaque pays, les autorités fiscales respectives ont fixé certains seuils pour les entités qui se qualifient pour faire partie de la division des grands contribuables.

« Le Kenya dispose d’un bureau des gros contribuables… qui a été divisé en secteurs. Il y a donc des gens dans les services financiers, les services professionnels, etc. Ils veulent que les mêmes personnes se penchent sur les mêmes questions », observe Daniel Ngumy.

Lequel souligne la nécessité pour les autorités fiscales africaines de collaborer plus étroitement afin de résoudre des problèmes communs. Il a souligné la croissance et le succès de plateformes telles que le Forum africain sur l’administration fiscale, qui permet aux autorités fiscales africaines de partager leurs connaissances et leurs idées sur la manière d’aborder des questions clés telles que les prix de transfert et la gestion des entreprises multinationales.

 Faire face aux risques de surimposition

Le Kenya et d’autres pays qui ont augmenté les impôts à un rythme rapide pourraient être amenés à reconsidérer leur stratégie si les faits montrent que l’économie souffre de la charge fiscale. L’expert cite le cas des charges sociales au Kenya, qui ont sous-performé au cours des derniers mois après la mise en œuvre de taux plus élevés et de nouvelles déductions obligatoires – par exemple, à partir du 1er juillet 2023, les employeurs et les employés doivent chacun payer 1,5 % des salaires bruts au titre d’une taxe sur le logement abordable.

Les informations communiquées par le Trésor national montrent que les charges sociales perçues en juillet-septembre 2023 ont été inférieures à l’objectif fixé, et ce avec la plus grande marge depuis la pandémie de grippe aviaire. L’administratio RK a collecté 123,04 milliards de shillings (806 millions de dollars) sur les revenus des travailleurs, contre un objectif de 143 milliards de shillings.

Daniel Ngumy observe que les dernières données économiques indiquent que le Kenya subit les effets de la « courbe de Laffer », que l’on résume par « trop d’impôt tue l’impôt ».

« Nous constatons de plus en plus les effets de la courbe de Laffer », explique Daniel Ngumy. « La TVA élevée sur les carburants, ainsi que d’autres taxes sur les carburants et les prix mondiaux de l’énergie, ont réduit les déplacements en voiture. Les gens optent pour le covoiturage et les transports publics. », explique-t-il, ajoutant qu’il est essentiel d’analyser les données avant d’abaisser ou non les taxes. Il cite l’exemple du Rwanda, qui a réussi à augmenter régulièrement ses recettes fiscales ces dernières années en réduisant les taux d’imposition de manière générale.

Le besoin de confiance

La surimposition peut également conduire à l’instabilité politique, en alimentant les protestations et en posant des problèmes aux élus en place qui cherchent à se faire réélire. Brian Waruru souligne l’importance de développer des campagnes et des stratégies visant à renforcer la confiance entre les contribuables et les administrations fiscales, car cela améliore le respect des règles et crée une base pour le soutien du public en faveur d’une fiscalité plus efficace.  Et rappelle que le manque de confiance dans le rôle de l’État en tant que collecteur d’impôts et prestataire de services reste un facteur important qui dissuade de nombreux contribuables potentiels d’entrer dans l’économie formelle ou de payer l’intégralité de leurs impôts.

Brian Waruru suggère également que les autorités fiscales adoptent une approche plus progressive pour mettre en œuvre certaines réformes fiscales, en particulier celles qui sont susceptibles de provoquer la colère du public. « Au lieu de mettre en œuvre les réformes fiscales immédiatement, les gouvernements devraient envisager une mise en œuvre progressive afin d’alléger le fardeau immédiat qui pèse sur le public, de réduire la résistance du public et de donner aux gens le temps de s’adapter. »

Il souligne que pour que les gouvernements africains gagnent la confiance de leurs citoyens, la question de la corruption doit être abordée de manière décisive. « La résolution des problèmes de gouvernance et l’amélioration de la transparence dans l’utilisation des ressources publiques sont essentielles pour instaurer la confiance et générer des ressources nationales accrues. Les efforts devraient viser à aider les pays africains à renforcer la gouvernance et à s’attaquer à la corruption. »

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