Le continent est en retard par rapport au reste du monde dans l’adoption de la cinquième génération de technologie mobile. Que peut faire l’Afrique pour accélérer le déploiement de la 5G ?
Le déploiement de l’internet mobile 5G promet d’être l’une des avancées technologiques les plus importantes des années 2020. Au niveau mondial, son déploiement est déjà bien avancé. Les opérateurs de réseaux mobiles ont commencé à proposer des connexions 5G aux États-Unis et en Corée du Sud en 2019. Selon l’équipementier télécom Ericsson, le nombre d’abonnements 5G dans le monde atteindra 1,5 milliard à la fin 2023. L’Afrique est toutefois à la traîne.
« Voici quelques années, si vous parliez aux parties prenantes de la région, bon nombre d’entre elles auraient dit que l’Afrique n’était pas encore prête pour la 5G ; aujourd’hui, une plus grande part d’entre elles conviennent que la 5G doit être déployée. »
Jusqu’à présent, la 5G n’est disponible que dans une douzaine de pays du continent. De nombreux autres opérateurs de télécommunications prévoient d’offrir une couverture 5G, généralement dans les zones urbaines, mais cela ne signifie pas automatiquement que les utilisateurs peuvent accéder à la 5G ; en effet, seule une infime partie des appareils mobiles en Afrique sont actuellement compatibles la technologie. L’association du secteur de la téléphonie mobile GSMA prévoit que même en 2025, la 5G ne représentera que 4 % des connexions mobiles en Afrique.
Le continent risque donc de ne pas profiter des avantages économiques attendus de la 5G. L’Afrique peut-elle trouver un moyen d’accélérer le déploiement de la 5G avant qu’il ne soit trop tard ?
Mark Walker, vice-président du cabinet de conseil en télécommunications IDC, estime que les connexions rapides rendues possibles par la 5G seront essentielles pour exploiter les avantages des technologies qui se développent rapidement. « Nous commençons à entrer dans le domaine du Big data, de l’apprentissage automatique et de l’IA, de l’Internet des objets », explique Mark Walker. « Il y a de solides arguments en faveur de l’utilisation de la 5G. Je pense que c’est là que l’on peut s’attendre à des avantages. »
Un autre avantage potentiel, particulièrement pertinent pour l’Afrique, est que la 5G peut fournir un accès fixe à l’internet sans fil. Cela signifie que les foyers et les entreprises pourraient bénéficier d’une connexion à large bande fournie par un signal 5G transmis à partir d’une tour de téléphonie cellulaire. Cette technologie est largement considérée comme une alternative rentable à l’utilisation de câbles à fibres optiques pour la fourniture du haut débit.
Déploiement en milieu rural
Malgré les avantages attendus, le déploiement des réseaux 5G sera loin d’être simple, en particulier en dehors des grandes villes africaines. Selon Mark Walker, l’installation d’une infrastructure 5G n’est pas particulièrement complexe d’un point de vue technologique. Le problème, explique-t-il, est que « la portée de la 5G est plus courte que celle de la 4G », ce qui signifie que « vous aurez besoin de plus d’antennes pour couvrir l’espace en raison de la nature des micro-ondes ».
« C’est une question d’accessibilité financière plutôt qu’une question de capacité technique », ajoute l’expert. Qui en conclut que les principaux moteurs de l’adoption de la 5G, du moins dans un premier temps, seront probablement les grandes entreprises, en particulier celles qui peuvent bénéficier des avantages de la 5G en matière de traitement des données.
« Si j’étais un opérateur de télécommunications, je me concentrerais sur la 5G en identifiant l’espace des entreprises, les grands conglomérats, puis en descendant la pile vers les moyennes entreprises, les petites entreprises, etc. »
Les difficultés liées à l’extension de la couverture de la 5G aux consommateurs ordinaires, en particulier dans les zones rurales peu peuplées d’Afrique, seront identiques à celles rencontrées avec les générations précédentes de l’internet mobile.
L’Afrique a connu un succès considérable dans l’utilisation de l’internet mobile en tant que technologie « leapfrog » (saut technologique). Le Kenya, par exemple, est un leader mondial dans le domaine des transferts d’argent par téléphone portable.
Mais les connexions de haute qualité sont loin d’être la norme sur le continent. La GSMA estime que 190 millions de personnes en Afrique subsaharienne, soit 17 % de la population, ne disposaient d’aucune forme d’accès à l’internet mobile en 2021. La même année, la 4G ne représentera que 17 % des connexions en Afrique, derrière la 2G (27 %) et la 3G (56 %).
Selon Kenechi Okeleke, directeur de la recherche à la GSMA, il est impossible de prédire combien de temps il faudra pour étendre la 5G au-delà des grandes villes africaines. « Le déploiement de la 5G en Afrique prendra une forme différente de ce que nous avons vu dans de nombreux marchés pionniers », juge l’expert, qui note que les opérateurs de réseaux dans des pays tels que les États-Unis et la Corée du Sud se sont livrés à une concurrence agressive pour étendre la couverture de la 5G même dans les zones rurales. « Nous ne verrons probablement pas cela en Afrique. Le déploiement de la 5G en Afrique se fera très probablement par étapes, les opérateurs déployant la 5G en fonction des besoins et de la demande. »
Abordabilité
Du point de vue des opérateurs de réseaux mobiles, explique Kenechi Okeleke, il est essentiel d’obtenir « les bons volumes d’utilisation sur les réseaux 5G pour pouvoir générer des retours sur investissement ». En effet, un opérateur, peut être en mesure de déployer la 5G, mais il doit aussi estimer la capacité des utilisateurs à mettre la main sur un appareil 5G. « Il ne sert à rien de construire un réseau 5G si les gens n’ont pas les moyens d’acheter les appareils dont ils ont besoin pour accéder à ce réseau ! »
La GSMA prévoit qu’en 2030, la 5G ne représentera encore que 20 % des connexions mobiles en Afrique. Le continent resterait ainsi loin derrière d’autres marchés émergents : la 5G devrait représenter 58 % des connexions mobiles en Amérique latine et 36 % en Inde d’ici à 2030.
L’Afrique pourrait-elle finalement accélérer le déploiement de la 5G et étendre la couverture plus rapidement que ne le prévoit la GSMA ? « Cela est possible, répond Kenechi Okeleke, mais pour cela, beaucoup de choses devront avancer plus vite. »
Il note que les opérateurs de télécommunications doivent fermer les anciens réseaux 2G et 3G pour libérer le spectre qui peut être canalisé vers la 5G. Les régulateurs, quant à eux, devront accélérer le processus d’attribution du spectre 5G aux opérateurs afin d’encourager le déploiement de la 5G.
Sur ce point, l’obstacle le plus important est le coût des appareils compatibles avec la 5G. Au Kenya, le principal opérateur de téléphonie mobile, Safaricom, a déjà étendu la couverture 5G dans les zones urbaines après avoir lancé son réseau 5G en 2022. Pourtant, le PDG de l’entreprise, Peter Ndegwa, soulignait en octobre que moins de 1 % des smartphones kényans sont compatibles avec la 5G.
« Tant que les prix des appareils 5G ne commenceront pas à baisser, il est difficile de voir les niveaux d’adoption augmenter plus rapidement que ce que nous avons actuellement prévu », commente Kenechi Okeleke.
Un intérêt croissant, néanmoins
En fait, le fait que seul le segment le plus riche de la population puisse s’offrir un appareil compatible avec la 5G rend les sources potentielles de financement concessionnel prudentes quant au soutien du déploiement de la 5G en Afrique.
« Dans nos propres investissements, nous nous concentrons toujours sur d’autres moyens d’augmenter l’utilisation », reconnaît Abhinav Sinha, de British International Investment (BII), l’institution britannique de financement du développement. BII envisagerait d’investir dans la 5G à l’avenir ; elle ne l’a pas encore fait, étant donné que seuls les consommateurs qui peuvent s’offrir un appareil 5G en verront les avantages immédiats.
Néanmoins, Kenechi Okeleke estime qu’il y a au moins quelques signes indiquant que le déploiement de la 5G en Afrique prend de l’ampleur. « Voici quelques années, si vous parliez aux parties prenantes de la région, bon nombre d’entre elles auraient dit que l’Afrique n’était pas encore prête pour la 5G », fait observer l’expert de GSMA. « Si vous interrogez ces mêmes parties prenantes aujourd’hui, une plus grande part d’entre elles conviendront que la 5G devrait être déployée. »
Le Magazine de l’Afrique