Sahid Yallou, directeur général d’Ecobank Sénégal, détaille le rôle de son établissement dans la conjoncture actuelle du Sénégal, pris entre soubresauts internationaux et promesses de fortes croissances.
Comment la région est-elle impactée par la crise bancaire actuelle et comment réagit un établissement comme Ecobank Sénégal ?
Très clairement, la situation actuelle ne peut laisser personne indifférent. Le monde entier est touché et en particulier le secteur financier. À l’échelle internationale, nous avons pu voir à quel point une banque de taille moyenne comme la Silicon Valley Bank peut véritablement inquiéter l’ensemble du système.
En ce qui concerne l’UEMOA, la Banque centrale a pour objectif de ramener l’inflation à un taux de 3%, ce qui nécessite une augmentation des taux d’intérêt pour contenir l’inflation. Cela a un coût pour les banques, car le coût des ressources augmente. Par conséquent, nous pouvons commencer à observer une hausse du taux d’intérêt pour les clients. Bien sûr, cela peut avoir un effet de retardement, mais il est important de noter que cela se produira à un moment donné. En tant qu’institution financière, nous nous efforçons de maintenir une gestion prudente de nos ressources pour faire face à cette situation difficile et continuer à servir nos clients de manière efficace.
Pouvez-vous nous détailler le projet de prêt de 242 millions d’euros à Sococim Industries et son importance pour votre banque ?
Au-delà de l’aspect économique, cette transaction a des composantes environnementales très intéressantes. Environ 70 % de l’énergie utilisée sera d’origine alternative, donc moins polluante, et cela devrait permettre de réduire de plus de 300 000 tonnes les émissions de CO2 d’ici 2030. À chaque transaction que nous finançons, des due diligence sont menées par nos équipes crédit pour nous assurer que le risque environnemental et social est maîtrisé dans le financement que nous accordons. Cette approche est une tradition à Ecobank depuis de longues années et notre politique de crédit est très claire sur les aspects environnementaux et sociaux.
“Nous sommes convaincus que nous pouvons créer de la valeur en nous associant à des Fintechs qui, reconnaissons-le, sont beaucoup plus agiles et innovantes que nous”.
Il s’agit donc d’une transaction ayant un impact favorable sur l’écosystème environnemental du pays, et qui est bénéfique pour l’économie en général, avec des effets d’entraînement à travers toute la chaîne de valeur, ainsi que sur la capacité de production et la croissance économique du pays.
Les ventes de ciment sont cruciales pour le développement des infrastructures, en particulier pour le logement des ménages, dans un pays à la population jeune, dynamique et en pleine croissance. Cette transaction permettra donc de renforcer la capacité de production de Sococim, tout en garantissant l’accès aux matières premières nécessaires à cette production.
Comment appréhendez-vous la perspective de forte croissance économique promise pour le Sénégal à partir de 2023-2024 ?
Ce qu’il faut remarquer, c’est que depuis quelques années, mis à part la parenthèse Covid, le Sénégal a connu une forte croissance économique – de l’ordre de 6% depuis 2014. Maintenant, cette croissance est portée par l’émergence d’un nouveau secteur industriel : la production de gaz et de pétrole. C’est l’entrée en production de ces ressources qui aura un impact significatif sur la croissance du pays.
“Fondamentalement, une nouvelle économie va se dessiner dans ce secteur car le Sénégal était jusqu’à présent un pays consommateur de produits pétroliers”.
La chaîne pétrolière pourrait entraîner la création de nouvelles PME. À cet effet, une loi a été votée et promulguée pour encourager le contenu local, obligeant ainsi la compagnie à allouer une partie de ses marchés et de son budget à des entreprises locales. Nous travaillons donc activement pour soutenir ces PME dans leur transformation, répondant aux exigences normatives, opérationnelles et de capacité imposée par cette demande.
Cela nécessite une intervention significative en matière de financement pour assurer leur croissance et leur développement, ainsi que pour contribuer à la création de richesse et de volume d’activité pour les banques. Les effets d’entraînement de cette transformation toucheront tous les secteurs, car une production d’énergie suffisante et peu coûteuse peut attirer davantage d’investisseurs, en particulier des investisseurs industriels, qui vont évaluer les avantages coûts et choisir le Sénégal comme destination d’investissement.
En tant que groupe bancaire panafricain, comment votre entreprise a-t-elle été impactée par la dévaluation de certaines monnaies cette année ?
Vous le savez, la zone CFA est quelque peu différente, dans la mesure où nous sommes une zone d’intégration monétaire. Nous avons huit pays en Afrique de l’Ouest et six pays en Afrique centrale, qui fonctionnent de façon parfaitement intégrée sur le plan monétaire et financier. Cela crée une solidité et une bonne gestion des réserves de change. Ajouter une couche de stabilité à ce que nous connaissons déjà en raison du régime fixe que nous avons avec l’euro. La situation du Ghana est quelque peu différente dans la mesure où le Ghana est un pays avec sa propre monnaie et qui a choisi de fonctionner en parité flottante avec les différentes devises.
Très clairement, on sait que chaque choix que vous faites en matière de politique économique a ses avantages et ses inconvénients. Nous avons pu voir la croissance rapide et forte de l’économie ghanéenne ces dernières années, qui ont permis au pays de se positionner. Mais l’économie est faite de cycles, il y a des hauts et des bas. Le Ghana passe actuellement par des moments un peu difficiles mais très clairement, la situation est sous contrôle et nous avons un groupe assez fort. Notre filiale là-bas est l’une des plus importantes du groupe. C’est la première banque du pays et c’est une situation qui est largement maîtrisée et qui va se normaliser.
Nous voyons un intérêt croissant pour les Fintechs au Sénégal. Quels sont vos liens avec ces nouveaux acteurs de la finance ?
Nous sommes convaincus que nous pouvons créer de la valeur en nous associant à des Fintechs qui, reconnaissons-le, sont beaucoup plus agiles et innovantes que nous.
Nous sommes très engagés vis-à-vis de la communauté Fintech et travaillons en étroite collaboration avec elle. Pour témoigner de cette politique mise en œuvre, nous avons organisé il y a deux ans un forum sur la Fintech où nous avons présenté notre stratégie.
Ce fut un tournant décisif qui nous a permis d’attirer un grand nombre de Fintechs avec lesquelles nous travaillons aujourd’hui et que nous accompagnons dans divers développements. Nous lançons conjointement des solutions innovantes sur le marché et agissons en tant que conseillers pour leur permettre de se conformer aux règles en vigueur.
Le secteur bancaire africain compte une multitude d’acteurs. Pensez-vous qu’il y a un besoin de consolidation pour financer des projets plus importants ?
Je partage le point de vue selon lequel la compétition peut être l’élément clé et qu’il n’y a pas de limite à proprement parler qu’on devrait se fixer. Il faut laisser la place à tous ceux qui ont la prétention d’offrir des services meilleurs, avec une capacité d’innovation et d’expérience client assez forte pour pouvoir s’installer. Le reste de la concurrence est régulé par le marché.
La concurrence est un vecteur de création d’emplois pour les jeunes notamment, et elle vient avec des moyens supplémentaires pour financer l’économie. Maintenant, lorsqu’on regarde la composition du paysage, on voit effectivement parfois une certaine fragilité liée potentiellement à des moyens ou à du capital. Fondamentalement, nous pensons que si les règles sont respectées, si la réglementation est respectée, la concurrence devrait jouer son rôle.
Qu’espérez-vous en termes d’activités pour le reste de l’année ?
L’année 2023 a démarré plutôt bien pour nous. Nous continuons à mettre en place notre plan quinquennal et nous voyons cette année comme étant pleine d’opportunités, mais également comme une année où nous devons être prudents. Nous avons des sujets à surveiller de près. Le pays s’apprête à entrer dans une nouvelle phase de son développement économique et ce nouveau secteur est très attendu. Nous sommes conscients de l’importance de notre rôle dans cette dynamique et nous sommes déterminés à y jouer notre part.
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