Avec la TICAD, Tokyo renforce son influence

La conférence phare Japon-Afrique, qui se tiendra à Tunis les 27 et 28 août, donnera au Japon une chance de remettre ses relations avec l’Afrique sur les rails. Un aperçu des relations du Japon avec le continent.

 

Les relations du Japon avec le continent africain sont de nouveau sous les feux de l’actualité, à l’approche de la huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 8), qui se tiendra en Tunisie du 27 au 28 août. Dans le passé, Tokyo a largement exercé son influence sur le continent par le biais du soft power, de l’Aide et du développement, tandis que le secteur privé et les prêteurs commerciaux se sont montrés plus prudents.

Pourtant, Tokyo espère donner à son secteur privé un nouvel élan pour investir en Afrique et prêter au continent alors que l’engagement économique de son grand rival géopolitique, la Chine, s’essouffle et que l’économie mondiale subit le double impact de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine.

La demande pour le type de prêt préférentiel offert par Tokyo devrait être particulièrement élevée, car la hausse des niveaux de la dette souveraine africaine rend plus difficile l’obtention d’autres sources de prêt. Le nombre de puissances mondiales qui cherchent à jouer un rôle important dans la vie politique, diplomatique et économique de l’Afrique n’a cessé d’augmenter depuis la fin de la guerre froide. Jusqu’à présent, le rôle du Japon a été éclipsé par la Chine, qui a été la plus grande source de financement de projets bilatéraux depuis le début du millénaire, stimulée par l’octroi de prêts bon marché pour des projets développés par des entrepreneurs chinois afin de les occuper en période de baisse de la demande intérieure chinoise.

Sous la direction Shinzo Abe, Premier ministre de 2006-2007 et de 2012-20, qui a été assassiné en juillet, les tentatives du Japon pour courtiser le continent ont franchi une nouvelle étape, avec de nouvelles tournées sur le continent et des rencontres entre dirigeants. On a cherché à dépeindre la politique de Tokyo comme un effort pour contrer l’influence chinoise sur le continent, mais la valeur monétaire de ses prêts et de ses investissements reste minuscule comparée à celle de Pékin. Au contraire, le gouvernement japonais a promis de privilégier la qualité à la quantité dans ses engagements financiers envers les pays africains. Le gouvernement actuel du Premier ministre Kishida Fumio s’est engagé à maintenir et à diversifier le niveau d’intérêt d’Abe pour l’Afrique.

Des chantiers concrets

Tokyo a toujours financé une série de projets différents, avec des secteurs différents à des moments différents. Il y a dix ans, c’était le secteur portuaire, avec un financement japonais pour un nouveau terminal à conteneurs dans le port mozambicain de Nacala et aussi pour le deuxième terminal à conteneurs dans le principal port du Kenya, Mombasa. Aujourd’hui, ce sont les renouvellements qui sont privilégiés pour favoriser le développement, tout en valorisant l’expertise japonaise. Tokyo a financé la construction de l’unité 6 de 83 MW du site géothermique d’Olkaria, au Kenya, qui s’est achevée en avril. Il a accordé un prêt à faible taux d’intérêt de 99,6 milliards de yen (environ 745 millions d’euros) pour financer le nouveau projet ainsi que les lignes de transmission nécessaires pour relier la centrale au reste du pays. Les travaux ont été réalisés par deux entreprises japonaises, Fuji Electric Global et Marubeni Corporation. Il s’agit d’un domaine dans lequel le Japon est spécialisé, les entreprises japonaises fournissant plus de turbines géothermiques que le reste du monde réuni, tandis que l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) finance des projets géothermiques dans le monde entier.

Le prêt de 29 milliards de yens destiné au volet production du projet est assorti d’un taux d’intérêt préférentiel de 0,2 %, remboursable sur trente ans, dont un délai de grâce de dix ans. Le gouvernement japonais avait déjà accordé 94 millions de dollars pour la remise à neuf des unités 1-3 vieillissantes d’Olkaria en 2018.

Parmi les autres domaines qui attirent d’importants financements japonais, notamment de la part de la JICA et de la Banque japonaise pour la coopération internationale, figurent les projets agricoles et routiers, le soutien total de la JICA à l’Afrique atteignant 226 milliards de yens en 2020.

Peu d’investissements privés

Shinzo Abe souhaitait que les relations du Japon avec l’Afrique soient davantage axées sur les investissements que sur l’aide, mais sa promesse d’investissements à grande échelle par des entreprises japonaises du secteur privé ne s’est pas encore concrétisée. La diversification de l’éventail des partenaires commerciaux du Japon était un élément clé d’Abenomics, la stratégie économique d’Abe. Cependant, le manque de familiarité des entreprises japonaises avec le continent a fait que la plupart d’entre elles continuent à se concentrer sur des marchés plus proches de chez elles.

Le nombre d’entreprises japonaises opérant en Afrique a lentement augmenté, passant de 520 en 2010 à 796 en 2019, mais l’investissement total semble avoir diminué ces dernières années avec la crise sanitaire. Selon le ministère des Finances, les nouveaux investissements annuels sont passés de 590 millions de dollars en 2019 à 310 millions $ en 2021.

Lors des discussions entre le ministre japonais des Affaires étrangères, Yoshimasa Hayashi, et les ministres de cinquante nations africaines en mars, en préparation de la TICAD 8, Hayashi a souligné le soutien japonais à la fois aux investissements des entreprises japonaises en Afrique et à la croissance du secteur privé africain. Toutefois, la mise en œuvre de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) pourrait avoir un certain impact sur ces chiffres au cours des prochaines années. Dans l’intervalle, le financement bilatéral est resté le principal moteur de l’engagement japonais en Afrique. Le soutien japonais à l’Afrique a été salué pour avoir aidé à amortir les économies africaines de l’impact économique de l’invasion russe en Ukraine. En 2021, JICA a accepté de prêter 73,6 milliards de yen (550 millions d’euros, environ) à la BAD. « Nous n’avons jamais connu un tel défi ou une telle pression sur notre capacité à soutenir le développement en Afrique », déclarait, en mai 2022, Ahunna Eziakonwa, directeur général du bureau régional pour l’Afrique du Programme des Nations unies pour le développement.

 Contrer l’influence chinoise ?

« Un multilatéralisme renforcé et des partenariats solides, notamment avec les entités gouvernementales et le secteur privé japonais, seront décisifs pour soutenir l’aptitude des pays africains à répondre aux nouveaux chocs économiques causés par la guerre en Ukraine, à un moment où ils étaient déjà ébranlés par la Covid-19 », poursuivait Ahunna Eziakonwa.

Tokyo cherche à contrer l’influence diplomatique que les investissements et les prêts de Pékin en Afrique lui confèrent sur des questions telles que l’indépendance de Taïwan et les revendications territoriales en mer de Chine méridionale, où de nombreuses nations asiatiques revendiquent des territoires. La déclaration de Yokohama, qui a été signée lors de la TICAD 7 en 2019, a obligé tous les signataires à respecter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), en opposition effective à la stratégie de la Chine qui cherche à sécuriser unilatéralement ses revendications en mer de Chine méridionale.

Le Japon souhaite également contrer la présence militaire chinoise croissante en Afrique, mais pas par le biais d’un déploiement militaire japonais. Une autre préoccupation concerne le soutien africain à Moscou, puisque seuls 28 pays africains ont voté en faveur de la résolution de l’ONU condamnant l’invasion russe en Ukraine (Tokyo est un allié ferme de l’Occident sur cette question). Tokyo pourrait également chercher à obtenir un soutien pour sa propre candidature à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Toutefois, il n’y a aucune chance que le Japon cherche à concurrencer la Chine sur le plan économique en Afrique, compte tenu du niveau des investissements et des prêts consentis par Pékin sur le continent.

Une chance de renouveau

Les événements réguliers de la TICAD ont contribué à promouvoir les relations africano-japonaises. Tokyo a traditionnellement concentré son budget d’aide à l’étranger sur l’Asie du Sud-Est, mais n’a cessé d’accroître son engagement envers l’Afrique au cours des vingt dernières années. Tokyo cherche à apaiser les critiques concernant ses prêts à l’Afrique en proposant des taux d’intérêt minimaux et des conditions de remboursement faciles, tout en veillant à ne pas prêter aux gouvernements africains ayant une dette souveraine élevée ou un profil d’endettement instable. TICAD a été organisé pour la première fois en 1993 afin de promouvoir les relations entre le Japon et les pays africains, les ONG et le secteur privé étant également invités à participer, sur un pied d’égalité. Depuis lors, les Nations unies, l’Union africaine et la Banque mondiale ont été parmi les organisations à se joindre au gouvernement japonais pour organiser les conférences suivantes. Les principaux thèmes de chaque TICAD ont varié depuis 1993, même si la promotion de la prévention des maladies et l’amélioration de l’accès aux soins de santé ont constitué le fil conducteur des engagements pris lors de chaque conférence. La précédente édition de la TICAD s’est tenue à Yokohama en 2019, mais celle de cette année est la deuxième à se tenir en Afrique plutôt qu’au Japon. Tokyo a progressivement renforcé sa présence diplomatique en Afrique et dispose désormais d’ambassades dans 35 pays du continent. Parmi les autres projets, citons l’Africa Business Education Initiative, qui a été lancée en 2013 pour permettre aux fonctionnaires, aux représentants d’entreprises et aux étudiants africains d’étudier ou d’effectuer des stages au Japon. Plus de 1 200 personnes de tous les pays africains ont jusqu’à présent participé à ce programme.

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