Des tensions inflationnistes contenues, mais palpables

Thiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la BCEAO

La BCEAO se dit attentive à l’évolution des prix en Afrique de l’Ouest. Lesquels sont exacerbés par des facteurs autant externes (pandémie, Ukraine) qu’internes (mauvaises récoltes, tensions politiques). Pour l’heure, le soutien à la relance post-Covid reste prioritaire.

La Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest a décidé, le mois dernier, de maintenir sa politique monétaire inchangée. Pourtant, son Comité de politique monétaire avait pris connaissance d’une note de conjoncture, publiée le 31 mars, prévenant des menaces inflationnistes à court et moyen terme. Aussi, la BCEAO prévient-elle qu’elle restera vigilante à la dynamique d’évolution des prix et qu’« elle prendra, le cas échéant, les mesures nécessaires pur assurer la stabilité des prix ». Comprendre, relever les taux directeurs et ainsi réduire la croissance de la masse monétaire. Il semble que pour l’heure, le banquier central d’Afrique de l’Ouest se préoccupe surtout du ralentissement économique, visible dans les pays occidentaux clients, redoutant également des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement.

« Si la reprise de l’activité économique mondiale a été vigoureuse en 2021, l’économie mondiale aborde l’année 2022 dans des conditions moins favorables que prévu », soulignent les économistes de la BCEAO.

Qui estiment que les perspectives de croissance mondiale présentent également une balance des risques orientée à la baisse, devant l’émergence de nouveaux variants du coronavirus, la persistance des perturbations des chaînes d’approvisionnement, le relèvement des taux directeurs par les pays avancés et l’intensification des tensions géopolitiques qui pourraient exacerber la hausse des prix des matières premières.  Les prévisions de croissance pour la zone UEMOA (6,1% en 2022 et 7,9% en 2023) « restent entourées de risques fortement baissiers liés notamment à l’évolution des situations sécuritaire et socio-politique dans la sous-région, ainsi qu’aux conditions météorologiques. »

Pas de panique toutefois, la consolidation budgétaire (réduction des déficits publics) devrait se poursuivre, les déficits repassant sous les 3% à compter de 2024. Au plan des échanges extérieurs, le déficit courant devrait se stabiliser cette année et réduire en 2023, essentiellement, il est vrai, en raison des exportations de pétrole du Niger et du Sénégal. De plus, l’excédent de la balance des paiements ne ferait que croître.

Des hausses de taux préjudiciables

Du côté des prix, les économistes prévoient une inflation de 4,9% en 2022, ramenée à 2,8% en 2023, après 3,6% en 2021. Si tout va bien, l’inflation serait même ramenée à 2,6%, en glissement annuel, au quatrième trimestre 2023, c’est-à-dire dans la zone cible (1,0% à 3,0%) de la politique monétaire.

L’hypothèse sous-jacente est que progressivement, les tensions inflationnistes vont diminuer, même moins vite qu’il n’était prévu en fin d’année 2021, à la faveur d’une crise sanitaire moins pesante. C’est-à-dire que les échanges commerciaux reprennent un cours normal.

Hypothèse qui serait invalidée si la crise sanitaire venait à se prolonger. Et si le relèvement des taux décidé par les banques centrales des pays avancés « venait à compromettre la stabilité financière et faire surgir des risques pour les flux de capitaux, les devises et les finances publiques des pays émergents et en développement », prévient l’institution monétaire. Pour l’heure, ce n’est pas le cas, mais ces pays sont fragiles, surtout après l’augmentation conséquente des niveaux d’endettement au cours des deux dernières années.

Enfin, une perturbation des chaînes d’approvisionnement, pour des motifs sanitaires ou de tensions politiques, pourrait entraver la circulation des marchandises essentielles à la santé publique.

Concernant l’inflation, la BCEAO mise sur un cours moyen du pétrole brut de 100 dollars le baril en 2022, contre 71,5 $ en 2021, avant un repli à 92,5 $ en moyenne l’année prochaine. De leur côté, les prix des principaux produits non énergétiques exportés par les pays de l’Union devraient poursuivre leur raffermissement au cours des années 2022 et 2023, sous l’effet de la reprise de la demande à l’échelle mondiale et de l’amélioration des perspectives économiques.  Quant aux produits alimentaires importés par l’Union, on peut s’attendre à une hausse des cours mondiaux en 2022 (+10%) et 2023 (+5%).

Dépendance à la pluviométrie

En Afrique de l’Ouest, la BCEAO veut croire au succès des campagnes de vaccination, et donc à l’absence de mesures drastiques de confinement. En revanche, la campagne agricole 2021-2022 a été peu satisfaisante dans la plupart des États membres de l’Union, particulièrement dans les pays sahéliens, du fait de l’apparition de poches de sécheresse et de l’arrêt précoce des pluies.

Pour la prochaine campagne 2022-2023, le scénario central retient une hausse de 5,0% de la production céréalière, sous l’hypothèse d’une bonne pluviométrie.

Tout cela ne sera pas sans conséquences sur les prix. En effet, les tensions observées sur les cours de certains produits alimentaires importés notamment le blé, le sucre et les huiles pourraient être répercutées sur les prix à la consommation. Enfin, la persistance de la hausse des cours mondiaux du pétrole brut pourrait se traduire par un renchérissement des prix à la pompe.

Le Magazine de l’Afrique

Author: admin