Ousmane Sy Ndiaye est le Directeur exécutif de l’une des plus grandes organisations regroupant des commerçants, l’Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS). Il a été de tous les combats et de toutes les négociations menés par ladite organisation, depuis sa restructuration intervenue en 2008. M. Sy est la personne indiquée pour faire le diagnostic de la situation difficile qui secoue le secteur marchand. Entretien
Vous avez entretenu depuis avril 2012 de bonnes relations avec le gouvernement, notamment en l’aidant dans la baisse et le maintien des prix de certaines denrées de première nécessité. Mais en ce moment, vous ne parlez plus le même langage. Que s’est-il passé ?
La réponse la plus simple, c’est que la crise sanitaire est passée par là. Nous savons que la crise du Covid a remis en cause tous les schémas de développement, tous les mécanismes mis en place y compris, les mécanismes d’approvisionnement des marchés. Il est donc important, que notre pays s’ajuste du point de vue de ses politiques sectorielles, mais surtout en faveur d’une meilleure restructuration des relations d’échanges, qu’il doit entretenir avec son secteur privé. Malheureusement, c’est cet ajustement qui a manqué, surtout du point de vue du dialogue qui doit le sous-tendre.
Ce n’est pas la première crise que le Sénégal traverse. Nous avons connu des crises, aussi aiguës que celle que nous sommes en train de vivre. Par exemple, il y a eu la crise, qui avait été à l’origine de la dévaluation du Francs CFA. Elle était d’une acuité, que le gouvernement de l’époque s’est rendu compte, qu’il fallait mettre en place un dispositif de co-pilotage, avec le secteur privé afin de corriger tous les dysfonctionnements. Nous avons aussi connu la crise de 2008, relative à la faim, où on a vécu une inflation plus virulente, et de loin plus aiguë que celle que nous vivons en ce moment. Pour autant, notre pays a pu faire face à cette crise, par le jeu de la concertation et du rapprochement Etat/ secteur privé. Je pense que nous devons capitaliser et apprendre des expériences, que nous avons tirées des crises précédentes, pour alimenter nos réflexions et surtout nous ajuster pour faire face aux contraintes, que la crise actuelle nous impose. C’est ce qui a manqué, si bien que, le pays entier semble avoir été surpris par cette hausse généralisée des prix qu’on voyait venir, parce que c’était la tendance au niveau mondial. Nous avons connu un renchérissement des coûts, notamment ceux du fret maritime, mais les coûts auxquels nous accédions habituellement aux ressources bancaires, parce que le risque est devenu désormais plus aléatoire, surtout le risque de ne pas être livré à temps, parce qu’il y a un déficit de containers ou un déficit de bateaux. Il faut que les vaccins soient acheminés. C’était les priorités pour tous les pays, et voilà, c’est cela le contexte. Dans une situation comme celle-ci, pour nous, il est fondamental qu’un pays se serre les coudes, se donne la main pour développer des solidarités nécessaires, et surtout convenir des orientations et des directions à prendre.
Sur un produit comme le sucre, vous aviez un accord avec le gouvernement dirigé par le Premier ministre Abdoul Mbaye, qu’est ce qui s’est passé pour que les tensions se multiplient sur cette question ?
Ce qui s’est passé sur le sucre, c’est qu’il y a une absence totale de transparence et de fermeté sur la gestion de cette filière, et surtout sur la partie importation. Le Ministre du Commerce, a révélé avoir été saisi, par courrier par la Compagnie sucrière du Sénégal (CSS), depuis le mois de mars 2021. Mais comment comprendre que, cinq mois après, que l’on se retrouve dans une situation de pénurie.
Quand une industrie de cette envergure qui a un contrat de concession, qui a quasiment l’exclusivité de la production du sucre dit au gouvernement, que je dispose de 25. 000 tonnes, comment cela se fait, que l’on se retrouve dans une situation de pénurie. C’est pourquoi, nous avons estimé que les responsabilités doivent être situées. Pourquoi cette pénurie a été planifiée ? D’abord par le courrier de la CSS, mais ensuite par le manque de réactivité du Ministère du Commerce. Comment on a fait pour en arriver à cette situation. C’est une grosse préoccupation.
Nous savions tous, depuis le début de l’année que notre marché intérieur aurait besoin de 60. 000 à 70. 000 tonnes de sucre de plus pour son approvisionnement. On le sait, c’est la règle. Parce que la production de la Compagnie sucrière ne peut pas couvrir les besoins du marché. Ce n’est pas un secret pour personne. Ces besoins doivent être complétés par l’importation. Mais pourquoi, on attend toujours la dernière minute pour s’y prendre. Que cherche-t-on à créer comme situation ? Pourquoi on n’a pas pris les dispositions à temps ? Parce que les choses sont à portée de main. Et surtout s’y prendre, quand le marché mondial du sucre est à un niveau abordable, donc profitable pour les consommateurs sénégalais. C’est là tout l’intérêt de développer le partenariat public-privé, parce qu’un bon rapprochement avec le secteur privé aurait permis à notre pays d’approvisionner son marché à temps, d’organiser le stockage, avec un stock de sécurité, pour faire face à la nécessaire régulation du marché aussi bien sur les prix que sur les stocks. Mais quelqu’un a laissé faire et la question est de savoir pourquoi ?
Maintenant comment les commerçants doivent-ils se comporter face aux mesures prises par le gouvernement concernant les prix des denrées ?
Il est heureux que le Ministère prenne des décisions, c’est important. Dans des situations de cette nature, il faut faire valoir la solidarité et mettre en avant l’intérêt général. En ce moment, les prix à défaut de baisser doivent être stabilisés. C’est fondamental pour que les consommateurs retrouvent un minimum de quiétude dans leurs besoins d’approvisionnement. Maintenant, une chose était de prendre le texte qui est la décision majeure de stabilisation des prix, une autre est d’organiser maintenant sa mise en œuvre. Il faut que cela soit une exécution intelligente. Il faut qu’elle soit faite de concert avec les commerçants. Parce que, il faut que l’Etat par le biais du Ministère du commerce nous considère comme des partenaires.
Certains commerçants ont la possibilité de compresser leurs marges, mais faudrait-il pour autant qu’on leur donne la possibilité de se rattraper sur d’autres produits. Donc, il y a une organisation à faire. Il faut rassurer les commerçants. Mais je pense également qu’avec les instruments financiers mis en place par l’Etat, il faut aussi favoriser de plus en plus leur accès à ses instruments pour les appuyer, sur la partie charge financière relative au financement de leurs activités. L’Etat a plusieurs leviers sur lesquels, il peut appuyer pour aider les commerçants. Mais le plus important, c’est le levier émotionnel. Je pense qu’il faut que les relations entre l’Etat et le secteur privé de manière globale, mais plus spécifiquement entre l’Etat et le secteur marchand soient décomplexées et que la confiance revienne. Cela est fondamental. Nous en avons besoin pour asseoir de bonnes conditions de relance de ce programme PAP2A à travers sa déclinaison dans le secteur du commerce.
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