Par Dr. Cheikhna Hamallah Ndiaye
La Vision Sénégal 2050 marque une rupture assumée avec des trajectoires de croissance fragiles, dépendantes et faiblement inclusives. Elle ambitionne une transformation systémique de l’économie et de la société sénégalaises. Une telle ambition ne peut aboutir sans une réflexion lucide et structurée sur l’architecture des compétences mobilisées dans l’emploi, l’administration, les entreprises et les territoires.
La question centrale n’est donc pas de déterminer quelle profession serait la plus importante, mais comment articuler intelligemment les rôles et les expertises afin de produire des résultats durables, mesurables et socialement acceptés.
- Comprendre la chaîne de création de la croissance
La croissance n’est pas un événement ponctuel ; elle résulte d’une chaîne de valeur structurée, comprenant :
- Vision et orientation stratégique
- Traduction en politiques publiques
- Mise en œuvre technique
- Encadrement juridique et institutionnel
- Acceptation sociale et inclusion
- Évaluation, ajustement et durabilité
Chaque maillon correspond à des profils professionnels spécifiques. L’une des erreurs récurrentes dans de nombreux pays en développement consiste à survaloriser un maillon au détriment des autres, fragilisant ainsi l’ensemble du processus de transformation.
- Le rôle structurant des économistes : orienter et arbitrer
Dans la Vision Sénégal 2050, les économistes occupent un rôle central, sans pour autant être hégémonique.
Fonctions clés :
- Analyse des contraintes structurelles (productivité, emploi, balance commerciale)
- Définition des choix sectoriels stratégiques (agriculture moderne, industrie, services à valeur ajoutée)
- Arbitrage budgétaire et optimisation de l’efficacité de la dépense publique
- Évaluation des politiques publiques
Limite structurelle :
Un économiste dépourvu de relais techniques et institutionnels peut produire des stratégies conceptuellement solides mais faiblement opérationnelles. Leur légitimité repose sur leur capacité à dialoguer de manière constante avec les ingénieurs, les juristes et les acteurs sociaux.
- Les juristes : de la production normative à la gouvernance efficace
La Vision Sénégal 2050 requiert moins de textes, mais des normes de meilleure qualité, appliquées de manière crédible et cohérente.
Fonctions clés :
- Simplification et modernisation du droit économique
- Sécurisation juridique des investissements et des partenariats public-privé
- Renforcement de l’État de droit économique
- Régulation des marchés et protection de la concurrence
Mutation attendue :
Le juriste de 2050 n’est plus seulement un technicien de la norme, mais un acteur de la performance institutionnelle. Sans cette évolution, le droit risque de devenir un facteur de rigidité plutôt qu’un levier de transformation.
- Les ingénieurs et profils techniques : le cœur de la transformation réelle
La Vision Sénégal 2050 est, par nature, productive et technologique.
Profils critiques :
- Ingénieurs industriels et agricoles
- Énergéticiens, hydrologues, urbanistes
- Spécialistes du numérique, de la data et de l’intelligence artificielle
- Techniciens supérieurs et formateurs professionnels
Enjeu majeur :
La transformation économique ne peut s’opérer sans une masse critique de compétences techniques locales, capables de concevoir, construire, maintenir et innover. C’est à ce niveau que se joue la souveraineté économique réelle.
- Capital humain et cohésion sociale : un pilier structurel
Une croissance non inclusive fragilise durablement la stabilité sociale et politique.
Profils essentiels :
- Éducateurs, formateurs et spécialistes de l’orientation professionnelle
- Professionnels de la santé et de la protection sociale
- Sociologues et experts en politiques sociales et territoriales
La Vision Sénégal 2050 ne peut réussir sans un investissement massif dans la qualité humaine pour une croissance inclusive.
- Environnement et durabilité : intégrer la contrainte climatique
Le changement climatique constitue désormais un déterminant économique central, et non un simple enjeu sectoriel.
Profils clés :
- Experts en adaptation et résilience climatique
- Spécialistes de l’économie verte et bleue
- Ingénieurs environnementaux et planificateurs territoriaux
La croissance future sera durable ou structurellement vulnérable.
- Proposition d’équilibre stratégique des profils
Pour les emplois structurants (État, collectivités, agences, grandes entreprises, projets nationaux), un équilibre fonctionnel renforcé pourrait être le suivant :
- Profils techniques et scientifiques : 35 %
- Économistes et planificateurs : 20 %
- Juristes et experts en gouvernance : 15 %
- Éducation, santé et social : 15 %
- Environnement, climat et territoires : 10 %
- Management, finance, entrepreneuriat : 5 %
Ce schéma traduit un choix stratégique clair : placer la transformation productive et humaine au cœur du modèle, tout en sécurisant l’action publique.
Conclusion : un défi organisationnel, non corporatiste
La Vision Sénégal 2050 ne sera pas entravée par un déficit d’idées, mais par :
- une répartition inefficiente des compétences,
- le cloisonnement des professions,
- la sous-valorisation persistante des profils techniques et sociaux.
La réussite de la Vision Sénégal 2050 est conditionnée par la capacité à faire travailler de manière concertée et efficace les économistes, les juristes, les ingénieurs et les acteurs sociaux, au service d’un projet national cohérent, inclusif et durable.
Dr. Cheikhna Hamallah Ndiaye, PhD
Économiste Stratégique Expert en Commande Publique Stratégique, Finances Publiques et Politiques Publiques-Consultant International Senior



