Par: Cheikhna Hamallah NDIAYE, PhD
Lead Public Policy and Economist-International Consultant
Résumé
La dette publique croît à un rythme insoutenable en Afrique de l’Ouest, tandis que la dépendance aux marchés internationaux expose les États à des chocs externes répétés (IMF, 2023). Cette note propose une architecture financière régionale innovante, fondée sur les travaux de plusieurs Prix Nobel (Stiglitz, Tirole, Ostrom, Duflo, Markowitz), alignée sur les objectifs de la ZLECAf et la Vision Sénégal 2050.
L’objectif est de réduire le coût du capital, renforcer la résilience budgétaire, et ancrer une souveraineté financière régionale.
Mots clés : Soutenabilité budgétaire, Mobilisation des ressources, Réformes institutionnelles, Gestion des risques souverains
- Un contexte budgétaire devenu critique
Les économies de l’UEMOA et de l’CEDEAO, ainsi que certains États membres comme le Sénégal, traversent une situation budgétaire particulièrement fragile, reflétée par plusieurs indicateurs récents :
- Selon une mission de l’International Monetary Fund (FMI), la dette publique du Sénégal atteignait 132 % du PIB fin 2024, définition de dette publique retenue (centralisée, totale, avec ou sans arriérés, dette privée garantie, etc.).
- Sur le plan régional, les États membres de l’Union monétaire ouest‑africaine (UEMOA) ont mobilisé en juillet 2025, 1 173 milliards de FCFA sur le marché par adjudication (bons et obligations du Trésor), ce qui illustre la dépendance croissante au financement par dette interne/régionale.
- Pourtant, malgré ces levées de fonds, les marchés régionaux restent peu profonds : la structure de financement privilégie les bons et obligations de court à moyen terme, ce qui reflète une liquidité limitée et une capacité réduite d’absorber des besoins massifs de financement.
- Enfin, la combinaison d’un ratio dette/PIB élevé, d’un coût du service de la dette croissant et de marges de manœuvre budgétaire contraintes met en péril la capacité des États à financer durablement les investissements publics, les dépenses sociales et le développement structurel. La situation reste critique malgré certains signaux de réduction des déficits ou de tentative de stabilisation.
En Afrique de l’Ouest, les indicateurs récents confirment une pression budgétaire exponentielle : la dette publique avoisine ou dépasse fréquemment 100 % du PIB dans des pays tels que le Sénégal, tandis que la dépendance à des marchés financiers régionaux peu profonds, la volatilité des flux de capitaux et le coût croissant du service de la dette complexifient la planification macroéconomique et la conduite des politiques budgétaires au sein de l’UEMOA et de la CEDEAO.
La soutenabilité budgétaire est aujourd’hui confrontée à une convergence de facteurs systémiques : une charge de la dette accrue qui absorbe une part disproportionnée des recettes fiscales, une exposition exacerbée aux chocs exogènes (taux d’intérêt mondiaux, prix des matières premières, instabilité géopolitique), des marchés financiers régionaux fragmentés et peu liquides, des ressources domestiques insuffisantes et une hétérogénéité institutionnelle qui freine l’efficacité des réformes. Ces dynamiques cumulatives menacent non seulement la stabilité macroéconomique, mais restreignent également la capacité d’investissement stratégique des États, compromettant le financement des infrastructures, la transition énergétique et les programmes sociaux.
La question de la soutenabilité budgétaire n’est plus un horizon hypothétique : elle s’impose désormais comme un défi immédiat et multidimensionnel, nécessitant une coordination régionale renforcée, une mobilisation innovante des ressources, une discipline budgétaire rigoureuse et des mécanismes de gestion du risque sophistiqués pour préserver la résilience économique de la région.
- Fondements théoriques : ce que les Prix Nobel éclairent pour l’Afrique
2.1. Asymétries d’information et prime de risque excessive (Akerlof, Spence, Stiglitz – Nobel 2001)
Les travaux sur l’information imparfaite montrent que les investisseurs surévaluent le risque lorsque l’information est fragmentée ou opaque (Akerlof, 1970 ; Stiglitz & Weiss, 1981).
➡ En Afrique, l’absence de data rooms régionales, de pipelines certifiés et de reporting homogène accroît artificiellement le coût de la dette.
2.2. Institutions et gouvernance (North 1993 ; Ostrom 2009)
North démontre que le développement dépend de la qualité des institutions crédibles, stables, prévisibles. Ostrom rappelle que la coopération durable exige des règles communes et des mécanismes collectifs de sanction.
➡ En Afrique, l’hétérogénéité institutionnelle UEMOA/CEDEAO crée des inefficiences et fragilise la soutenabilité budgétaire.
2.3. Diversification du risque et finance moderne (Markowitz 1952 ; Merton & Scholes 1973)
La théorie moderne du portefeuille explique qu’un portefeuille diversifié réduit mécaniquement le risque global.
➡ Une émission obligataire conjointe UEMOA aurait un profil risque-rendement supérieur à celui des obligations nationales isolées.
2.4. Économie du développement expérimentale (Banerjee, Duflo & Kremer – Nobel 2019)
Les politiques publiques efficaces doivent être testées, mesurées et adaptées.
➡ Les réformes fiscales, la digitalisation ou les obligations thématiques doivent suivre une logique pilote → scaling.
2.5. Théorie de la régulation, incitations et notation (Tirole – Nobel 2014)
La régulation optimale nécessite
- transparence,
- discipline budgétaire,
- incitations cohérentes.
➡ La mauvaise coordination régionale dégrade les notations souveraines et renchérit le coût du capital.
2.6. Design institutionnel et coopération (Hurwicz, Maskin, Myerson – Nobel 2007)
Ces travaux montrent comment concevoir des institutions qui incitent à coopérer, même en présence d’intérêts divergents.
➡ L’intégration financière UEMOA–CEDEAO doit reposer sur des règles automatiques : bonus de financement, sanctions, partage des risques.
- Diagnostic condensé
- Charges d’intérêts très élevées (IMF, 2023).
- Dépendance aux eurobonds exposant les pays aux cycles monétaires US/EU.
- Marchés financiers régionaux peu profonds (UEMOA, 2023).
- Absence de pipeline régional certifié.
- Opacité budgétaire persistante.
- Notation souveraine pénalisée par le risque politique (S&P Global, 2023).
- Une architecture financière régionale repensée
- Plateforme de coordination financière panafricaine
(Modèle inspiré du European Stability Mechanism et des travaux de Tirole, 2006)
- Pipeline continental ZLECAf–BAD.
- Normes comptables harmonisées.
- Tableau de bord régional en temps réel.
- Data rooms ouvertes aux bailleurs.
- Réduction du coût du financement de la dette
- Eurobond commun UEMOA (Markowitz 1952 ; Merton 1973).
- Fonds régional de stabilisation (modèle européen ESM).
- Titrisations régionales : énergie, minerais, télécoms.
- Profondeur des marchés financiers
- Fonds de pension africains régulés (AfDB 2022).
- Marché secondaire intégré.
- Agence africaine de notation souveraine.
- Mobilisation des ressources domestiques
(Aligné sur IMF 2023 ; ATAF 2022)
- Digitalisation fiscale totale
- Facturation électronique
- Redevance numérique continentale
- Fiscalité extractive harmonisée CEDEAO
- Obligations diaspora
- Applications nationales et régionales
Sénégal – Vision 2050
- Pipeline d’investissement certifié.
- Obligations bleues/vertes.
- Partenariats régionaux UEMOA–ZLECAf.
UEMOA
- Africabond commun 2026.
- Marché secondaire consolidé.
- Fonds anti-chocs régionaux.
CEDEAO / ZLECAf
- Intégration des régulateurs financiers.
- Marché continental des capitaux.
- Fonds continental de stabilisation.
- Recommandations clés pour décideurs
- Mettre en place un Secrétariat Régional de Coordination Financière.
- Lancer une émission pilote d’africabond commun UEMOA.
- Adopter une Charte de Transparence Régionale.
- Digitaliser 100 % de la fiscalité africaine avant 2030.
- Créer le Fonds Régional Africain de Mobilisation des Ressources (FRAMR).
Conclusion
La soutenabilité de la dette africaine dépend moins de l’abondance des ressources que de la qualité des institutions, de la coordination régionale, de la transparence, et de la diversification des risques.
L’intégration financière UEMOA–CEDEAO–ZLECAf, inspirée des enseignements Nobel, constitue la voie la plus crédible vers une souveraineté financière africaine durable.
Bibliographie
Ouvrages et articles académiques
Akerlof, G. (1970). The market for lemons: Quality uncertainty and the market mechanism. Quarterly Journal of Economics, 84(3), 488–500.
Banerjee, A., & Duflo, E. (2011). Poor Economics. PublicAffairs.
Blanchard, O., & Fischer, S. (1989). Lectures on Macroeconomics. MIT Press.
Hurwicz, L., Maskin, E., & Myerson, R. (2007). Mechanism design. Nobel Prize Lecture.
Markowitz, H. (1952). Portfolio selection. The Journal of Finance, 7(1), 77–91.
Merton, R. (1973). Theory of rational option pricing. Bell Journal of Economics.
North, D. (1990). Institutions, Institutional Change, and Economic Performance. Cambridge University Press.
Ostrom, E. (1990). Governing the Commons. Cambridge University Press.
Stiglitz, J. E., & Weiss, A. (1981). Credit rationing in markets with imperfect information. American Economic Review.
Tirole, J. (2006). The Theory of Corporate Finance. Princeton University Press.
Rapports internationaux (IMF, World Bank, AfDB, Think Tanks)
African Development Bank. (2022). African Financial Markets Report.
Brookings Institution. (2023). Financing Africa’s Development.
Center for Global Development (CGD). (2023). Debt Sustainability and Risk in Africa.
ECOWAS Commission. (2022). Report on Regional Economic Integration.
Fitch Ratings. (2023). Sub-Saharan Africa Sovereign Outlook.
International Monetary Fund. (2023). Regional Economic Outlook: Sub-Saharan Africa.
OECD. (2022). Revenue Statistics in Africa.
S&P Global Ratings. (2023). African Sovereigns Review.
UEMOA Commission. (2023). Rapport sur la stabilité financière dans l’UEMOA.
World Bank. (2023). Africa’s Pulse.
ZLECAf Secretariat. (2023). Continental Strategy for Financial Integration.



