Par: Cheikhna Hamallah NDIAYE, PhD
Lead Public Policy and Economist-International Consultant
Email : nacheikhamallah629@gmail.com
Résumé
La qualité de la gouvernance publique, la transparence institutionnelle et les mécanismes d’intégrité conditionnent directement la performance des marchés, l’efficacité des politiques publiques et la matérialisation des stratégies nationales et continentales de long terme. Cet article mobilise la théorie fondatrice du « market for lemons » de George Akerlof (1970), couronnée par le Prix Nobel d’économie 2001, pour analyser comment la détérioration de la qualité institutionnelle, l’opacité, l’asymétrie d’information, la faible redevabilité, ou encore la dégradation des normes d’intégrité, peuvent générer, au sein de l’État et des marchés, un cercle vicieux de baisse de qualité, de perte de confiance et d’inefficacités systémiques.
Nous démontrons que l’inverse des principes de bonne gouvernance mène mécaniquement à des dynamiques de « marchés d’occasion » où les mauvais acteurs chassent les bons, compromettant la Vision Stratégique Sénégal 2050, les ambitions de transformation structurelle, et les objectifs de la ZLECAF pour l’Afrique.
Mots clés : Transparence, Intégrité, Gouvernance, Harmonisation
- Introduction
Les trajectoires de développement reposent sur la confiance institutionnelle, la qualité des politiques publiques et la crédibilité des systèmes d’allocation des ressources. Lorsque ces fondations s’érodent, les économies basculent vers des dynamiques proches des markets of lemons, dans lesquels l’information imparfaite et l’opacité favorisent la prolifération des acteurs de moindre qualité.
Cette théorie, initialement développée pour expliquer les marchés de voitures d’occasion (Akerlof, 1970), est d’une pertinence majeure pour comprendre les effets de mauvaise gouvernance, de déficits de transparence, ou de faible discipline administrative dans les systèmes publics africains.
Dans le contexte de la Vision Sénégal 2050 et la mise en place de la ZLECAF, qui exige une gouvernance solide pour garantir transformation économique, stabilité institutionnelle et compétitivité, ces dynamiques de marchés dégradés constituent une menace stratégique.
- Cadre théorique : Akerlof (1970) et les marchés de mauvaise qualité dans la gouvernance étatique
2.1. Asymétries informationnelles et défaillances de gouvernance
Selon Akerlof, une asymétrie d’information entraîne :
- la montée des « mauvais » acteurs,
- la sortie des « bons » acteurs (sélection adverse),
- la baisse de la confiance dans tout le marché,
- une dégradation systémique et auto-entretenue.
Appliqué à la gouvernance :
- opacité = asymétrie d’information ;
- faible redevabilité = capacité des mauvais acteurs à rester ;
- absence de contrôle = incitation pour les bons acteurs à sortir (moralité, motivation, performance).
Conséquence : le système public devient un marché d’occasion.
2.2. Dégradation cumulative de la qualité étatique
Lorsque les principes de bonne gouvernance ne sont pas appliqués, les « lemons » (mauvaises pratiques, acteurs non performants, comportements de rente) :
- contaminent la chaîne de valeur publique,
- réduisent la qualité des services publics,
- augmentent les coûts pour l’État,
- créent un environnement défavorable pour les investissements privés,
- affaiblissent les résultats des politiques publiques.
- Applications à la gouvernance de l’État : comment naissent les marchés institutionnels d’occasion
3.1. Dans l’administration publique
- Opacité dans les recrutements → sélection adverse → baisse de compétence.
- Procédures non transparentes → corruption → baisse de confiance.
- Absence d’évaluation → inefficacité → inefficience généralisée.
3.2. Dans la commande publique
- Sous-information sur les critères → marchés attribués aux entreprises de faible qualité.
- Absence de sanctions → encouragement des comportements déviants.
- Sous-performance → surcoûts → renégociation → dette publique inefficiente.
3.3. Dans la régulation des marchés économiques
- Informations non vérifiables → mauvaises entreprises tirent les standards vers le bas.
- Faible respect des normes → perte de compétitivité → perte d’attractivité.
- Mise en perspective : risques pour la Vision Stratégique Sénégal 2050
La Vision Sénégal 2050 repose sur :
- un État performant,
- des institutions fortes,
- un secteur privé compétitif,
- une intégration continentale réussie,
- une gouvernance fondée sur transparence, digitalisation et mérite.
Le risque majeur : si les principes de gouvernance ne sont pas respectés,
la Vision 2050 se transforme en un scénario de déclin avec marché d’occasion généralisé.
Conséquences :
- Perte de confiance institutionnelle → retrait des investisseurs.
- Baisse de qualité des politiques publiques → inefficacité budgétaire.
- Spirale de sélection adverse → recul de l’État stratège.
- Incapacité à mobiliser les financements internationaux.
- Risque de capture institutionnelle.
- Implications pour l’Afrique subsaharienne et la ZLECAF
La ZLECAF exige :
- des normes élevées,
- un marché continental transparent,
- la circulation des produits fiables,
- la concurrence loyale,
- la confiance inter-États.
Si les États basculent dans des dynamiques de lemons :
- les produits de mauvaise qualité envahissent les marchés,
- les exportateurs sérieux sont évincés,
- la compétitivité régionale chute,
- les différends commerciaux se multiplient,
- les corridors logistiques se dégradent,
- la ZLECAF perd sa crédibilité.
La théorie de Akerlof démontre qu’une ZLECAF non disciplinée aboutirait mécaniquement à un marché continental d’occasion.
- Recommandations et mesures de mitigation
6.1. Renforcer la transparence systémique
- Digitalisation intégrale de la commande publique.
- Standardisation des données publiques ouvertes.
- Publication proactive des performances administratives.
6.2. Réduire les asymétries d’information
- Systèmes d’évaluation indépendants.
- Certification qualité des acteurs publics et privés.
- Labels de confiance, audits publics et notation des administrations.
6.3. Mécanismes anti-sélection adverse
- Méritocratie dans les recrutements.
- Sanction des comportements déviants.
- Promotion active des « bons » acteurs : entreprises transparentes, fonctionnaires performants.
6.4. Gouvernance stratégique pour Vision 2050
- Cadre de performance à long terme.
- Intégration des risques institutionnels dans la planification stratégique.
- Protection des institutions contre capture politique ou économique.
6.5. Pour la ZLECAF
- Systèmes continentaux de certification qualité.
- Régulateurs interconnectés et harmonisés.
- Mécanismes de prévention des produits « lemons ».
- Observatoire continental de transparence des marchés publics et des partenariats public privé.
- Conclusion
La théorie d’Akerlof nous enseigne que l’absence de transparence institutionnelle conduit inévitablement à une spirale auto-entretenue de dégradation de qualité.
Pour le Sénégal et pour l’Afrique, garantir la Vision 2050 et réussir la ZLECAF nécessite un effort massif de gouvernance publique, de discipline des marchés et d’intégrité institutionnelle.
La qualité n’est pas une option : elle est la condition d’existence des marchés modernes.
Références
- Akerlof, G. A. (1970). The Market for “Lemons”: Quality Uncertainty and the Market Mechanism. Quarterly Journal of Economics.
- Akerlof, G., Spence, M., Stiglitz, J. (2001). Nobel Prize in Economic Sciences – Information Economics.
- North, D. (1990). Institutions, Institutional Change and Economic Performance. Cambridge University Press.
- Acemoglu, D., & Robinson, J. (2012). Why Nations Fail.
- Kaufmann, D., Kraay, A., & Mastruzzi, M. (2010). The Worldwide Governance Indicators.
- Rodrik, D. (2008). Second-Best Institutions.
- African Union (2020). ZLECAF Framework and Implementation Strategy.
- République du Sénégal (2024). Vision Sénégal 2050 : Document stratégique.



