Rebasing du Sénégal 2021 : Une révolution statistique dans un contexte de crise économique et sociale

Par Dr. Seydina Oumar Seye,
Ce matin à Dakar, 25 novembre 2025, l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) a officiellement présenté les résultats du changement d’année de base des comptes nationaux du Sénégal, passant de la base 2014 à la base 2021. Cet exercice technique, connu sous le nom de rebasing, n’est pas qu’une simple mise à jour méthodologique. Il s’inscrit dans un contexte économique et politique complexe, marqué par une dette publique élevée, un programme de restructuration avec le FMI (négociatios en cours…), et des attentes sociales fortes en matière de justice fiscale et de protection des ménages.
Une mise à jour nécessaire pour une économie en mutation
Le rebasing est un processus périodique recommandé par les instances internationales comme Eurostat et le Système de Comptabilité Nationale (SCN 2008). Il vise à mieux refléter la structure réelle de l’économie en intégrant de nouveaux secteurs, en actualisant les nomenclatures et en améliorant les méthodologies de collecte.
Au Sénégal, cet exercice a permis de réévaluer le PIB de 2021 à 17 316 milliards FCFA, soit une hausse de 13,5 % par rapport à l’ancienne base. Cette révision s’explique par :
· L’intégration de nouvelles sources de données (+11,6 points) ;
· La mise à jour des sources courantes et des classifications (+3,0 points) ;
· Des améliorations méthodologiques (-1,2 point), notamment dans l’estimation de la recherche et développement et des activités minières.
Une photographie plus juste de l’économie sénégalaise
Le rebasing a mis en lumière plusieurs transformations structurelles :
· Le secteur tertiaire renforce sa prédominance, passant de 50,5 % à 53,4 % du PIB.
· Le secteur informel et les ménages voient leur contribution réévaluée à la hausse (+25 %), confirmant leur poids central dans l’économie.
· Les institutions sans but lucratif (ISBLSM) voient leur contribution multipliée par plus de trois (+258,8 %), grâce à une meilleure prise en compte.
Des enquêtes spécifiques ont été menées pour mieux capter des activités jusque-là sous-estimées : orpaillage, extraction de sable et de sel, transport informel (y compris les motos-taxis « jakarta »), et même les activités illégales (prostitution, drogue). L’intégration de l’hydraulique rurale et de l’auto-construction des ménages a également contribué à une mesure plus exhaustive de la richesse nationale.
Un outil stratégique dans un contexte de crise multiforme
1. Dette publique et ratios macroéconomiques : un soulagement statistique
Le rebasing a un impact direct sur les indicateurs de convergence de l’UEMOA et de la CEDEAO :
· Le ratio dette publique / PIB passe de 90,8 % à 80,0 % en 2021.
· Le déficit budgétaire rapporté au PIB s’améliore, passant de -13,3 % à -11,8 %.
· Le taux de pression fiscale baisse de 18,0 % à 15,9 %, offrant une marge de manœuvre pour une réforme fiscale plus progressive.
Ces améliorations statistiques interviennent à un moment où le Sénégal est engagé dans un programme de restructuration avec le FMI. Elles pourraient faciliter les négociations et alléger les conditionnalités liées à la soutenabilité de la dette.
2. Enjeux fiscaux : élargir l’assiette sans accroître la pression
Comme le souligne l’expert Anouar Ayache, le rebasing ne modifie pas les taux d’imposition, mais élargit l’assiette fiscale. Cela ouvre la voie à :
· Une suppression progressive des exonérations ;
· Une meilleure traçabilité des transactions informelles ;
· Une digitalisation accrue des recouvrements.
Cependant, cette modernisation fiscale doit être menée avec prudence pour ne pas peser sur les ménages et les petites entreprises, déjà fragilisés par l’inflation et la crise économique.
3. Risques socio-politiques : entre attentes et défiance
Le rebasing n’est pas neutre politiquement. Il peut être perçu comme :
· Un outil de légitimation des politiques économiques ;
· Ou, au contraire, comme une manipulation des chiffres pour masquer les difficultés.
Dans un contexte politique et social tendu, le gouvernement devra faire preuve de transparence et de pédagogie pour expliquer que le rebasing est une avancée technique, et non une opération politicienne.
Benchmarking international : leçons d’autres pays
Plusieurs pays africains ont connu des rebasings significatifs ces dernières années :
· Ghana (2010) : son PIB a bondi de 60 %, faisant passer le pays dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire. Mais cette réévaluation n’a pas suffi à éviter une crise de la dette une décennie plus tard.
· Nigeria (2014) : le PIB a augmenté de 89 %, faisant du pays la première économie d’Afrique. Cependant, les défis structurels (dépendance au pétrole, informalité) sont restés entiers.
· Kenya (2021) : le rebasing a permis de mieux capter les services et le numérique, mais a aussi révélé des inégalités persistantes.
Ces exemples montrent que le rebasing est un outil puissant, mais qu’il doit s’accompagner de réformes structurelles pour être durablement bénéfique.
Conclusion : le rebasing, un levier pour un « ajustement à visage humain »
Le rebasing du Sénégal en base 2021 est une avancée majeure pour la transparence statistique et la planification économique. Il offre une vision plus réaliste de l’économie, renforce la crédibilité internationale du pays et ouvre des perspectives pour une réforme fiscale plus juste.
Mais sa réussite dépendra de la capacité des autorités à articuler :
· Modernisation technique et acceptabilité sociale ;
· Rigueur budgétaire et protection des vulnérables ;
· Transparence statistique et pédagogie publique.
Dans un Sénégal en quête de redressement économique et de stabilité socio- politique, le rebasing n’est pas une fin en soi. C’est un moyen, parmi d’autres, de construire une économie plus résiliente, inclusive et mieux mesurée.
Sources :
ANSD : Note sur le changement d’année de base des comptes nationaux du Sénégal (Rebasing, Base 2021), novembre 2025.
Anouar Ayache :  Rebasing du PIB au Sénégal : enjeux de mesure, implications fiscales et risques politico-économiques.
Dr. Seydina Oumar Seye : FMI- Sénégal: ajustement à visage humain  vs restructuration.
Données comparatives : Ghana Statistical Service, National Bureau of Statistics Nigeria, Kenya National Bureau of Statistics.
Dr. Seydina Oumar Seye.

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