Par Dr. Seydina Oumar Seye,
Face à la dégradation de sa notation souveraine et à l’envolée des primes de risque, le Sénégal se trouve à un carrefour économique décisif. Alors que le gouvernement Diomaye-Sonko navigue dans des eaux financières tumultueuses, la question de la restructuration de la dette se pose avec une acuité croissante. Dans ce contexte complexe où s’entremêlent héritage financier lourd et potentiel économique prometteur, une analyse rigoureuse s’impose pour éclairer les enjeux cruciaux :
(1) Quels avantages concrets le Sénégal pourrait-il tirer d’une restructuration de sa dette souveraine, notamment en termes de marge de manœuvre budgétaire et de rétablissement de l’accès aux marchés financiers ?
(2) Quels sont les risques réels et les inconvénients d’une telle démarche, particulièrement concernant la réputation financière internationale et les effets d’entraînement régionaux dans l’espace UEMOA, in fine revivre le passé douloureux des programmes d’ajustement structurels (PAS)?
Cette analyse approfondie examine la position équilibrée du gouvernement sénégalais, qui défend une approche novatrice combinant responsabilité financière et protection des acquis sociaux, tout en s’appuyant sur les fondamentaux robustes de l’économie nationale et les leçons des expériences internationales.
- Analyse des Avantages Potentiels d’une Restructuration de la Dette
La position du gouvernement Diomaye-Sonko concernant une restructuration doit être comprise non comme une capitulation, mais comme une stratégie de restauration proactive de la soutenabilité financière. Dans le contexte actuel, une restructuration bien négociée présenterait plusieurs avantages stratégiques :
- a) Recréation de la Marge de Manœuvre Budgétaire
- Un allègement du service de la dette (via rééchelonnement ou “haircut”) libérerait d’importantes ressources publiques, estimées entre 300 et 500 milliards FCFA annuellement selon les projections de la DPEE
- Ces ressources pourraient être réorientées vers les secteurs sociaux prioritaires (santé, éducation, protection sociale), permettant ainsi de concrétiser l’ajustement “à visage humain” prôné par le gouvernement
- Le gouvernement pourrait maintenir ses programmes d’investissements structurants tout en poursuivant l’assainissement des finances publiques
- b) Signal Positif aux Marchés et Rétablissement de l’Accès au Financement
- Une restructuration conclue dans le cadre d’un accord avec le FMI constituerait un signal de crédibilité fort, indiquant que le pays prend des mesures courageuses pour rétablir sa solvabilité
- L’expérience internationale démontre qu’après une restructuration complète, les pays retrouvent généralement l’accès aux marchés financiers dans un délai de 18 à 24 mois, à des conditions bien plus favorables
- Le cas du Ghana, bien que douloureux à court terme, montre que cette approche peut permettre une normalisation rapide des relations avec les investisseurs internationaux
- c) Effet de Catalyseur sur les Investissements
- La clarification de la situation de la dette lèverait l’incertitude qui pèse actuellement sur les décisions d’investissement
- Les 23 milliards de dollars d’engagements d’investissement annoncés lors du forum “Invest in Sénégal” pourraient ainsi se matérialiser plus rapidement
- La perspective des revenus pétroliers et gaziers deviendrait plus attractive pour les investisseurs une fois le risque souverain maîtrisé
- Inconvénients d’une Restructuration et Position Gouvernementale
La prudence affichée par le gouvernement concernant la restructuration s’appuie sur une analyse réaliste des risques :
- a) Impact sur la Réputation Financière Internationale
- Une restructuration entraînerait mécaniquement une exclusion temporaire des marchés financiers internationaux, avec un possible délai de réadmission de 2 à 3 ans
- Le pays subirait une dégradation temporaire de sa notation, même après l’accord, comme l’ont montré les cas ivoirien (2012) et gabonais (2023)
- Cependant, cette exclusion serait moins dommageable que la situation actuelle où le pays a techniquement perdu l’accès aux marchés à des taux raisonnables
- b) Effets d’Entraînement Régionaux dans l’UEMOA
- Le Sénégal représente près de 25% du PIB de l’UEMOA, selon les données de la BCEAO
- Une restructuration pourrait déclencher un phénomène de contagion régionale, affectant particulièrement :
- Les systèmes bancaires régionaux détenant de la dette sénégalaise
- Les pays voisins dont les spreads pourraient être impactés par un effet de halo
- La stabilité du Franc CFA, bien que l’arrimage à l’Euro constitue un tampon important
- c) Coûts Sociaux Potentiels et Attenuation Gouvernementale
- Les programmes de restructuration s’accompagnent généralement de mesures d’austérité
- La position ferme du gouvernement vise précisément à négocier des conditionnalités adaptées :
- Protection des subventions aux produits de première nécessité
- Maintien des investissements dans les filets sociaux
- Étalement dans le temps des ajustements budgétaires
- Potentiel Économique et Dynamique Stratégique du Gouvernement
- a) Les Fondamentaux Robustes de l’Économie Sénégalaise
- La croissance économique reste résiliente, avec une projection de 11,8% en glissement annuel au T2-2025, portée par :
- Le démarrage effectif de la production gazière (projet GTA)
- La dynamique du secteur des services, qui représente 52% du PIB
- La robustesse des transferts de la diaspora (plus de 10% du PIB)
- b) La Confiance du Marché Régional : Une Réalité Sous-Estimée
- Contrairement aux perceptions internationales, le marché régional UEMOA maintient sa confiance :
- Les taux de souscription aux adjudications de la dette sénégalaise dépassent régulièrement les 150%
- Les investisseurs institutionnels régionaux (compagnies d’assurance, fonds de pension) continuent d’investir dans les titres publics sénégalais
- La solidité du système bancaire régional, avec un ratio de solvabilité de 14,8% fin 2024 (au-dessus des normes de Bâle)
- c) L’Innovation dans l’Approche avec le FMI : Vers un Programme “Sur Mesure”
La stratégie de négociation du gouvernement repose sur plusieurs innovations:
- L’Approche Différenciée : Refus du “one size fits all” et proposition d’un programme adapté aux spécificités sénégalaises
- L’Utilisation des Actifs Futurs : Présentation des revenus pétroliers et gaziers comme garantie de soutenabilité à moyen terme
- La Protection des Acquis Sociaux : Intégration de mécanismes de protection sociale dans le cadre de l’ajustement budgétaire
- Benchmarking International et Voies de Sortie de Crise
- a) Les Leçons des Succès Régionaux
- Le Modèle Ivoirien (2012-2016) : Après sa restructuration, la Côte d’Ivoire a connu une croissance moyenne de 8% sur 5 ans, grâce à :
- Une combinaison de réformes structurelles et de préservation des investissements publics
- Un retour rapide sur les marchés financiers avec des émissions obligataires réussies
- Une gestion prudente de la dette reconstituée
- L’Exemple Rwandais : Démonstration qu’une discipline fiscale associée à une bonne gouvernance peut restaurer la confiance sans recours massif à l’endettement extérieur
- b) La Stratégie de Sortie de Crise “À la Sénégalaise”
La position gouvernementale s’articule autour de 5 piliers:
- Transparence Accrue : Audit complet de la dette et publication des contrats
- Optimisation des Recettes Internes : Élargissement de l’assiette fiscale sans augmentation des taux
- Gestion Saine des Ressources Naturelles : Mise en place d’un fonds souverain transparent pour les revenus pétroliers
- Protection des Dépenses Sociales : Maintien des investissements dans la santé et l’éducation
- Diversification Économique : Accélération des réformes pour réduire la dépendance aux importations
En conclusion : Un optimisme mesuré mais fondé
La situation actuelle, bien que préoccupante, n’est pas insoluble. La position du gouvernement Diomaye-Sonko combine réalisme économique et ambition sociale, refusant autant la fuite en avant que l’austérité brutale.
Les atouts du Sénégal restent considérables :
- Une démocratie robuste et des institutions stables
- Un potentiel économique incontestable, notamment dans les énergies renouvelables et le numérique
- Une position géostratégique avantageuse en Afrique de l’Ouest
- Un capital humain de qualité et une diaspora active
La stratégie de négociation avec le FMI, si elle aboutit à un accord équilibré, pourrait faire du Sénégal un cas d’école de sortie de crise par la croissance inclusive et la responsabilité financière. L’optimisme est donc permis, à condition de maintenir le cap des réformes et de préserver le consensus social autour de l’effort national de redressement.
Comme le démontre l’histoire économique récente, les crises de la dette, lorsqu’elles sont bien gérées, peuvent devenir l’occasion de réformes structurelles porteuses de prospérité durable. Le Sénégal dispose de tous les atouts pour écrire ce nouveau chapitre de son développement économique.



