
Par : Dr. Seydina Oumar Séye,
La récente dégradation de la note souveraine du Sénégal par l’agence Moody’s à « Caa1 » avec perspective négative a provoqué une onde de choc légitime dans les milieux économiques et financiers. Ceci, couplé à l’aveu de « déclarations erronées significatives » sur les comptes publics entre 2019 et 2023 par le FMI, peint un tableau sombre : déficit budgétaire à 14%, dette publique à 119% du PIB, et un accès au financement régional rendu plus onéreux.
Pourtant, une analyse rigoureuse et prospective, inspirée des théories économiques et des dynamiques de marché, commande de ne pas s’arrêter à ce constat anxiogène. Elle milite au contraire pour un optimisme raisonné, fondé sur une lecture plus fine de la situation. Le Sénégal se trouve aujourd’hui dans une situation analogue à une « trappe à liquidité » institutionnelle et financière, où les mauvaises nouvelles semblent s’accumuler. Mais l’histoire économique nous enseigne que de tels creux de vague précèdent souvent des rebonds vigoureux, dès lors que les fondamentaux et la volonté politique sont alignés. Le Sénégal possède ces atouts à travers la VisionSénégal 2050.
- La Trappe à Liquidité Sénégalaise : Un Creuset pour la Renaissance Économique
La notion de « trappe à liquidité », conceptualisée par Keynes, décrit une situation où les taux d’intérêt sont si bas que la politique monétaire devient inefficace. En transposant ce concept à la situation sénégalaise, on observe une « trappe à liquidité de confiance ». Le pays est confronté à un assèchement relatif de la liquidité financière (coût du crédit élevé sur le marché régional, suspension des décaissements du FMI) et à une érosion de la liquidité informationnelle (doute sur la véracité des données).
Cependant, c’est précisément lorsque la situation semble la plus bloquée que les retournements se produisent. La dynamique des cycles économiques et financiers est implacable : lorsque les taux ou la confiance touchent le fond, la seule direction possible est souvent la hausse. La dégradation de Moody’s, si sévère soit-elle, agit comme un électrochoc salutaire. Elle rend incontournable un ajustement rigoureux et une transparence absolue, créant les conditions d’un rebond durable. Ce « benchmarking d’anticipation » consiste à évaluer le Sénégal non pas sur son état présent, mais sur sa capacité à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour sortir de cette trappe. Les signaux en ce sens sont nombreux et puissants.
- Les Fondements de l’Optimisme : Avantages Comparatifs et Volonté Politique
- Un Potentiel Économique Inaltéré et une Attractivité Confirmée
Les déficits et la dette sont des variables de flux et de stock qui peuvent être corrigées par des politiques et une croissance robuste. Or, le potentiel structurel du Sénégal reste intact, voire s’est renforcé. Les avantages comparatifs du pays sont plus solides que jamais :
- Stabilité Politique et Dynamisme Démocratique : La transition politique pacifique de 2024, saluée internationalement, a démontré la résilience des institutions sénégalaises. Cette stabilité est un atout majeur pour les investisseurs à long terme.
- Climat des Affaires et Engagements Massifs : Le récent forum « Invest in Sénégal », qui a mobilisé des engagements d’investissement dépassant les 23 milliards de dollars, est un signal fort qui contredit le pessimisme des agences de notation. Ces engagements, couvrant des secteurs clés comme les énergies renouvelables, les infrastructures, l’agro-industrie et le numérique, ne sont pas de la spéculation. Ils témoignent de la conviction des opérateurs économiques internationaux dans le potentiel de croissance à moyen et long terme du Sénégal. Cet afflux d’investissements directs étrangers (IDE) est la meilleure réponse à une crise de la dette, car il génère une croissance réelle, créatrice de recettes fiscales et d’emplois, sans alourdir le stock de dette.
- Dynamisme Sectoriel : Les projets structurants (champ pétrolier et gazier de GTA, Plan Sénégal Émergent) sont des leviers de transformation profonde de l’économie. Ils positionnent le Sénégal comme un futur hub énergétique et logistique en Afrique de l’Ouest.
- L’Arbitrage Imminent du FMI : Le Retour à l’Orthodoxie Budgétaire
La suspension des décaissements du FMI, bien que problématique à court terme, est une opportunité historique pour le pays d’opérer un « reset » crédible.
- La Fin de la Dette Cachée : Une Purification Nécessaire. La révélation des non-conformités passées, si elle est douloureuse, permet de partir sur une base saine. Le nouveau gouvernement a tout intérêt à jouer la carte de la transparence maximale pour restaurer sa crédibilité. C’est précisément ce qu’a salué la Directrice Générale du FMI, Kristalina Georgieva, en évoquant les « efforts de transparence » et en actant la demande d’un nouveau programme.
- Les Négociations de Washington : Le Point d’Inflexion. Les réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale qui s’ouvrent cette semaine sont l’occasion cruciale pour le Sénégal de présenter un programme économique robuste et crédible. On peut anticiper un accord de principe menant à un nouveau programme accompagné de conditions strictes. Ce programme imposera très probablement :
- Un retour accéléré à l’orthodoxie budgétaire via une maîtrise des dépenses courantes et une optimisation des recettes.
- Une stratégie de désendettement claire, s’appuyant sur une croissance renforcée et une gestion prudente de la dette.
- Des réformes structurelles pour améliorer la gouvernance des finances publiques.
L’obtention de ce « quitus » du FMI sera le signal déclencheur d’un retour de la confiance. Il débloquera non seulement les financements du Fonds, mais agira également comme un catalyseur pour les autres bailleurs de fonds et les investisseurs privés, abaissant le coût du crédit et facilitant le refinancement de la dette.
III. La Résilience Sénégalaise face aux Turbulences : Une Situation Maîtrisable
Affirmer que la situation est « maîtrisable » n’est pas un vœu pieux, mais une conclusion tirée de l’analyse des leviers d’action.
- La Dégradation n’est pas une Fatalité : L’histoire économique est jonchée d’exemples de pays (le Ghana, la Côte d’Ivoire) qui, après avoir connu des dégradations sévères, ont su opérer des redressements spectaculaires grâce à des réformes courageuses et à un retour de la confiance. La France elle-même, malgré sa dégradation, déploie des stratégies de relance et conserve l’accès aux marchés. Le Sénégal n’est pas différent ; il dispose d’alternatives et de marges de manœuvre.
- Stratégies de Relance et Potentiel Endogène : Au-delà de l’appui du FMI, le gouvernement peut activer des leviers internes de relance : accélération des réformes pour améliorer le climat des affaires, soutien ciblé aux PME, capitalisation sur les secteurs agricole et touristique. La future manne pétrolière et gazière, si elle est gérée avec sagesse dans un cadre transparent (comme l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives – ITIE), offre une perspective de résorption durable du fardeau de la dette.
- La Résilience de l’Économie Réelle : Malgré les turbulences financières, l’économie sénégalaise, portée par un secteur informel dynamique, une démographie jeune et un secteur privé de plus en plus innovant, dispose d’une capacité d’absorption et de rebond indéniable.
En conclusion : du Chaos émerge l’Ordre
La dégradation de Moody’s et les révélations sur la dette cachée marquent sans doute le point bas de la courbe de confiance dans l’économie sénégalaise. Mais c’est précisément à partir de ce point que la renaissance peut s’opérer. Le Sénégal n’est pas un pays sans atouts, condamné à une spirale infernale. C’est une économie dynamique, dotée d’un potentiel de croissance exceptionnel, qui traverse une zone de turbulence aiguë mais transitoire.
L’arbitrage positif attendu du FMI, couplé à la matérialisation des 23 milliards de dollars d’investissements annoncés et à la mise en œuvre d’une politique budgétaire vertueuse, constituera la preuve irréfutable que la situation est non seulement maîtrisable, mais en voie de résolution. La « trappe à liquidité » actuelle n’est que l’antichambre d’un nouveau cycle de croissance, plus sain, plus transparent et plus durable. Le Sénégal a toutes les cartes en main pour faire de cette crise apparente une opportunité historique de se réinventer et de confirmer son statut de future puissance économique émergente de l’Afrique. La situation, en définitive, reste et restera maîtrisable pour ceux qui savent voir au-delà de l’horizon immédiat des indicateurs.