Intégration économique régionale en Afrique de l’Ouest : Comment sortir de l’impasse (Part1)

Dès l’avènement des indépendances à la fin des années 50, les Etats Ouest africains, ont placé la coopération et la coordination de leurs politiques de développement au centre de leurs stratégies. Cette option s’est traduite par la création de plusieurs organismes et organisations dans des domaines spécifiques entraînant parfois des transferts partiels de souveraineté. Il s’agissait pour ces jeunes Etats de mutualiser leurs efforts pour une plus grande efficacité. Ce pragmatisme salutaire est favorisé, il est vrai, par l’héritage colonial et l’appartenance à un espace économique et politique plus ou moins intégré selon les besoins et objectifs des anciens occupants.Le processus d’intégration a commencé par la création d’organismes intergouvernementaux avant de s’articuler autour de politiques macroéconomiques et sectorielles ayant une portée plus globale, en tenant compte de l’existant au plan africain, pour ne pas engendrer des redondances. Cependant, les différents processus n’ont pas atteint les résultats escomptés. Les cas de la CEDEAO et de l’UEMOA en sont des illustrations.

Coexistence entre la CEDEAO et l’UEMOA : inefficacité et source de distorsions  

 Comme on peut le constater, les objectifs et les domaines couverts par la CEDEAO et l’UEMOA sont identiques dans une large mesure, notamment en ce qui concerne les sujets relatifs à l’intégration économique. Il est vrai que, la compétence de la CEDEAO sur les questions de démocratie, de paix, de sécurité, de droits humains et de gouvernance constitue une vraie différence comme en atteste le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des conflits, de Maintien de la paix et de la sécurité et le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Après plus de 50 ans d’existence pour la CEDEAO et bientôt 31 ans pour l’UEMOA, les objectifs de ces deux institutions sont loin d’être atteints.

Il est vrai que la CEDEAO a eu des succès importants en matière de sécurité, de paix, de démocratie et que l’UEMOA a réussi à garantir la stabilité monétaire pour la Zone CFA.Cependant, les réformes majeures permettant la mise en place d’un marché commun tardent à être réalisées.La coexistence de ces deux organisations avec des règles redondantes ou même parfois en conflit a constitué un véritable goulot d’étranglement.Le retard dans la mise en œuvre des réformes nécessaires, aussi bien à la CEDEAO qu’à l’UEMOA, au-delà de compromettre l’atteinte des objectifs fondamentaux de l’intégration régionale, a conduit à la perte de confiance des populations dans le processus d’intégration.Pourtant, dans les textes fondateurs de ces deux institutions comme dans les différentes déclarations qui sanctionnent les rencontres de haut niveau, la volonté de réaliser l’intégration économique régionale est sans équivoque.Les inefficacités notées tiennent à plusieurs facteurs.

 

  1. Une faible appropriation de l’idéal d’intégration dans les différents Etats

Dès l’accession des pays africains à la souveraineté internationale, les autorités politiques et les élites ont compris l’urgence d’une coordination et d’une harmonisation de leurs actions à l’échelle sous régionale, au niveau continental comme dans les instances mondiales.Cependant rares sont les pays qui se sont dotés d’une politique ou d’une stratégie claire d’intégration régionale, définie au plan national, adoptée au plus haut niveau (Parlement ou Conseil des Ministres) bien comprise, inclusive et assumée par les populations.Ce n’est qu’en 2022 que le Sénégal a lancé une étude pour l’élaboration d’une Politique et d’une stratégie d’intégration économique régionale.Dans la sous-région, la Côte d’Ivoire et le Mali disposent de  Politique ou de Stratégie en matière d’intégration économique régionale.C’est seulement au gré des de la vision des autorités qui se succèdent à la tête des Etats que les questions relevant de l’intégration économique régionale sont traitées.Dans la plupart des Etats, la problématique de l’intégration régionale est suivie par des structures, administrations ou départements ministériels différents avec comme conséquence la dispersion, la dilution des actions et finalement le peu d’intérêt ou d’implication des populations et des acteurs véritables bénéficiaires des programmes communautaires.C’est pourquoi, il y a une faible appropriation des questions de l’intégration de la part des populations qui se sentent finalement non concernées.

 

  1. Un modèle institutionnel peu efficace

Les schémas institutionnels adoptés par la CEDEAO et l’UEMOA sont inspirés des modèles existants dans certaines régions notamment en Europe, avec un Pilotage au plus haut niveau par les Chefs d’Etat, les Gouvernements, un Exécutif régional composé de représentants des Etats, des Institutions spécialisées, éventuellement un Parlement et des organismes consultatifs.

Dans un contexte où il n’y a pas une appropriation des questions d’intégration au niveau des différents Etats sur la base d’une politique nationale, la participation aux instances régionales ne fait pas l’objet d’un contrôle rigoureux ou de compte rendu régulier.

Il s’y ajoute que pour chaque Institution, il y a des ministres statutaires avec un Chef de file (Ministre chargé des Affaires étrangères pour la CEDEAO, Ministre chargé des Finances pour l’UEMOA).

Ce modèle représentatif qui pouvait se comprendre sur une courte période  (contexte ou conjoncture internationale prévalant à la création, géopolitique, dévaluation), ne devrait pas constituer la règle au point de survivre 50 ans pour la CEDEAO et 30 ans pour l’UEMOA.La conséquence, en effet, est que les Ministres non statutaires, ne s’impliquent pas suffisamment dans le suivi des dossiers.Ce qui expliquerait le retard de la mise en œuvre des réformes sectorielles dont les impacts sur le renforcement de l’intégration sont décisifs.Il est fréquent de voir des Experts représentant leurs Ministres à des réunions ministériels de la CEDEAO ou de l’UEMOA.

 

  1. Absence d’impulsion politique dans la mise en œuvre de chantiers majeurs

 Beaucoup de mesures communautaires dont l’application est indispensable pour l’unification des marchés nationaux requièrent une volonté politique ferme. Or il a été constaté un manquement à ce niveau malgré les sessions annuelles de revue de la mise en œuvre.

Sur le marché commun 

La CEDEAO et l’UEMOA sont des Unions douanières (Tarif Extérieur Commun et libéralisation interne). Après plus d’une vingtaine d’années de coexistence l’harmonisation entre le TEC CEDEAO et le TEC UEMOA a été consacrée par l’adoption du Règlement N°02/2022/CM/UEMOA 24 juin 2022 de l’UEMOA.

Malgré les actions de coordination entre les deux institutions, la coexistence des deux TEC a entraîné de nombreuses distorsions, des pertes de compétitivité et des procédures complexes pour les opérateurs économiques et les usagers.Par ailleurs, les politiques fiscales sont insuffisamment harmonisées pour permettre une véritable libéralisation interne.Les ressources de ces organisations doivent être alimentées par une fiscalité intérieure comme le Traité de l’UEMOA le prévoit en ce qui concerne la TVA.

S’agissant de la libre circulation des personnes et des biens, des avancées réelles ont été faites en ce qui concerne les documents de voyage (la Carte nationale d’identité suffit) et de transit, mais on note de multiples contrôles et barrières non tarifaires qui occasionnent des surcoûts.Le droit d’établissement est consacré mais subsistent dans certains pays des entraves non justifiées.Les échanges intracommunautaires restent encore très faibles (moins de 15%) loin des objectifs du marché commun (25%).Compte tenu de la place du marché commun dans la construction de l’intégration régionale, il apparaît clairement que toutes les énergies et potentialités n’ont pas été mobilisées.

Sur l’aménagement du Territoire communautaire

Aux termes du Traité de l’UEMOA, le territoire de communautaire est constitué par la superficie totale des Etats membres. Son aménagement transcende les frontières héritées de la colonisation. Les nombreux problèmes de développement qui se posent actuellement ne peuvent se résoudre sur le plan purement national, et des décisions nationales ont souvent des répercussions plus ou moins profondes sur l’ensemble du territoire de l’Union. Dans l’espace communautaire, la dimension peu homogène des Etats, les contraintes liées à la mobilité des populations et même du cheptel, à l’environnement, aux infrastructures et aux ressources financières, ont souvent constitué des obstacles à la mise en place de politiques cohérentes et efficaces d’aménagement du territoire.

La politique d’aménagement du territoire communautaire vise à i) mettre en cohérence les politiques sectorielles nationales et communautaires; ii) renforcer l’intégration physique et économique de l’Union; iii)  consolider les différentes politiques sectorielles d’intégration régionale; iv) valoriser les potentialités dans le sens de la complémentarité et la solidarité ;v)  équilibrer le développement régional ; vi) améliorer le cadre de vie des populations.

La question de l’aménagement du territoire qui est pourtant fondamentale pour la réalisation du marché commun et l’unification des marchés nationaux, n’a pas été suffisamment prise en charge par les institutions.

C’est pourquoi pour des pays aussi vastes que le Mali (1.241.238 Km²) et le Niger (1.266.491 km²), la perception est négative en ce qui concerne les institutions d’intégration.

En effet, le Niger et le Mali font à peu près chacun 07 fois le Sénégal, 22 fois le Togo, 4 fois la Côte d’Ivoire pour ne prendre que ces exemples. Il s’y ajoute qu’ils partagent chacun, des frontières avec des pays qui n’appartiennent ni  à la CEDEAO ni à l’UEMOA.

C’est dire que compte n’a pas été tenu, des disparités géographiques et écologiques dans la formulation des modèles et des programmes d’intégration.  Ce qui a certainement pesé dans les positions actuelles de ces pays par rapport à la CEDEAO et à l’UEMOA.

Sur l’intégration monétaire

 Depuis la dévaluation, la Zone CFA a été marquée par une stabilité qui a permis aux économies de l’UEMOA de connaître une certaine résilience face aux différentes crises financières des années 2000 et durant la période du COVID.

Le système mis en place a notamment permis une maîtrise du taux d’inflation qui, dans l’ensemble, reste en deçà de 3% par an, une stabilité du taux de change et des déficits  budgétaires soutenables

Il a également permis d’anticiper sur l’avènement de la monnaie unique au sein de la CEDEAO.Au sein de la CEDEAO, le processus de création d’une monnaie unique a démarré en 1983 et c’est 1987 que fut adopté le Programme de Coopération Monétaire qui prévoit la création d’une Zone-monétaire unique en Afrique de l’Ouest.

Le schéma retenu devait être réalisée sur une base graduelle et pragmatique devant conduire à l’introduction d’une monnaie Commune en 2000.Le processus a connu quasiment un arrêt jusqu’à la désignation des Chefs d’Etat  du Ghana et du Niger en 2013 pour conduire une Task force et proposer une feuille de route. Les Chefs d’Etat de Côte d’ivoire et du Nigéria seront associés à la Task Force en 2017. Une volonté politique était alors nettement affichée avec une série de rencontres de haut niveau.L’année 2020 a été fixée comme échéance mais malheureusement celle-ci n’a pu être tenue.Le dernier Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du 15 décembre 2024 a confirmé 2027 comme  année de lancement. L’absence de volonté politique ferme sur ce dossier n’est pas à exclure.

Sur la Convergence macroéconomique

S’il y’a un chantier qui n’a pas véritablement pas connu de succès c’est bien celui de la Convergence économique aussi bien à la CEDEAO qu’à l’UEMOA.Malgré les Revues annuelles, les économies de l’UEMOA ne parviennent pas à converger.Pourtant la Convergence macroéconomique est l’un des piliers essentiels de l’UEMOA en tant garante de la stabilité monétaire et facteur d’unification des marchés nationaux.

Dans le cas de l’UEMOA, depuis l’adoption du Pacte de Convergence de Croissance, de Stabilité et de Solidarité en 1999, la première étape soit la Convergence n’a jamais été atteinte.Plusieurs fois l’horizon de convergence a été reportéLa première échéance était fixée à 2002. Elle a été reportée successivement à 2005, 2008, 2013. 2019, suspendu lors du COVID.Les modifications et la simplification des critères de convergence n’ont pas permis de réaliser la convergence macroéconomique avant de songer à la stabilité. Il y a manifestement une insuffisance d’impulsion politique dans le suivi. Il s’y ajoute que les critères retenus ne permettent pas de mesurer réellement la santé économique des Etats. Ils permettent seulement de dégager des résultats alors que ce qui est important c’est plutôt les impacts sur la vie des populations.

Serigne Mbacké SOUGOU

 Economiste-Expert Fiscal

 Ancien Représentant de la Commission de l’UEMOA au Niger

 

 

 

 

 

 

 

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