À l’automne, les candidats à la succession d’Akinwumi Adesina devraient se départager sur leur vision de la gouvernance de la Banque africaine de développement.
Au début de l’année prochaine, le conseil des gouverneurs de la BAD (Banque africaine de développement) élira le prochain président de la banque, alors que le président sortant, Akinwumi Adesina, arrive au terme de son deuxième mandat. Les successeurs potentiels d’Adesina ne pourront soumettre leur candidature qu’en septembre et le vote se tiendra au début de l’année 2025.
Le succès de la BAD est important pour soutenir et encourager la croissance économique du continent et pour attirer davantage d’investissements étrangers.
Plusieurs candidats sont déjà à la manœuvre. Abbas Mahamat Tolli, du Tchad, ancien gouverneur de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale), a annoncé sa candidature en mars. Le Franco-algérien Rabah Arezki, ancien économiste en chef de la BAD, devrait se déclarer également, selon les observateurs. La Sénégalaise Hassatou Diop N’Sele, actuelle vice-présidente des finances de la BAD, semble un autre successeur potentiel d’Adesina. L’élection d’une femme à la tête de la BAD serait une première.
M’khuzo Mwachande, banquier d’affaires au Cap, explique à African Business que la BAD a obtenu de bons résultats sous la direction d’Akinwumi Adesina. La BAD est dans une position financière solide et a réussi à maintenir sa note de crédit « AAA ».
La BAD a en effet démontré ses solides références financières ces dernières années. Par exemple, en janvier 2024, la banque a émis une obligation durable de 2 milliards de dollars, comme de juste notée « AAA » par toutes les grandes agences de crédit.
Pourtant, l’ancien dirigeant de la Banque mondiale, David Malpass, avait critiqué la BAD en affirmant qu’elle avait injecté « de grandes quantités d’argent au Nigeria, en Afrique du Sud et dans d’autres pays, sans un programme très solide pour les soutenir et les faire progresser ».
La BAD a vigoureusement démenti cette affirmation, rappelant que les principaux pays bénéficiaires sont des pays d’Afrique du Nord (principalement le Maroc et l’Égypte), de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique de l’Est.
Des processus rigoureux
La BAD avait réagi en affirmant que cette déclaration « porte atteinte à l’intégrité de la Banque africaine de développement, sape nos systèmes de gouvernance et insinue à tort que nous fonctionnons selon des normes différentes de celles de la Banque mondiale ».
M’khuzo Mwachande estime que les critiques concernant les procédures de diligence raisonnable de la BAD « sont difficiles à étayer ou à justifier ». Par exemple, les décaissements de la banque, comme ceux de la plupart des institutions de financement du développement, doivent être soumis à un processus d’approbation basé sur un certain nombre de variables, dont la viabilité du projet. Il existe également des seuils en termes de prêts qu’un pays peut recevoir.
Le banquier sud-africain souligne également que l’obtention d’une note AAA de Fitch Ratings et d’autres agences mondiales implique « un processus très rigoureux ». Il prend en compte non seulement les performances financières de la banque, mais aussi sa gestion des risques et ses structures de gouvernance. Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’est récemment rendu à Abidjan, siège de la banque, où il a fait l’éloge de l’organisation et de ses dirigeants.
D’ailleurs, cet épisode de la Banque mondiale soulève la question de l’influence des actionnaires non régionaux sur la banque et sur le choix de son prochain président. En conséquence, de nombreux dirigeants africains, du moins en privé, souhaitent que l’influence des non-régionaux soit encore réduite. D’ici là, les candidats potentiels auront les membres non régionaux comme principal groupe d’intérêt qu’ils devront influencer pour obtenir la nomination.
Alex Vines, directeur du programme Afrique du groupe de réflexion Chatham House à Londres, note que « tandis que l’actuel président de la BAD est actuellement occupé à entreprendre une tournée mondiale d’adieu, à souligner ses succès et à exposer sa vision de l’Afrique, la réforme de la gestion figure en bonne place à l’ordre du jour » et qu’à mesure que nous approchons du mois de septembre, « le débat sur la réforme de l’institution va s’intensifier ».
Le tour d’un francophone ?
En effet, Abbas Mahamat Tolli a déclaré lors d’une récente interview que l’une de ses priorités en tant que président serait d’établir une structure de gouvernance transparente et responsable à tous les niveaux. Alors que les autres candidats n’ont pas abordé la question de la transparence et de l’éthique, Rabah Arezki a écrit un article élogieux sur l’élection de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, soulignant les promesses du nouvel élu de lutter contre la corruption dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
La BAD a été critiquée par certains pays africains francophones dans le passé pour s’être, à leurs yeux, trop concentrée sur l’Afrique anglophone. Sa direction conteste cette affirmation en soulignant que la plupart de ses employés sont francophones et que les décaissements, en particulier en tant que proportion de l’actionnariat, favorisent en fait les pays non anglophones.
« Bien que le concours ne démarre réellement qu’en septembre, on remarque que trois personnes qui ont déjà manifesté leur intérêt pour le poste – Abbas Mahamat Tolli du Tchad, Rabah Arezki d’Algérie et Hassatou Diop N’Sele du Sénégal –, sont toutes non-anglophones », observe Alex Vines.
D’ailleurs, Abbs Mahamat Tolli s’est empressé de mettre en avant ses origines francophones, soulignant que « la BAD n’a jamais été dirigée par un président d’Afrique centrale » et qu’un président originaire de la région « serait un élément important pour garantir que la banque est suffisamment représentative au cœur de l’institution ».
Quel que soit le vainqueur de l’élection de l’année prochaine, il devra relever un défi de taille. Alors que de nombreux pays africains se débattent encore sous le poids d’une dette croissante, d’une dépréciation de leur monnaie, d’une inflation élevée et d’une croissance mondiale atone, le rôle de la BAD dans le développement économique durable est d’autant plus important. M’khuzo Mwachande note que le prochain président devra projeter une vision forte pour assurer aux parties prenantes internes et externes que la BAD est capable de relever ces défis.
« À l’avenir, il sera très important de voir comment le conseil d’administration de la BAD pourra communiquer sa vision aux actionnaires et aux États membres et articuler la manière dont il réalisera la réforme organisationnelle et traitera les faiblesses des structures internes. Les élections seront âprement disputées, les candidats cherchant à convaincre le conseil des gouverneurs qu’ils sont les mieux placés pour apporter le changement que beaucoup jugent nécessaire. « Ces élections sont importantes car la BAD est une institution clé pour le développement économique de l’Afrique. »
Le Magazine de l’Afrique