Pour réaliser une Etude d’Impacts de Nouvelles Assurances Obligatoires en zone CIMA, les Experts du groupe CISCO CONSULTING-SOLVISEO révolutionnent l’Actuariat par la Macroéconomie. Financial Afrik est allé à la rencontre du PDG CISSE ABDOU. Entretien.
En quoi portait l’étude que vous avez réalisé pour le compte de la FANAF ?
Nous tenons tout d’abord à remercier la FANAF pour la confiance portée envers notre cabinet ; la réalisation de cette étude nous a permis de conforter certaines de nos convictions et surtout de mieux apprécier les réalités économiques et assurancielles que nous vivons en Afrique subsaharienne. La FANAF mérite d’être regardée aujourd’hui comme l’un des meilleurs dénominateurs communs des pays d’Afrique subsaharienne ; lorsqu’elle demande une étude, nous avons conscience qu’elle doit recevoir des livrables qui vont au bout de l’intrication des assurances dans les activités économiques des Etats. Ainsi, par cette étude, nous avons cherché à faire émerger le rôle profond de l’assurance au sein de l’économie et de sa croissance, par la modélisation et la recherche pédagogique.
Les impacts socio-économiques de la mise en place de nouvelles assurances obligatoires ne peuvent être lus (par les autorités des Etats et par la CIMA) que dans l’activité économique d’un pays ; donc précisément à travers les recettes et les dépenses ; or, le produit intérieur brut (PIB) qui se construit à partir de certaines recettes et certaines dépenses, est le meilleur agrégat macro-économique en représentation des activités économiques d’un pays.
Nous avons ainsi mesuré la place de l’assurance dans l’activité économique, avant et après la mise en place de nouvelles assurances, pour en tirer des conclusions sur les agrégats tels que le chiffre d’affaires potentielles des assureurs, les recettes de l’Etats, les placements possibles des provisions, les sinistres réglés en contribution à la protection sociale, les résultats des compagnies. Ceci explique l’importance du PIB dans les orientations de l’étude.
Comment expliquer-vous cette nouvelle démarche méthodologique ?
▪ Dans le cadre du modèle que nous avons bâti pour réaliser l’étude, nous nous sommes appuyés sur des données macroéconomiques et des données financières (paramètres et variables) en entrée de nos moteurs de calcul. Ce ne sont pas des hypothèses que nous nous sommes fixées, mais plutôt des paramètres et des variables nécessaires à tout type de modèle ; les paramètres permettent de caler le modèle et de surveiller ses dérives alors que les variables évoluent dans nos projections pour fournir les indicateurs en sortie du modèle. Ces données caractérisent les Etats ou d’autres entités comme les Banques Centrales, et font en grande partie l’objet de publications par des organismes qui les utilisent périodiquement (Directions d’Etats, FMI, Banque Mondiale, BCEAO, BEAC, Banque de France, Trésor français, ONG, …).
▪ Sur le lien entre les données et les modes de tarification usuelles pour chaque produit concerné, il serait beaucoup plus facile pour nous de réaliser une tarification classique si les données nécessaires étaient disponibles et fiables. Le fondement de l’étude d’impacts se situe au niveau du chiffre d’affaires que les assureurs réaliseront avec la mise en place des nouvelles assurances obligatoires ; ce chiffre d’affaires est fonction de la tarification des produits commercialisés.
▪ Les données statistiques disponibles pour l’étude ont manqué de consistantes par catégorie socioprofessionnelle (micro) et de comparabilité sur les trois marchés cibles.
Prenons par exemple la tarification d’une Responsabilité Civile des professions libérales (Avocat, experts, …) ; nous ne disposons pas de données comparables sur les trois pays cibles, sur le salaire, sur le revenu moyen d’un cabinet, ou encore sur le nombre moyen d’employés (les barreaux d’avocats interrogés parlent plutôt de niveau de vie et pas de salaire moyen).
Même en partant d’un coup moyen de la RC d’une entreprise du portefeuille de marché, à travers la charge de sinistres et le nombre de sinistres, les données communiquées par les compagnies à travers des états règlementaires sont difficilement exploitables (Voire ci-dessous l’étude des états C10b) ; l’incohérence des données donne naissance à une incohérence du tarif, qui se lit dans tous les développements des ultimes (chemin de la liquidation des règlements de sinistres). Ceci est une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas réalisé de tarifications actuarielles classiques.
▪ La deuxième raison est que l’actuariat IARD n’a jamais été pratiqué sur le marché de la zone Cima. Les tarifs usuels sont soit hérités de l’historique française, soit associés à des tarifs de grands réassureurs français (ceux des risques spécifiques par la CIMA) ; ainsi le marché ne dispose pas de tarifs standardisés ni au niveau pays ni au niveau zone. Nous nous sommes rendus compte de cette absence de pratique actuarielle en regardant les états spécifiques à l’assurance de dommage qui permettent un pilotage efficace de l’activité tant au niveau de la production, du provisionnement que du règlement des sinistres (C9, C10a et C10b). Par exemple, à partir des états C10b, nous avons effectué une recherche axée sur le cout moyen d’ouverture des dossiers de sinistres matériels et corporels par extraction de séries statistiques sur les 15 dernières années. Les données en question relevaient d’évolutions absurdes, sans régularité ni de tendance mathématique pour bâtir un modèle ; données inexploitables, dont les origines remontent à la tarification non actuarielle et non standardisée sur le marché. Rares sont les compagnies de la zone CIMA qui tiennent correctement leurs états C10b. Comme les méthodes statistiques de provisionnements ne sont pas encore standardisées sur le marché, le grand problème de l’estimation des provisions pour sinistres c’est le coût moyen d’ouverture, qui est souvent considéré comme statique par les compagnies, faute de référence périodique à un tarif actuariel ; ce qui pose de réels problèmes et explique l’urgence de démarrer la pratique de l’actuariat en IARD sur le marché.
▪ Ainsi, nous n’avons pas utilisé les méthodes classiques de tarifications usuelles pour des risques nouveaux (nous sommes des actuaires et notre travail doit respecter la déontologie du métier) ; nous avons été dans l’obligation d’adopter une conception économique et financière intégrant un modèle d’assurance, pour tarifer les nouveaux produits avec des données macroéconomiques reflétant l’activité.
▪ Notre approche s’inscrit aussi dans un cadre d’innovation actuarielle, cohérente avec la notion de prime commerciale car corrélée avec le Produit Intérieur Brut par habitant (donc conforme au pouvoir d’achat des futurs assurés). Les nouveaux produits d’assurances étant obligatoires, la loi des grands nombres s’impose et la mutualisation des risques ne pourra pas poser de problème tant que la tarification sera conforme au pouvoir d’achat des assurés.
▪ Une tarification classique adviendra obligatoirement dès la disponibilité des données nécessaires, sinon forcément en cours de projet ; elle permettra de ’benchmarker’ la tarification macroéconomique que nous avons réalisée et de gérer aussi les ajustements tarifaires après chaque année de clôture d’exercice (par la confrontation des projections et de la réalité vécue). Pour une réelle stabilité de la tarification, il faudra au moins cinq années de pratique d’un produit d’assurance obligatoire. En procédant ainsi, nous bâtirons des tarifs standardisés pour la zone CIMA.
▪ À travers ce projet, la Fanaf est en train de construire un marché standardisé tant en termes de tarif que de provisionnement. En tant que cabinet d’actuariat et de finance, le groupe CISCO CONSULTING-SOLVISEO a le devoir d’y participer, en veillant surtout à ce que nos prédictions ne s’écartent pas beaucoup des réalités vécues dans le futur (forte responsabilité des actuaires dans la tarification).
▪ Le modèle que nous avons bâti permettra aussi aux départements techniques de chaque compagnie de disposer d’un outil d’étude de rentabilité (pré-commercialisation) et de suivi du risque de chaque nouveau produit d’assurance.
▪ Une réflexion peut être menée avec les réassureurs africains comme AFRICA RE et CICA RE pour bâtir des tarifs actuariels sous le contrôle de la CIMA et de la FANAF ; ils disposent des statistiques nécessaires et le marché en a réellement besoin.
Comment présenter simplement ce Modèle Economique et Financier Intégrant l’Assurance ?
▪ Nous avons élaboré notre propre méthodologique consistant à approcher le problème selon une vision plus métier que purement statistique, par les liens entre les données fondamentales de l’assurance et les agrégats économiques qui sont à la base de la richesse nationale (PIB) ; sachant que c’est souvent l’inverse qui est fait.
▪ Nous avons modélisé toutes les sources d’argent disponible dans l’environnement économique en recettes du pays, ainsi que les dépenses correspondantes effectuées par les agents économiques ; pour chaque pays, nous partons de l’argent disponible (qui intègre les recettes du PIB) que l’on met en face de toutes les dépenses (qui intègrent les dépenses du PIB).
▪ Nous faisons tourner l’économie en recomposant le PIB qui ressort comme un agrégat ex-poste (Output) et qui nous permet de recaler le modèle par rapport à la communication.
▪ Le transfert net d’argent est représenté comme de l’argent qui rentre dans nos caisses et permet à nos familles de dépenser.
▪ Le déficit de l’État (l’emprunt lié au déficit), est représenté comme de l’argent non issu d’une production mais qui sera dépensé par l’Etat.
▪ Le secteur bancaire (qui émet la monnaie en circulation) dispose d’un rôle d’infrastructure.
▪ La modélisation met en lumière la place de l’assurance dans l’économie, par sa contribution aux recettes et aux dépenses et par son rôle de couverture de la masse monétaire en circulation. La valeur ajoutée (recette nette) en assurance s’interprète comme une différence entre le chiffre d’affaires et les dépenses hors salaires est hors bénéfices. Un exemple simple sur la zone CIMA :
– En assurance IARD, sur 100 F de chiffre d’affaires, le coût du risque est environ de 50, les 35 passent en salaires (personnel et courtage), les 10 en dépenses et 5 en profits ; la valeur ajoutée est représentée par 40 (35 + 5) ;
– En assurance Vie, sur 100 F collectés, environ 80 passent en provisions et 20 en chargements ; sur ces chargements on aura des dépenses d’environ 7 et les 13 passent en salaires et profits (Valeur Ajoutée).
▪ L’irrigation du secteur privé par les dépenses du secteur publique (car le public fait travailler le privé) a été modélisée par un multiplicateur de Keynes qui prend en compte le niveau d’épargne des agents publics, le niveau de sous-traitance du secteur public et la consommation importée.
▪ La modélisation boucle comme suit : nous partons de la masse monétaire en circulation qui est assurée ou adossée à des fonds propres de banquiers qui sont en réserves fractionnaires par rapport aux réserves nettes de change ; ces réserves fractionnaires dépendent de la capacité de production du pays à l’export ; cette capacité de produit à l’export est d’autant plus importante que la masse monétaire l’est et que les banques sont couvertes pour les projets de renforcement des moyens de production. La boucle est ainsi faite sur les assurances comme temporaire défaut des entreprises, assurance décès temporaire d’homme clé, etc.
Le modèle est en place autour d’un scénario central. Il est possible de le complexifier par un scénario pessimiste et un scénario optimiste autour du scénario central.
Il est aussi possible de l’utiliser pour d’autres études d’impacts d’activités qui intègrent le PIB.
Pour conclure, que préconisez-vous aux acteurs du marché toutes catégories confondues ?
Ce projet, très bien accueilli par les acteurs de l’économie (les ETATS, les Financiers et les Assureurs),est un début à la construction de nos modèles africains qui permettra aux Etats de la zone CIMA d’apprécier la place des assurances dans la mesure du PIB.
Ce modèle actuariel combine l’économie, la finance et l’assurance avec des données d’ordre macroéconomique et financière d’origines étatiques, de publications des banques centrales, d’organismes nationaux (instituts de statistiques) et internationaux. La fiabilité des données découlera d’une présentation du modèle aux acteurs ci-dessus dans chaque pays cible pour une auto validation.
Nos préconisations vont vers la réalisation de l’étude dans tous les pays de la zone CIMA et la création d’un bureau commun de statistiques pour standardiser les tarifs et unifier les modèles de provisionnements.
Source : Financialafrik