Dominé par les grandes compagnies de transferts de fonds, le marché des envois de devises sur le continent enregistre la concurrence des banques, bien sûr, ainsi que celle des Fintechs. Sans que, du moins jusqu’à présent, le coût moyen du transfert ne diminue sensiblement.
Malgré les nombreuses crises mondiales, les envois de fonds des travailleurs expatriés dans le monde ont connu une croissance soutenue depuis vingt ans. Multipliés par 9 dans les pays à revenus faibles et intermédiaires depuis le début des années 2000, ils représentent désormais une source de flux financiers entrants plus importante que l’Aide publique au développement et que les investissements directs étrangers (IDE). En 2022, leur montant était deux fois plus important que les IDE (en excluant la Chine du périmètre), relève une analyse de GSA (Global Sovereign Advisory).
Si la Fintech a contribué à améliorer la concurrence et à diminuer le prix moyen des transferts de fonds, leur impact direct sur le prix des banques et des opérateurs de transferts de fonds traditionnels reste à nuancer.
En dehors des « chocs mondiaux », ces envois de fonds ont tendance à augmenter en période de catastrophes naturelles ou de ralentissement économique dans les pays destinataires. En effet, les travailleurs émigrés, dont dépendent plus de 800 millions de personnes dans le monde, répondent alors aux besoins financiers croissants de leur famille restée au pays en travaillant davantage, en réduisant leur propre consommation ou en puisant dans leur épargne. Les envois de fonds sont ainsi devenus un mécanisme important de lissage de la consommation pour les ménages bénéficiaires et constituent, à ce titre, un élément crucial des systèmes mondiaux de protection sociale. Nous l’avons vu en 2020.
Si, au niveau mondial, les flux d’envois de fonds apparaissent résilients en temps de crises, les tendances diffèrent selon les régions, et l’Afrique n’est pas la mieux placée. En valeur absolue, les principaux pays bénéficiaires de transferts de fonds sont l’Inde, la Chine, le Mexique et les Philippines. En 2022, l’Inde a ainsi reçu 111 milliards de dollars d’envois de fonds de l’ensemble de ses travailleurs expatriés dans le monde, soit plus de 17% du total des envois de fonds dans les pays à revenus faibles et intermédiaires.
Si ces grands pays destinataires concentrent une part importante du volume total des envois de fonds dans le monde, leurs économies n’en sont pas les plus dépendantes, eu égard à leur poids respectif dans leur PIB, constatent les analystes de GSA.
L’ampleur des envois de fonds des travailleurs expatriés dans les pays à revenus élevés est dépendante du dynamisme du marché du travail du pays d’accueil et, plus largement, de sa croissance économique.
L’importance des canaux informels
D’ailleurs, en moyenne 60% des envois de fonds reçus par l’Afrique subsaharienne proviennent des économies à revenus élevés. En 2021, cette part s’élevait à 82% pour le Kenya, 72% pour le Sénégal, 67% pour le Nigeria et 63% pour le Ghana, rendant leurs entrées de devises particulièrement dépendantes du dynamisme de l’activité économique des pays du Nord.
Si, relativement aux autres régions du monde, l’Afrique subsaharienne n’attire qu’une faible part des envois de fonds à destination des pays à revenus faibles et intermédiaires (8% en 2022), l’émigration vers les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France ou encore l’Italie a favorisé une croissance progressive des envois de fonds à destination de la région. Ces derniers ont atteint un pic de 53,1 milliards $ en 2022 (2,6% du PIB de la région), soit presque le double du total des IDE reçus par les économies subsahariennes (30,6 milliards $).
D’ailleurs, ce montant record serait largement sous-estimé, une grande partie des transferts de fonds étant envoyée par des canaux informels qui ne sont pas pris en compte dans les statistiques officielles. Ce phénomène est particulièrement important en Afrique subsaharienne en raison du coût élevé des transactions. Avec un coût moyen de 8%, il est le plus élevé de toutes les régions du monde. De plus, pour les pays confrontés à des pénuries de devises, comme le Nigeria, l’Éthiopie, le Ghana ou encore le Mozambique, l’existence d’un marché des changes parallèle et de sa prime de change déplace les flux de transferts officiels vers des canaux alternatifs offrant de meilleurs taux.
Sur ce point, les analystes relèvent que le coût moyen des transferts de fonds a significativement diminué ces dix dernières années, bien qu’il soit encore élevé. En 2011, les expéditeurs devaient payer en moyenne 9,1% pour envoyer 200 $ dans leur pays d’origine. Au premier trimestre 2023, ce coût serait revenu à 6,3%.
Avec un coût moyen de 11,8% au quatrième trimestre 2022, les banques constituent le type de prestataire de services le plus coûteux. Derrières elles, se trouvent les bureaux de Poste (6,3%) et les opérateurs de transferts internationaux (5,4%). Le sous-développement des infrastructures financières dans certains pays ainsi que les coûts liés au fonctionnement des réseaux bancaires transfrontaliers et à l’entretien des réseaux d’agents expliquent en partie les prix élevés des envois de fonds. Toutefois, ces derniers sont également largement liés au manque de transparence du marché, aux marges significatives prélevées sur les taux de change et à la concurrence limitée sur le marché. Parmi les opérateurs de transferts internationaux par exemple, les géants Western Union et MoneyGram opèrent dans 90% des corridors suivis par la Banque mondiale.
Un impact positif mais à relativiser des Fintechs
Toutefois, depuis 2015 environ, l’arrivée rapide des opérateurs de téléphonie mobile et surtout celle des acteurs de la Fintech contribue à la baisse des prix dans de nombreux corridors d’envois de fonds. Les Fintechs affichent des prix moyens proches de 3%.
« Par la suppression des intermédiaires traditionnels et l’utilisation de technologies financières offrant une rentabilité accrue, ces nouveaux acteurs proposent des services de transferts rapides et des frais de transaction moins élevés », observe GSA.
En outre, alors que certains pays en développement sont encore sous-bancarisés, les Fintechs tirent parti de la large pénétration des téléphones mobiles pour assurer l’inclusion financière des populations mal desservies. Par exemple, apparue en 2011 et aujourd’hui valorisée à plus de 11 milliards $, Wise constitue l’une des premières Fintechs, en termes de volumes transférés. Si, avec les sociétés Remitly, WorldRemit et Nium, elles partagent une large part de marché, le paysage des Fintechs compte un nombre toujours croissant de nouveaux acteurs.
Au premier trimestre 2023, le classement des quinze corridors les plus onéreux comptait un grand nombre de pays africains. Ces corridors onéreux présentent une caractéristique commune : une présence relativement limitée de Fintechs sur leur marché des transferts de fonds. À l’inverse, le classement des quinze corridors les moins onéreux est largement composé de pays d’Asie du Sud et du Golfe. Ainsi, les travailleurs pakistanais expatriés aux Émirats arabes unis, au Koweït ou à Bahreïn supportent un coût respectif de 1,7%, 2% et 2,2% pour envoyer 200$ dans leur pays d’origine. De même, les travailleurs philippins émigrés en Espagne, aux Émirats arabes unis et au Koweït bénéficient de prix relativement faibles.
L’arrivée progressive de la Fintech sur le marché des envois de fonds semble donc avoir un impact positif sur le prix moyen des transferts. En offrant des services financiers plus rapides et moins coûteux, elle oblige les acteurs traditionnels à gagner en transparence et à abaisser leurs marges pour conserver leurs parts de marché.
« Toutefois, cet effet potentiellement perturbateur est à relativiser », prévient GSA. D’une part, alors que le nombre de corridors desservis par la Fintech a fortement progressé à partir de 2015, aucune accélération de la diminution des coûts des envois de fonds n’est observable depuis cette date. Ceci semble lié aux parts de marché faibles détenues par les Fintechs, relativement aux acteurs traditionnels du marché des transferts de fonds.
Si l’émergence des acteurs de la Fintech a contribué à améliorer la concurrence sur le marché des paiements internationaux et à diminuer le prix moyen des transferts de fonds, leur impact direct sur le prix des banques et des opérateurs de transferts de fonds traditionnels reste à nuancer.
La Magazine de l’Afrique