En tant que journaliste, nous sommes obligés d’établir une certaine limite dans nos relations avec nos interlocuteurs. C’est pour nous protéger contre certaines pratiques comme la manipulation et nous aider à demeurer équidistant. Je m’imposais cette pratique, en prenant le soin de consacrer la formule ‘’Monsieur’’ à mes interlocuteurs. J’ai voulu en faire de même avec le défunt Pierre Ndiaye. Mais il a rapidement enlevé cette manière de faire. Il m’a toujours appelé par mon prénom Aliou. J’étais obligé moi aussi au bout d’un certain moment de l’appeler par son prénom, Pierre, parce que quelque chose dans son comportement, me disait qu’il n’était pas comme les autres. On pouvait lui faire confiance. La suite dans nos relations me le confirmera.
Il était d’une simplicité extraordinaire. Je pouvais l’appeler à n’importe quelle moment de la journée, il répondait toujours avec la même attitude d’ouverture. S’il ne pouvait pas me parler, il prenait toujours le soin de me rappeler, même si c’est à une heure tardive. Je me souviens quand il y a eu la polémique sur les chiffres de la croissance, entre la DPEE et l’ANSD, je l’ai appelé pour avoir son éclairage. Sa réaction a été de me dire : « je savais que tu allais appeler, tu es un journaliste professionnel. Tu respectes ton métier et tes lecteurs ». J’avoue que venant de lui, c’était très fort, pour moi. Mais en fait, il le disait aussi parce que, beaucoup d’entre nous, ne vont plus à la source pour avoir la bonne information. On se contente bien souvent de ce qui disent les uns et les autres et non des personnes ressources indiquées. Et sur ce débat sur la différence entre les chiffres donnés par ces deux structures de l’état, c’était le cas.
Il n’a jamais dit non à un entretien ou un échange avec moi. Ce qui est rare quand on fréquente la haute administration. Beaucoup de fonctionnaires cherchent souvent des excuses pour ne pas se prononcer sur des thématiques d’actualité. Certains essaient de trouver le moment opportun, pour parler. Ce n’était pas le cas de Pierre Ndiaye. Il était ouvert, comme le sont les grands professionnels. Pierre avait une parfaite maîtrise de son sujet. Il me disait Aliou « nous n’avons rien à cacher, nous sommes des professionnels et tous les chiffres que nous donnons font l’objet d’études rigoureuses de la part de nos équipes ».
Un grand serviteur de l’Etat
Il a été partout pour défendre son pays. De Washington à Paris, de Lusaka à Cotonou, ce haut fonctionnaire, ingénieur statisticien représentait son ministre ou bien était toujours derrière lui, pour lui prodiguer les bons conseils et lui donner les bonnes orientations. Il a servi avec loyauté le ministre Abdoulaye Diop qui l’a nommé au poste de Directeur de la prévision et des enquêtes économiques (DPEE), en remplacement de Sogué Diarisso. Au début de la seconde alternance, avec Amadou Kane, il était encore là. Puis est venu l’ère Amadou Ba. C’est ce dernier qui l’a nommé, Directeur général de la planification et des politiques économiques. Pierre Ndiaye a été de tous les combats avec Amadou Ba, pour la réussite du Plan Sénégal émergent. De la conception à la présentation du Plan aux bailleurs, il formait un duo exceptionnel avec son collègue, l’actuel directeur général du budget, Mamadou Moustapha Ba. Je me souviens de son sourire et de sa phrase, quand je suis venu le féliciter, au terme du groupe consultatif du Sénégal, en 2014, il m’a dit « félicitation à toi aussi Aliou parce que c’est le Sénégal qui a gagné ». Pierre aimait son pays et le servait avec loyauté. C’est pourquoi, quand Amadou Hott, l’actuel ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, l’a nommé au poste de Secrétaire général de son ministère, c’est-à-dire, le numéro deux, ce n’était pas étonnant. Il avait pratiqué l’homme et savait qu’il pouvait beaucoup lui apporter. Pierre Ndiaye a servi quatre ministres et s’est retrouvé à la fin au sommet du département de l’économie. C’est une prouesse. Mais c’est l’homme qui était comme ça, effacé et efficace. La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était il y a quelques semaines, précisément le 26 octobre, dans son bureau, il m’entretenait encore sur les moyens pour permettre aux journalistes d’avoir toujours la bonne information. Je ne savais pas que c’était notre dernière rencontre. Qu’Allah le Tout Puissant l’accueille en son paradis. Repose en paix Pierre !