Par Mushtak Parker
La conviction des dirigeants africains est que l’Afrique se développera plus rapidement si ses pays sont intégrés économiquement, notamment au travers de la Zone de libre-échange. Or, une politique des petits pas s’impose en la matière, sous peine de désillusions.
Le 21e siècle est souvent décrit comme « le siècle de l’Afrique ». C’est avec cette vision optimiste à l’esprit que l’UA a désigné le 7 juillet de chaque année comme Journée de l’intégration africaine (JIA), afin d’évaluer les progrès accomplis par le continent pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 et réaliser l’« Afrique que nous voulons ».
Cette initiative repose sur la conviction que plus les 55 pays d’Afrique seront intégrés, économiquement, culturellement, politiquement et spirituellement, plus le continent aura de chances de réaliser son potentiel. Dans le sillage de la pandémie actuelle, des retombées du conflit ukrainien et du choc mondial qui en découle, la JIA a revêtu cette année une urgence supplémentaire.
Dans un contexte particulier en raison des crises, la troisième édition de l’événement, à Lusaka (Zambie) s’est terminée par un « Boma » (mot swahili désignant une enceinte protectrice), au cours duquel des personnalités du monde entier ont réfléchi aux promesses et aux dangers de l’intégration.
Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’un événement de premier plan à ajouter au calendrier africain et d’une scène sur laquelle divers acteurs peuvent prononcer des discours enthousiastes et stimulants, on peut se demander, une fois la rhétorique et les platitudes retirées, dans quelle mesure l’agenda de l’Afrique 2063 « L’Afrique que nous voulons » est réaliste. Toute la superstructure a été construite sur le potentiel de la ZLECAf à agir comme une sorte de marché commun africain ou, mieux encore, à fonctionner selon les modalités de l’UE, avec une circulation sans faille des biens, des personnes et des idées, stimulant une plus grande productivité et générant de vastes quantités de commerce.
C’est un rêve et un rêve agréable, mais la réalité, malheureusement, est bien différente. Dans ses premiers jours, la ZLECAf est déjà minée par des intérêts bien ancrés, un manque de volonté politique et un manque général de respect des règles.
Une vision trop optimiste
Les propres statistiques de l’UA incitent à la réflexion. Son deuxième rapport continental sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063 déplore que l’Afrique ait réalisé des progrès modérés vers « une Afrique prospère fondée sur une croissance inclusive et un développement durable », en raison d’une baisse du PIB par habitant de 3 170 dollars en 2019 à 2 910 dollars en 2021 et de taux de chômage élevés.
Certes, les chiffres relevés sur une période limitée dans le contexte particulier de la pandémie ne devraient pas servir de référence pour mesurer l’efficacité de la poussée vers une plus grande intégration économique, mais ils suggèrent peut-être qu’il serait plus sage de tempérer un peu nos attentes. Il n’est pas réaliste d’atteindre le type de paramètres de développement mondial souhaité en seulement 40 ans, comme l’ambitionne l’UA, tout comme sa vision irréaliste et trop optimiste des gains potentiels immédiats de la ZLECAf.
Il serait peut-être préférable de modérer l’hyperbole sur cette Zone de libre-échange plutôt que d’en augmenter le volume. Une récente enquête commerciale menée par le Comité panafricain du secteur privé pour le commerce et l’investissement (PAFTRAC) auprès de PDG africains a révélé que la majorité d’entre eux estimaient que « la mise en œuvre de la ZLECAf sera un long processus qui se fera par des milliers de petites étapes. La réalisation des changements législatifs et réglementaires requis dépend de la volonté politique des gouvernements d’en faire une réalité. »
Il s’agit là d’une vision beaucoup plus réaliste et il n’est pas surprenant qu’elle émane de PDG, endurcis et lucides par leurs batailles quotidiennes dans le monde impitoyable du commerce. Outre la multitude de problèmes pratiques que pose la mise en œuvre, ou la tentative de mise en œuvre, des paramètres du marché commun, il existe également des problèmes structurels et macroéconomiques préoccupants.
Selon Bloomberg, sur les 25 pays présentant le plus grand risque de défaillance de la dette souveraine en 2022, treize sont issus du continent ; ils comprennent l’Égypte, l’Afrique du Sud et le Nigeria, les trois plus grandes économies d’Afrique. L’intégration est une noble aspiration, mais elle doit être fondée sur un réalisme socio-économique. La quête de l’Afrique pour devenir une force économique mondiale ne peut se faire, au mieux, que par des mesures modestes mais sûres.
Le Magazine de l’Afrique