Selon le fondateur de la Fondation Mo Ibrahim, les engagements pris lors de la COP26 pour mettre fin au financement des combustibles fossiles empêcheraient le l’accès à l’électricité pour des millions d’Africains.
Quel sera le « dossier de l’Afrique » à la COP27 ?
Comme l’événement sera accueilli par l’Égypte en novembre, c’est une occasion unique de s’assurer que la spécificité de l’Afrique est correctement prise en compte dans le débat mondial et donc dans la définition de politiques pertinentes. Ce que les dirigeants n’ont pas réussi à faire jusqu’à présent.
Le « cas de l’Afrique » peut être articulé autour de trois points principaux.
Premièrement, en tant que continent le moins industrialisé, l’Afrique est aussi le moins responsable du changement climatique. Pourtant, comme, à l’instar de la Covid-19, la crise climatique ne connaît pas de frontières, cela signifie également que l’Afrique est la plus vulnérable à son impact, avec moins de moyens d’adaptation.
Si cette vulnérabilité n’est pas traitée correctement, elle entraînera une augmentation de la pauvreté et de l’instabilité, ce qui menacera les engagements mondiaux visant à atteindre les Objectifs de développement durable et à garantir la sécurité mondiale.
Deuxièmement, nous devons trouver un juste équilibre entre la protection du climat et l’accès à l’énergie pour tous les habitants de la planète, entre la justice sociale et la justice énergétique.
En Afrique, 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, soit deux fois plus que la population totale des États-Unis. Or, si nous nous en tenons aux engagements pris lors de la Cop26 de mettre fin au financement des combustibles fossiles, des millions d’Africains n’auront pas la chance de se développer !
Troisièmement, le potentiel de l’Afrique en matière de biodiversité, de sources d’énergie renouvelables et de minéraux essentiels à une économie à faible émission de carbone doit être sérieusement pris en considération. Le continent peut jouer un rôle central dans une économie verte durable, à condition que les obstacles pertinents soient correctement abordés : capacités financières et humaines, infrastructures, gouvernance.
La COP27 est donc l’occasion pour l’Afrique de faire valoir ces considérations auprès de la communauté internationale et de s’assurer que le débat global tienne compte des besoins et du potentiel spécifiques du continent.
Quel est le rôle du gaz en tant que « combustible de transition », et quand cette transition doit-elle prendre fin ?
Lorsque nous parlons de la transition énergétique en Afrique, la première chose à noter est que le continent présente actuellement le plus grand déficit énergétique au monde : le chiffre de 600 millions de personnes vivant sans électricité est appelé à augmenter, compte tenu des tendances démographiques.
Ainsi, l’approche unique adoptée à Glasgow lors de la COP26, pour éliminer progressivement le financement public et international des combustibles fossiles, a totalement négligé la pauvreté énergétique de l’Afrique, sa faible empreinte carbone et le droit des populations africaines au développement.
À Glasgow, l’objectif évident était de passer le plus rapidement possible à une dépendance totale vis-à-vis des énergies renouvelables. Je ne suis pas sûr que tout le monde soit conscient qu’en fait, les énergies renouvelables constituent déjà une part importante du mix énergétique de l’Afrique : 22 pays, donc presque la moitié du continent, utilisent déjà les énergies renouvelables comme principale source d’électricité. Je ne suis pas sûr non plus que cette situation puisse être égalée par aucune autre région du monde.
Cependant, il est impossible que les énergies renouvelables puissent à elles seules répondre à court terme à la demande actuelle et croissante du continent et garantir l’accès à l’énergie aux Africains qui en sont encore privés.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est insensé d’empêcher l’utilisation des réserves de gaz de l’Afrique pour contribuer à combler cette lacune, qui constitue un défi majeur en matière de développement. Dix-huit pays africains produisent déjà du gaz, et le gaz est, de loin, le moins polluant de tous les combustibles fossiles – deux fois moins que le charbon, par exemple.
L’exploitation de ce potentiel, avec les infrastructures et les canaux de distribution adéquats, pourrait contribuer à lutter contre la pauvreté énergétique sur le continent, tandis que les inconvénients environnementaux du torchage et de l’évacuation du gaz pourraient certainement être traités grâce à un financement approprié.
Le gaz naturel doit être considéré comme un combustible de transition, pour compléter le développement clé en parallèle des énergies renouvelables, qui doivent certainement être stimulées, mais qui ne sont pas encore en mesure de répondre à elles seules aux besoins énergétiques urgents de l’Afrique.
Il est évident que cette période de transition doit prendre fin le plus tôt possible, mais pas au détriment de l’ODD7, car il n’y a aucun espoir de faire avancer le programme de développement de l’Afrique sans combler le déficit énergétique du continent.
Quels sont les compromis possibles entre le climat et le développement ?
Il est essentiel de protéger notre planète contre la crise climatique et de garantir le développement de tous nos concitoyens. Il ne peut y avoir de compromis entre les deux.
L’impact du changement climatique met indubitablement en péril la réalisation des ODD et de l’Agenda 2063, ce qui souligne l’importance d’adopter des mesures pertinentes d’adaptation au climat.
Mais nous devons également veiller à ce que les solutions d’atténuation du changement climatique n’aient pas elles-mêmes un impact négatif sur les objectifs de développement. Là encore, l’accès à l’énergie pour tous est un droit fondamental qui ne peut être refusé.
En effet, l’Afrique est en avance sur une grande partie du reste du monde en ce qui concerne l’ODD13 sur l’action climatique, avec près de trois quarts des pays du continent qui l’ont atteint. Mais si l’on considère l’ODD1 sur la pauvreté, l’ODD2 sur la faim et l’ODD7 sur l’énergie, l’Afrique est gravement à la traîne.
Nous devons donc équilibrer soigneusement tout cela et cesser de travailler en vase clos. Le développement d’un côté, le climat d’un autre, et la sécurité d’un autre côté.
Existe-t-il des voies de développement ouvertes à l’Afrique qui ne nécessitent pas de combustibles fossiles ?
Comme je l’ai dit, le programme de développement de l’Afrique ne peut pas avancer sans combler le déficit énergétique du continent et, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’autre solution viable que d’utiliser le gaz, le moins polluant de tous les combustibles fossiles, comme combustible de transition pour combler ce déficit.
Quelle est la contribution des chaînes d’approvisionnement mondiales aux émissions de carbone, et la Zone de libre-échange aidera-t-elle à réduire ces émissions ?
Bien sûr, les chaînes d’approvisionnement mondiales contribuent aux émissions de carbone par le transport des matières premières dans un sens et des produits transformés dans l’autre. Le fret maritime est de loin le pire, comme l’a souligné un récent rapport publié par l’AFC (Africa Finance Corporation).
En Afrique, le renforcement de la transformation locale des matières premières, ainsi que l’expansion de la fabrication locale pour les marchés locaux, peuvent certainement contribuer à réduire les émissions de carbone au niveau mondial. Cela signifie un continent mieux intégré, où le commerce intra-africain est par conséquent amélioré.
De toute évidence, la mise en œuvre de la ZLECAf est un facteur clé pour aider à atténuer ces impacts négatifs, en encourageant les échanges.
La position de Ngozi Okonjo-Iweala à l’OMC aidera-t-elle l’Afrique à améliorer sa position commerciale vis-à-vis du reste du monde ?
Avec son expérience à la Banque mondiale comme au sein du gouvernement du Nigeria, notre consœur est sans aucun doute la mieux placée pour obtenir des résultats non seulement pour les économies les plus puissantes, mais aussi pour les pays les plus pauvres du monde et les personnes laissées-pour-compte.
Je suis convaincu qu’elle peut faire avancer la position africaine en développant un programme commercial mondial inclusif qui peut sortir des millions de personnes de la pauvreté et apporter une prospérité partagée au monde.
Les liens entre le commerce et le climat figurent-ils dans son programme ?
Oui, et elle l’a fait savoir de manière explicite depuis qu’elle a pris ses fonctions. Elle met constamment en évidence le rôle clé que le commerce peut jouer dans la réduction des gaz à effet de serre en faisant évoluer l’économie mondiale vers une économie à faible émission de carbone.
Le Magazine de l’Afrique