Par Chabi G. N. Yayi Économiste béninois, diplômé de l’université de Montréal; Il est spécialiste en implémentation de projets agricoles et agroalimentaires. Il est le promoteur d’une des plus importantes coopératives agricoles au nord Bénin.
Allons-nous vers « un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial », comme le redoute António Guterres ? Si l’alerte est fondée, il faut souligner la capacité de résilience de nos économies. L’Afrique ne tombera pas dans la famine mais elle doit mieux investir dans l’agriculture.
Depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, nous observons une inflation sur le prix des produits agricoles, qui nous fait nous interroger sur la pérennité de nos systèmes alimentaires. Ce, suite à la crise de la demande de 2020, et la crise de l’offre en 2021… Que faire pour sortir de l’impasse et éviter la catastrophe annoncée ?
Au-delà du volet humain qui confère à cette guerre un caractère tragique, les retombées dramatiques sur notre écosystème agricole sont déjà perceptibles. Cet évènement a été un élément additionnel qui a alimenté la spirale inflationniste sur le cours de certains produits. Les prix de l’urée, de la potasse et du phosphate avec l’arrêt des exportations de l’Ukraine et de la Russie atteignent de nouveaux sommets. Ces deux pays représentent près de 25 % du commerce international des engrais.
C’est un coup dur pour l’agriculture africaine. Notre géant continental africain, comme OCP (Office chérifiens des phosphates) est fortement touché car se fournissant en potasse russe pour fabriquer le NPK, engrais incontournable dans la production du coton par exemple. L’urée seul a atteint 1100 dollars la tonne. Les experts prévoient un manque de 1 million de tonnes d’engrais en Afrique de l’Ouest, ce qui pourrait se retranscrire par un manque de production estimé à près de 20 millions de tonnes de grains (riz, mais, etc.) de mai à décembre 2022.
L’Ukraine et la Russie représentent aussi 30% du commerce de blé dans le monde. Les sanctions imposées à la Russie ainsi que le blocage des ports ukrainiens ont eu pour impact la hausse du prix de la farine de blé, principal intrant dans la fabrication du pain. Le prix de la farine de blé passe de 200 euros avant la crise à plus de 400 euros la tonne. Le prix de la baguette de pain passe de 125 F.CFA à 150 F.CFA aussi bien à Libreville qu’à Cotonou tandis qu’à Abidjan le gouvernement choisit de maintenir son prix à 150 francs, mais de diminuer son poids d’une trentaine de grammes, à 174 g.
Et que dire des pays du Maghreb qui sont si dépendants du blé russe ? Des pays comme l’Égypte, l’Algérie, le Soudan se retrouvent à devoir chercher dans l’urgence comment combler leur demande intérieure. Qui se souvient des émeutes du pain de 1977 en Égypte et plus récemment du départ d’Omar El Bechir au Soudan, intervenu suite à la hausse du prix de la baguette, sait que ce sujet est une thématique très inflammable dans la région.
Cette pression se retrouve aussi sur le marché des huiles alimentaires, plus spécifiquement sur l’huile de tournesol. En 2020, les exportations d’huile de tournesol ukrainienne et russe représentaient près de 60% au niveau mondial. Autant de mauvaises nouvelles qui font dire à la FAO que les prix des produits agricoles ont atteint des sommets jamais enregistrés.
Avons-nous la bonne approche ?
Le manque à gagner frappe d’autres produits. Nous ne devons pas occulter que cette crise ferme des débouchés pour un pan de notre agriculture comme le cacao, les agrumes sud-africains, pour qui la Russie représentait un débouché en constante progression.
Les systèmes de production alimentaires africains ont été mis à rude épreuve depuis trois ans. La crise sanitaire, la crise économique qui en a résulté et les difficultés qu’ont connues les systèmes logistiques à travers le monde ont eu un impact certain sur notre production agroalimentaire.
Il faut tempérer ces analyses catastrophistes en soulevant la capacité de résilience de nos économies africaines. La disponibilité de produits de substitution à base de manioc, mil, igname feront que nous ne basculerons pas dans la famine. Nous devons reconnaître que la faiblesse de nos exportations industrielles, la faible utilisation des intrants agricoles et la disponibilité de la main-d’œuvre sur place pour la production nous avait « préservés » du désastre.
Oui cette crise des céréales aura un impact certain sur les populations mais les effets seront disparates sur tout le continent. Notre faible utilisation en engrais sur les produits vivriers, la plus basse du monde, est dans ce contexte un élément atténuant notre exposition aux cours de l’engrais. Ce qui n’est pas le cas dans les cultures de rente comme le coton ou l’impact sera rude si les cours du coton n’évoluent pas dans les mêmes proportions.
Une politique de diversification agricole est nécessaire pour augmenter la part du vivrier, ce qui permettra de réduire la facture des produits alimentaires qui s’élevaient en 2019 à 48,7 milliards $, selon la FAO.
Nos gouvernements doivent investir massivement dans des infrastructures de stockage des récoltes, de maîtrise de l’eau et dans la mécanisation de la production agricole. Nous devons travailler sur notre modèle de production pour augmenter les rendements, travailler sur notre marché intérieur car en 2050, il y aura 2 milliards d’Africains à nourrir, et nous ne pouvons pas continuer à dépendre de l’extérieur pour le faire. Cette crise est l’opportunité pour nous africains de travailler sur des produits de substitution à la farine de blé comme la farine de patate douce, de manioc ou de plantain. L’occasion pour nous de développer de projets d’envergure régionale comme la récente inauguration de l’usine d’urée de Dangote au Nigeria et aussi harmoniser nos politiques pour qu’enfin nous puissions connaître une réelle révolution verte et développer notre autonomie alimentaire.
Le Magazine de l’Afrique