Mohamed Dia, économiste : « La subvention sur les denrées de première nécessité pourrait avoir un impact favorable sur l’efficience économique »

Les prix de certains produits ont connu une hausse vertigineuse sur le marché international. Au niveau local, l’onde de choc est ressentie par les consommateurs. Pour soulager les populations, le Gouvernement du Sénégal a décidé de revoir à la baisse les prix des denrées de première nécessité. Dans cette interview, l’expert Mohamed Dia analyse cette politique économique des autorités étatiques et ses conséquences.

 

Le Gouvernement du Sénégal a procédé à la baisse des prix de certaines denrées alimentaires (riz, huile et sucre). En tant qu’expert financier, quelle lecture en faites-vous ?

La lecture sociale est que les populations en ont besoin, car elles souffrent à cause de la crise sanitaire (pandémie de COVID-19) et des emplois précaires perdus, etc.

En outre, le pétrole a bondi et a dépassé la barre des 100 dollars le baril, depuis 2014. Il y a eu une hausse de plus de 120 % par rapport à l’année dernière. C’est ce pic pétrolier qui a aggravé les pressions inflationnistes et renchéri le coût de la vie dans le monde et plus particulièrement dans les pays pauvres. Pour ces pays défavorisés comme le nôtre, l’augmentation du prix du pétrole rend la réforme structurelle très difficile. L’impact socio-économique est que le Gouvernement se retrouve dans une impasse. Car ne pouvant pas maintenir les prix, il a tendance à répercuter la hausse sur les prix de denrées de première nécessité, comme on l’a constaté avant la baisse annoncée ces derniers temps. A chaque fois que le baril grimpe et que le Gouvernement souhaite maintenir les prix des produits alimentaires, il y a toujours un autre facteur à ne pas négliger. Les commerçants, qui ont acquis leurs stocks à un prix plus élevé, rechignent à se plier aux nouveaux prix à cause de leur marge. Cela encourage une thésaurisation des stocks et le Gouvernement ne dispose pas de tous les moyens pour contrôler le marché et mettre fin à la spéculation des prix.
Cette subvention sur les prix des denrées de première nécessité est une bonne chose durant cette période de sortie de crise, car elle profite à tous les segments de la population et surtout aux populations les plus vulnérables. Cela empêche des milliers de ménages de plonger dans la pauvreté extrême. Cette subvention pourrait avoir un impact favorable sur l’efficience économique, en particulier sur la croissance, car les ménages auront moins peur de dépenser. On note aussi une corrélation positive entre les subventions sur les denrées de première nécessité et la santé des populations, ce qui va inéluctablement affecter l’éducation aussi.

Quelles peuvent être les conséquences de cette politique économique ?

On note qu’une augmentation du prix du baril de pétrole entraîne une perte de croissance dans les pays en développement importateurs de pétrole et une perte encore plus importante dans les pays d’Afrique sub-saharienne. En outre, on note, en général, que l’augmentation des prix du pétrole a un impact direct sur la croissance économique. Cela conduit à un transfert des revenus des pays importateurs vers les pays exportateurs. Trois stratégies sont souvent utilisées dans les politiques fondées sur les prix. L’Etat peut répercuter l’intégralité de l’augmentation des prix sur un produit aux consommateurs. Mais avec la crise sanitaire qui a sévi pendant ces deux dernières années, une telle stratégie sera une option hasardeuse qui risquerait de mener vers des manifestations.

L’Etat peut aussi répercuter partiellement ou pas du tout en subventionnant certains produits ou en réduisant les impôts et enfin ajuster les prix de telle sorte que les entreprises pétrolières réduisent leur marge. Le Gouvernement impute toujours la hausse des prix au pétrole et au prix des produits de base. Il peut suspendre les surtaxes sur le riz, le sucre et les importations de pétrole pour réduire les pressions fiscales sur les importateurs et encourager les commerçants à baisser les prix des matières premières.
Parallèlement, cette suspension des surtaxes peut réduire de manière significative les recettes d’importation. Avec le déficit budgétaire qui a dépassé le seuil de 3 % à cause de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, il sera impensable de suspendre la TVA de 18 % sur certains articles. La contrainte est que pendant ce temps, le Sénégal cherche à ramener progressivement son déficit budgétaire à 3 % du PIB vers 2023. En regardant la stratégie de recettes à moyen terme (SRMT), on s’aperçoit que l’Etat veut s’y prendre en renforçant la mobilisation des recettes par l’élargissement de l’assiette des impôts et le renforcement de l’efficience et de l’efficacité des Administrations. Les réalités géopolitiques changent souvent, ce qui doit pousser l’Etat à s’adapter de manière efficiente. Il faut aussi implémenter la ZLECAF (Zone de Libre-Echange Continentale Africaine) et une monnaie commune pour commencer l’industrialisation de l’Afrique.

 

Et quid des autres solutions qui s’offrent à l’Etat ?

 

Nous ne pouvons pas parler de ce sujet sans parler de la démographie. En Afrique subsaharienne, la population est jeune et le taux de fécondité est de 4,9 en 2018, au Sénégal ; ce taux est de 4,77 enfants par femme. L’Afrique a l’un des sous-sols les plus riches dans le monde et paradoxalement une population pauvre.

Selon le rapport des Nations Unies intitulé « Aperçu régional de la sécurité alimentaire et de la nutrition en Afrique », 237 millions de personnes en Afrique subsaharienne souffrent de sous-nutrition chronique, entravant ainsi les progrès réalisés ces dernières années. Selon les malthusiens et les néo-malthusiens, une population qui s’accroît d’une manière exponentielle, sans aucun contrôle, ne pourra jamais se développer.

En augmentant les personnes disproportionnellement à la création de richesses, on notera une stagnation du niveau de vie. Ce qui explique qu’au Sénégal, depuis l’indépendance, à part quelques infrastructures dans la Capitale, le développement humain peine à devenir une réalité.

Depuis l’indépendance, nous parlons toujours d’autosuffisance alimentaire et nous recevons beaucoup d’aide dans ce sens. C’est pourquoi la théorie de la population optimale a vu le jour. C’est une limite au-delà de laquelle la population ne peut plus être favorable à l’essor socio-économique.

Dans ce sens, Thomas Malthus disait, « si une population n’est pas freinée, elle s’accroît selon une progression géométrique, alors que les subsistances augmentent selon une progression arithmétique. »

Plus les enfants naissent, plus la population est jeune et une population jeune ne favorise pas l’épargne. Et lorsqu’il n’y a pas d’épargne, les banques ne peuvent pas financer les projets de développement. La conséquence est que nous sommes une société de consommation et non d’épargne. Quand on réduit les dépenses, surtout en période de crise, il sera plus facile de plonger dans la récession, car on crée moins de richesses et pour accroître les recettes il faut imposer les populations et cela ralentit la création d’emplois.

Nous sommes dans une situation très compliquée, avec la crise qui sévit dans tous les pays partenaires. Le juste milieu consiste à réduire le déficit tout en maintenant les investissements publics pour pouvoir avoir une croissance forte. Pour ce faire, il est important de revoir les subventions accordées aux entreprises parapubliques et les privatiser au besoin et essayer de geler le recrutement de la fonction publique vu que la masse salariale atteint presque le quart  (¼)  de notre budget.

Il faut, en contrepartie, utiliser ces fonds pour augmenter les dépenses sociales pour pouvoir protéger les couches les plus vulnérables.

Entretien réalisé par Birame GUENE

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