Professeure agrégée de Droit public à l’Université Paris Nanterre, Mme Laurence Folliot Lalliot, Experte internationale en matière de commande publique, est spécialisée dans les contrats publics depuis 1994 et formatrice à l’ARMP. Elle a accordé cette interview à Challenges Economiques à l’occasion de la tenue à Dakar, la Capitale sénégalaise, des ‘’Rencontres internationales sur la modernisation de la commande publique en Afrique’’.
Levée de l’étanchéité entre le monde universitaire et le monde de l’administration.
On voit déjà que les universitaires interviennent, et apportent aussi un regard extérieur qui peut être bénéfique à l’administration. En tant que universitaire, notre travail c’est aussi de chercher, de regarder ce qui se passe ailleurs, de comparer, de proposer des solutions. A partir d’un terrain existant, d’une pratique que nous maitrisons, aussi de plus en plus, parce que si on laisse la place aux universitaires, ils peuvent découvrir le terrain et à partir de là construire des hypothèses, proposer des solutions, faire travailler les étudiants sur des thèmes de recherche qui sont des thèmes porteurs pour l’administration. Les universitaires peuvent proposer aussi des formations et des nouveaux métiers, pour ces domaines qui sont en plein essor, en pleine expansion.
Partage des expériences dans les réformes.
Le partage des expériences est multiforme. Tous les Etats du monde sont quasiment dans un état permanent de réforme, de leur commande publique depuis plusieurs années. Donc, ils essaient tous d’améliorer leur commande publique. Ils ont tous les mêmes finalités, d’économiser de l’argent, d’avoir des services de meilleures qualités, d’avoir plus de transparence. Mais, ils agissent plus ou moins en fonction du contexte local, de l’histoire du pays, de la situation économique. Par conséquent, c’est intéressant de faire le pont entre ces différentes expériences, et de montrer que dans un contexte qui est un peu similaire, ou bien qui a des problématiques comparables, on peut avoir telle ou telle solution.
Au sein de la sous-région, l’Uemoa a apporté une harmonisation des règles de passation des marchés publics, avec des directives. Mais malgré ce terreau commun, les expériences des Etats diffèrent un petit peu. Le Bénin, le Burkina et le Sénégal sont sur des thématiques proches, mais avec un niveau d’avancement différent. Par exemple, le Burkina-Faso a déjà mis en place, depuis quelques années, une approche plus globale de la commande publique. Elle est de mise maintenant au Sénégal. Le Bénin n’est pas encore complétement dans ce sillage. Donc, on voit qu’à partir d’un terreau commun, on peut avoir des approches un peu différentes. Et puis, tous ces pays sont confrontés aujourd’hui, à des problèmes, à des défis qui sont les mêmes. Il s’agit de l’augmentation de la démographie, le changement climatique, les nouveaux besoins des populations avec des données économiques, qui ne sont pas toujours extraordinaires, des besoins de financement. Et donc, ils sont confrontés à des enjeux similaires. C’est important pour eux aussi de bénéficier, des expériences des autres, de capitaliser, de gagner du temps aussi. Aujourd’hui, on a les outils numériques, qui permettent de partager plus rapidement les expériences. Donc, il s’agit de travailler ensemble sur des thématiques très proches et partager des expériences.
Après la maitrise des procédures de passation des marchés cap sur la digitalisation.
Dire que le cadre théorique est présent, c’est un fait. Les lois sont bien faites, elles ont été actualisées dans tous les Etats de la sous-région. Le cadre juridique est là. Maintenant, la pratique n’est pas toujours à la hauteur des lois qui ont été adoptées. Déjà, il y a un problème de formation, de capacités, de compréhension de ces différentes procédures. Mais il est vrai, quand même que l’on voit apparaître des tendances de fond d’évolution. Il y a une pédagogie de la commande publique, qui est aujourd’hui comprise. Même si, ce n’est pas nécessairement pratiquée, l’exigence de transparence, on la connaît. La volonté de réduire le gré à gré et l’entente directe, on la connaît. Après on l’applique ou on ne l’applique pas. Mais la base est là. Maintenant, on peut à partir de cet acquis, essayer de trouver des dispositifs qui permettent d’accentuer plus rapidement la mise en œuvre. La dématérialisation, c’est effectivement l’utilisation d’outils numériques, pour essayer de faciliter des opérations qui sont normalement des opérations manuelles. Elles prennent du temps et peuvent donner lieu à des dévoiements, de procédures pour ne pas parler de corruption. Donc, si on veut aussi atteindre une meilleure intégrité de la commande publique, les outils numériques sont là. Mais ce ne sont que des outils. Il faudra bien de toute façon que se soit utilisé par des gens formés. Cela veut dire une transformation des métiers de la commande publique.
Disponibilité de formations adaptées à la mutation.
Le Sénégal est en avance sur ces questions-là. D’abord avec le master de l’ARMP et sa filiale à l’Université Gaston Berger qui permettent de former à la fois des étudiants, dans le cadre d’une formation initiale, mais aussi d’offrir un mécanisme de formation continue, pour des agents qui sont déjà des spécialistes de passation de marchés, dans les cellules de passation de marchés et qui leur offre cette approche qui est importante, car elle est transversale. Non pas une approche juridique, qui est l’approche traditionnelle, mais une approche plus économique, plus gestionnaire, plus de management où on apprend aussi des techniques plus souples et des techniques d’optimisation de la commande publique.
Redéploiement du personnel.
Ils ne vont pas perdre leur emploi. Je crois au contraire qu’il faudra s’appuyer sur leur savoir-faire. Il faut les faire évoluer en leur proposant des formations. Ils vont travailler autrement, avec des outils numériques qui vont faciliter aussi leurs moyens d’actions. Il s’agit de les amener vers des outils, qui vont faciliter leur travail et qui vont généraliser une pratique plus transparente, plus rapide et plus efficiente de la commande publique. Ils y gagneront et seront plus valorisés dans leur travail.
Enjeux actuels de la commande publique.
Les enjeux c’est de servir au mieux l’intérêt général, en utilisant l’argent public disponible. A partir de là, la vision traditionnelle initiale, c’était celle des marchés publics avec un droit très organisé, très structuré avec des appels d’offres. Et puis, on avait à côté un monde un peu plus différent, avec des contrats qui se sont développés, au fil du temps et qu’on appelle aujourd’hui, partenariat public-privé. L’enjeu de la commande publique, c’est aujourd’hui, de réunir ces deux mondes, de réunir ces deux logiques et de montrer que l’on doit développer une approche plus générale, plus englobante avec les achats publics, sous la forme de marchés publics et le PPP de l’autre côté. Les deux sont là pour servir l’intérêt général. Mais ils ne s’appuient nécessairement pas sur les mêmes mécaniques. Dans un cas, c’est la personne publique qui guide toute l’opération. C’est elle qui va payer, c’est le marché public. Et puis dans l’autre cas, il y a effectivement lieu de trouver un partenaire, un investisseur qui va être chargé de plusieurs opérations successives. Pour une infrastructure par exemple, il faut concevoir, réaliser, gérer. Donc, ce n’est pas la même dimension de contrat, ce n’est pas la même durée, ni les mêmes obligations. Mais il ne faut pas perdre de vue, qu’il s’agit là de servir l’intérêt général. Et c’est là que l’approche d’investissement purement privée, à mon avis doit être modérée ou en tout cas adaptée à la configuration des achats publics.