Lu pour vous dans « L’Afrique 2,5 milliards de voisins en 100 questions »
Non, et elle n’est pas près d’y parvenir. L’inadéquation peut être résumée ainsi : l’Afrique représente près de 16 % de la population mondiale, dispose de 24 % des terres arables sur la planète, voire d’environ 60 % des terres cultivables pas encore mises en exploitation, mais ne génère que 9 % des produits agricoles. Ce sont là les chiffres pour 2019 quand, faute de pouvoir se nourrir elle-même, l’Afrique importait des vivres pour 35 milliards de dollars dont 11 milliards rien que pour du riz. À moins d’une révolution verte dans les cinq années à venir, compte tenu de la croissance continue de la population africaine, la facture alimentaire devrait s’élever à 110 milliards de dollars en 2025. Autant de fonds qui seront indisponibles pour améliorer l’éducation ou la santé, investir dans les infrastructures ou importer des machines-outils pour créer des emplois rémunérateurs. Au cours de la décennie 2020, quelque 200 millions d’habitants devraient s’ajouter à la population au sud du Sahara. Cela pourrait être une bonne nouvelle sur un sous-continent dont le sol est d’une qualité comparable à celle de l’Inde, autosuffisante sur le plan alimentaire depuis les années 1970.Mais, dans l’Afrique subsaharienne telle qu’elle est, 200 millions d’habitants de plus posent problème. Déjà, hors crises de famine, une personne sur quatre
y souffre de malnutrition chronique et, conséquence des carences qu’ils subissent, 30 % des enfants de moins de 5 ans accusent des retards de croissance, selon un rapport des Nations unies publié en février 20191. Or, une révolution verte n’est pas en vue. 96 % des paysans subsahariens cultivent des lopins de moins de 5 hectares, souvent dans l’insécurité foncière en l’absence de titres de propriété incontestés. Ils produisent moins d’une tonne de céréales à l’hectare, contre 9 en France, et moins d’un demi-litre de lait par jour et par vache, contre 25 litres dans l’Hexagone où, sur1 000 exploitants, plus de 900 disposent d’un tracteur, contre 2 au sud du Sahara. Entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, seules 5 % des terres arables sont irriguées, contre 58 % en Inde. La situation est particulièrement précaire dans le Sahel, la large bande de terre aride au sud du Sahara qui s’étend de la Mauritanie jusqu’au Soudan. Dans cette région, un quart du continent, le stress écologique est maximal du fait d’une conjugaison de plusieurs facteurs : une pression démographique exceptionnelle, avec les taux de fertilité les plus élevés au monde, l’épuisement des sols, la déforestation, l’avancée du désert et le réchauffement climatique. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 80 % des terres sahéliennes sont dégradées. La pluviométrie erratique fait l’objet d’interprétations contradictoires mais la plupart des experts s’accordent à prédire une hausse de la température moyenne dans le Sahel de 3 à 5 °C d’ici à 2050. Ce qui menace l’agriculture pluviale de subsistance qui y fait vivre la grande majorité de la population. « L’urbanisation accélérée constitue plus le symptôme des difficultés agricoles que la conséquence de la modernisation agraire », relève SylvieBrunel2. Elle ajoute qu’à l’horizon de 2030, un demi-milliard d’Africains de plus aura quitté les campagnes « pour rejoindre les villes, ou, plutôt, les bidonvilles ». Qui va les nourrir ? Toute autre considération mise à part, la charité internationale serait un pari risqué dans un monde où les besoins alimentaires devraient augmenter de 70 % d’ici à 2050, quand la Terre comptera 9 milliards d’habitants. À cette échéance, l’Afrique devrait avoir quintuplé sa production agricole pour assurer sa sécurité alimentaire. À défaut, elle sera obligée d’importer de la nourriture au prix fort. Or, par exemple, le Nigeria – en 1960, à son indépendance, le premier producteur agricole au sud du Sahara – dépense déjà, bon an mal an, entre un cinquième et un quart de ses revenus pétroliers pour importer les vivres qu’il ne produit plus. « Soil not oïl », « la terre plutôt que le sous-sol », aurait dû être le mot d’ordre au Nigeria et ailleurs, estime Dayo Olopade, l’auteure nigériane-américaine d’une plaidoirie décapante pour un « changement de paradigmes »en Afrique.