Une analyse approfondie des données récemment publiées par la Banque mondiale met en lumière l’ampleur d’une dette publique sénégalaise massivement sous-déclarée, révélant un scandale financier qui place le pays dans une situation de grave crise économique. La dette publique totale est désormais estimée à 132 % du PIB fin 2024, contre seulement 80 % deux ans auparavant.
Le mois dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a tiré la sonnette d’alarme, le chef de mission, Edward Gemayel déclarant n’avoir « jamais vu une dette cachée d’une telle ampleur » sur le continent africain. Selon la dernière évaluation fait par le gouvernement , la dette publique s’élevait à 39 milliards de dollars (119 % du PIB) fin 2024, dont 26 milliards de dollars de dette extérieure.
Un article de blog percutant, rédigé par Martin Kessler, directeur exécutif du Finance for Development Lab, détaille la mécanique de cet endettement occulte et tente de répondre à la question : comment un tel niveau d’endettement a-t-il pu passer inaperçu ?
Plus d’un tiers de la dette extérieure dissimulé
L’analyse de Martin Kessler, qui compare les différentes versions des rapports IDS (Statistiques de la dette internationale) de la Banque mondiale pour déduire les tendances de la dette occulte, confirme l’ampleur du problème. La dette publique et garantie par l’État (PPG) du Sénégal en 2024 est évaluée à 25 milliards de dollars.
L’écart entre la dette déclarée et la dette réelle s’accélère à partir de 2022. En 2023, alors que le pays ne déclarait que 17 milliards de dollars de dette extérieure PPG à la Banque mondiale, le montant réel s’avérait supérieur de 5,5 milliards de dollars. La dette non déclarée représentait 16 % du PIB, une proportion alarmante.
Ces écarts proviennent de décaissements considérables non déclarés, qui ont été sous-estimés de 2 milliards de dollars rien qu’en 2023 (soit 6 % du PIB). Fait notable : à l’exception de 2023, ces montants provenaient de « transactions cachées » au sein de projets pourtant connus, plutôt que de projets entièrement secrets.
Qui sont les créanciers impliqués ?
L’analyse des contreparties menée par M. Kessler met en cause plusieurs types de prêteurs. Les prêts bilatéraux expliquent la plus grande partie des montants manquants (2 milliards de dollars), suivis par les prêteurs privés (1,8 milliard de dollars), et, de façon surprenante, des prêteurs multilatéraux.
- Créanciers bilatéraux : Les prêts chinois ont été sous-évalués d’un milliard de dollars sur la période, et ceux de la France d’environ 500 millions de dollars, concentrés en 2020 et 2023.
- Institutions multilatérales et privées : La BID, Afreximbank et la BOAD sont les institutions ayant enregistré les plus importantes transactions non déclarées. Dans le secteur privé, des banques françaises, ivoiriennes et chinoises sont également citées.
L’article souligne que les exercices de rapprochement entre données des emprunteurs et des prêteurs, menés par des institutions comme la Banque mondiale et le Club de Paris, n’ont pas permis de détecter ces écarts significatifs.
Appel à la transparence et à la responsabilisation
Cette affaire illustre l’incapacité totale du système actuel de suivi de la dette à valider ses propres données. Martin Kessler conclut sur l’urgence de la transparence de la dette et sur la nécessité de mettre en place des plateformes automatisées de rapprochement des prêts créanciers/débiteurs. La responsabilisation est jugée essentielle, tant pour le débiteur (le Sénégal) que pour les créanciers internationaux.
Source : Article de blog rédigé par Martin Kessler, directeur exécutif du Finance for Development Lab, basé sur l’exploitation des données IDS2025 de la Banque mondiale.

Martin Kessler



