Sénégal 2026 : Un Budget de Rupture entre Austérité et Promesse de Redressement

Par: Dr. Seydina Oumar Seye.

Le premier budget du nouveau régime, présenté comme l’acte fondateur d’une “nouvelle ère” économique, arrive sur la table dans un contexte de tempête parfaite. Avec un projet de loi de finances (PLF) 2026 de 7 433 milliards FCFA, le gouvernement tente une périlleuse quadrature du cercle : répondre à des attentes sociales immenses tout en assainissant des finances publiques dégradées par ce qu’il qualifie de “dette cachée et/ou déclarations erronées” et en rassurant des partenaires financiers devenus méfiants. Ce budget est-il la feuille de route crédible pour sortir le Sénégal de l’ornière, ou un pari risqué qui pourrait aggraver les équilibres socio-économiques ?

Un contexte macroéconomique périlleux : L’héritage empoisonné

Pour comprendre la portée du PLF 2026, il faut le situer dans un environnement économique délétère. Le Sénégal, longtemps présenté comme un “lion économique” de l’Afrique de l’Ouest, est sous pression. La révélation d’engagements financiers non comptabilisés, une “dette cachée” qui aurait fait bondir le ratio d’endettement public à près de 119% du PIB, a ébranlé la confiance. Conséquence directe : une dégradation de la notation souveraine, renchérissant le coût d’accès aux marchés financiers internationaux.

Dans ce paysage, la perspective d’un éventuel retour sous un programme du Fonds Monétaire International (FMI) plane comme une épée de Damoclès, synonyme de discipline budgétaire accrue mais aussi de potentielles mesures d’austérité impopulaires. C’est sur cette corde raide que le nouveau budget tente d’avancer. In fine, il est important d’expliciter la portée et la pertinence de ce projet de loi des finances 2026.

La pertinence du budget 2026 : Une feuille de route ambitieuse pour le redressement

La pertinence de ce budget réside dans sa tentative de répondre simultanément à plusieurs défis.

  1. Le redressement des comptes publics : Une priorité absolue

L’objectif affiché est sans équivoque: ramener le ratio dette/PIB à 70% à moyen terme. Pour y parvenir, le gouvernement mise sur une augmentation spectaculaire des recettes (+23,4% à 6 188 milliards FCFA) et une maîtrise relative de la croissance des dépenses (+12,4%).

  • L’Effort de Recettes : Un choc de pressure fiscale. Le bond du taux de pression fiscale à 23,2% (contre 19,3% en 2025) est le signal fort de ce budget. Il traduit une volonté de mobiliser les ressources internes pour réduire la dépendance à l’endettement. Les mesures phares du “Plan de Redressement” taxation des jeux de hasard (300 milliards FCFA), régularisation foncière (100 milliards), taxation du mobile money (76 milliards) et rationalisation des dépenses fiscales (100 milliards) visent à élargir l’assiette fiscale. C’est une réponse directe aux critiques sur l’évitement fiscal et les niches coûteuses.
  • Le Désendettement comme Impératif. L’allocation de 1 190 milliards FCFA au service de la dette (+27,7%) est lourde de sens. Elle représente près de 16% du budget total et absorbe une part croissante des recettes. Ce chiffre illustre le poids étouffant de la charge de la dette et justifie l’urgence de la stratégie de désendettement.
  1. La préservation des fondamentaux de croissance : Un pari sur l’avenir

Malgré le contexte d’austérité, le budget table sur une croissance du PIB de 5%. Pour l’atteindre, le gouvernement maintient un niveau élevé d’investissement public, fixé à 2 803 milliards FCFA. Signe notable, l’investissement sur ressources internes connaît une hausse vertigineuse de +64,6%, pour atteindre 1 448 milliards FCFA. Cette orientation est cruciale : elle vise à soutenir l’activité économique par la demande intérieure et les grands projets d’infrastructure, tout en réduisant la vulnérabilité aux aléas de l’aide extérieure.

  1. La gestion de la masse salariale : Une austérité relative.

L’augmentation contenue de la masse salariale à1 532 milliards FCFA (+3,2%), bien en deçà de l’inflation, est un gage envoyé aux institutions financières. Elle indique une volonté de contenir les dépenses courantes, mais elle pourrait constituer un point de friction social dans un contexte de vie chère.

Les enjeux colossaux et les défis imminents

Si la direction est tracée, le chemin est semé d’embûches.

  1. Le Défi de la Crédibilité et de la Transparence.

Après la crise de confiance liée à la”dette cachée”, le premier défi du gouvernement est de restaurer sa crédibilité. Le budget 2026, avec ses hypothses de croissance et de recettes ambitieuses, sera scruté à la loupe. La capacité à collecter les 300 milliards sur les jeux d’argent ou les 100 milliards via la régularisation foncière n’est pas acquise. Un écart entre les prévisions et la réalisation pourrait être sévèrement sanctionné par les marchés et le FMI.

  1. Le Dilemme Social : Austérité vs. Paix Sociale.

L’effort fiscal massif et la modération salariale risquent de peser sur le pouvoir d’achat des ménages et la trésorerie des entreprises.La taxation du mobile money, outil de financial inclusion devenu vital, est particulièrement sensible. Le gouvernement devra manœuvrer avec prudence pour éviter que les mesures de redressement ne provoquent un mécontentement social qui compromettrait la stabilité nécessaire à la relance.

  1. La Soutenabilité de la Dette : Un chemin étroit.

Bien que l’objectif de 70%du PIB soit louable, son atteinte dépend d’une croissance robuste et durable. Une croissance inférieure aux attentes, une baisse des prix des matières premières ou un nouveau choc externe pourrait anéantir ces projections. Le besoin de financement de 6 075 milliards FCFA et l’amortissement de la dette de 4 307 milliards rappellent l’ampleur du défi de trésorerie à court terme.

  1. La Nécessité d’un Accord avec le FMI : atout ou carcan ?

La reprise d’un accompagnement du FMI apparaît de plus en plus comme une nécessité pour rassurer les investisseurs et boucler le financement du déficit(5,37% du PIB). Cependant, un tel programme imposerait très probablement des mesures d’austérité plus sévères que celles déjà prévues, ce qui pourrait entrer en contradiction avec les promesses de campagne et la nécessité de préserver le tissu économique. Toutefois, un effort collectif est nécessaire à cet effet et in fine la nécessité de retrouver une trajectoire macroéconomique viable et porteuse de  croissance pro-pauvre.

Conclusion : Un budget à haut risque sur des fondations solides

Au regard du potentiel PIB de l’économie sénégalaise, le budget de 2026 est un acte de courage politique. Il reconnaît l’ampleur de la crise des finances publiques et propose une thérapie de choc pour y remédier. Sa pertinence est indéniable dans un contexte où l’inaction aurait conduit à une aggravation certaine de la situation.

Cependant, sa réussite n’est en rien garantie. Elle repose sur une équation fragile : une hypothèse de croissance de 5% qui doit résister aux incertitudes globales, une mobilisation des recettes internes sans précédent qui doit être efficace, et un équilibre social qui doit être préservé : une communication pédagogique.

Le Sénégal dispose d’atouts indéniables : des fondamentaux économiques historiquement solides, un secteur privé dynamique, et le potentiel de son secteur énergétique avec le pétrole et le gaz. Le budget 2026 est le premier test décisif de la capacité du nouveau régime de Diomaye – Sonko à transformer ce potentiel en une prospérité partagée et durable, tout en naviguant dans les eaux troubles de la dette et de la défiance internationale. Les mois à venir diront si ce budget est le point de départ d’un redressement historique ou le révélateur de contraintes économiques insurmontables.

 

 

 

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