
Par :Demba Moussa Dembélé, Economiste
Après des consultations avec les représentants du gouvernement sénégalais, le FMI a publié un communiqué le 27 août qui soulève pas mal d’interrogations.
« Déclarations erronées » ou dette cachée ?
En effet, dans le communiqué, on note l’absence de toute référence à la dette cachée, évaluée à 25% du PIB, dont parlent les autorités sénégalaises depuis la divulgation des chiffres réels des comptes publics. Une dette cachée que le FMI avait lui-même estimée à 7 milliards de dollars. Il parle désormais de « déclarations erronées » de la part des services de l’Etat sénégalais. Un tel narratif appelle plusieurs observations.
D’abord, on suppose que ce narratif n’engage que le FMI et non les autorités sénégalaises. Ensuite, comment se fait-il que des « déclarations erronées » aient été commises pendant trois longues années sans être détectées ? Et comment expliquer qu’il a fallu la chute de l’ancien régime pour que ces « déclarations erronées » soient divulguées ? Il est probable que si celui-ci était resté au pouvoir, les « déclarations erronées » allaient continuer au nez et à la barbe du FMI et de la Banque mondiale que des critiques accusent d’avoir été complices dans le maquillage des chiffres de la dette du pays. En changeant de narratif, le FMI essaie de se laver à grandes eaux et de rejeter tout sur le dos de fonctionnaires sénégalais « étourdis » qui ont fait des « déclarations erronées » pendant plusieurs années !
« Accompagner » ou torpiller le Plan de redressement ?
Plus loin, le communiqué souligne que : « Le FMI se tient prêt à accompagner le Sénégal dans la conception d’un programme de réformes ambitieux, aligné sur la stratégie nationale de développement, Vision 2050, et le récent Plan de redressement économique et social, tout en tirant les leçons des conclusions de la Cour des comptes. »
Dans ce passage, le mot « ambitieux » retient d’abord l’attention. Cela veut-il dire que les programmes précédents n’étaient pas « ambitieux » ? Ensuite, on ne peut s’empêcher de demander depuis quand le FMI aligne-t-il ses réformes sur les priorités d’un pays « assisté » ? En vérité, son objectif c’est d’imposer ses politiques néolibérales mortifères au gouvernement sénégalais en échange de son « assistance » financière, alors que les nouvelles autorités sénégalaises cherchent à s’émanciper de ces politiques. En effet, lors de la présentation du Plan de redressement le 1er août dernier, le Premier ministre Ousmane Sonko avait souligné que « l’objectif de la phase de redressement de la Vision 2050, c’est de tourner définitivement le braquet d’un modèle ancien vers un modèle nouveau, préalable à l’impulsion et à l’accélération. » Or, le FMI est l’un des piliers de ce « modèle ancien », un modèle néolibéral reposant sur des économies extraverties basées sur les exportations de produits de base. Un modèle complètement discrédité !
En outre, le Plan de redressement propose une stratégie de financement basée sur la mobilisation de ressources domestiques et endogènes à hauteur de 90% ! Une telle option réduit considérablement le recours aux financements extérieurs et donc le rôle du FMI. Dès lors, on ne voit pas à quoi servirait son « programme ambitieux » de réformes, sinon à torpiller le Plan de redressement économique et social proposé par le Premier ministre.
Apprendre des leçons de l’expérience
Ceux qui répètent à tue-tête que le Sénégal « a besoin du FMI » semblent avoir oublié le bilan de cette institution depuis qu’elle intervient dans le pays à partir des années 1980. Pendant plus de 20 ans, le Sénégal fut considéré comme l’un des « meilleurs élèves » des programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI. Il finira par rejoindre le groupe des « pays les moins avancés » (PMA) en 2001 ! Avec le régime déchu de Macky Sall, le FMI avait signé plusieurs programmes, dont le dernier en date était celui de mai 2023. Cet « accompagnent » du FMI a débouché sur… la dette cachée, qui est en train de coûter cher au régime actuel. Ce rappel montre que l’intervention du FMI au Sénégal est une suite de reculs économiques et sociaux, jamais d’avancées.
En conclusion, les autorités actuelles devraient retenir les leçons de cette expérience dans leurs relations avec le FMI. Elles ont le choix entre s’en tenir à leur Plan de redressement et ignorer le « programme ambitieux » du FMI ou bien accepter celui-ci et enterrer le Plan.