
Peut-on redouter un afflux de produits chinois vers l’Afrique et la réduction des investissements de Pékin dans les infrastructures africaines et ses achats de matières premières ?
Au-delà de la question de savoir comment réagir aux droits de douane qui leur sont directement imposés, les pays africains sont préoccupés par l’escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Une guerre commerciale entre Washington, première économie mondiale, et Pékin, premier partenaire commercial de presque tous les pays africains, pourrait avoir des répercussions importantes sur l’économie et les perspectives de croissance du continent.
« Le paysage mondial est de plus en plus instable et ceux qui anticipent les changements et s’adaptent rapidement seront mieux placés pour prospérer. »
Le jour de la fête de la Libération, Trump a imposé des droits de douane supplémentaires de 50 % sur les importations chinoises, portant le total des droits de douane sur certains produits à plus de 100 %. La Chine a réagi en annonçant des droits de douane supplémentaires de 34 % sur les produits américains et en imposant des contrôles à l’exportation de minéraux rares essentiels.
Une série de représailles et de contre-représailles ont finalement conduit les États-Unis à imposer des droits de douane de 145 % sur la plupart des produits chinois, Pékin appliquant un taux légèrement inférieur de 125 %.
En mai, les deux parties ont convenu que, pour apaiser les tensions, les États-Unis réduiraient leurs droits de douane à 30 % et la Chine à 10 %, pendant qu’elles poursuivraient leurs négociations. La nature précaire de cet accord met les dirigeants africains et les décideurs politiques mondiaux sur les dents.
Daniel Silke, analyste en économie politique basé au Cap, résume auprès d’African Business : « Les menaces de droits de douane intermittentes ont semé l’incertitude sur les marchés du monde entier. »
C’est un cliché, mais cela reste vrai : « Les marchés n’aiment pas l’incertitude, que ce soit dans les grandes capitales mondiales ou dans les pays en développement ».
Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine risquent d’avoir des répercussions sur le continent africain, dont les économies et les entreprises sont particulièrement exposées aux développements affectant Pékin.
L’Afrique, un débouché facile ?
La baisse des échanges commerciaux entre les deux plus grandes économies mondiales risque d’être spectaculaire : l’OMC (Organisation mondiale du commerce) prévoit une baisse de 80 % du commerce de marchandises entre les États-Unis et la Chine pour cette seule année. De son côté, le FMI (Fonds monétaire international) a déjà averti que l’Afrique subsaharienne pourrait être la région la plus touchée par la « fragmentation géoéconomique » entre l’Est et l’Ouest.
L’impact potentiel le plus direct pourrait être l’augmentation des exportations de produits chinois vers l’Afrique, compte tenu de la baisse des échanges commerciaux avec les États-Unis.
Felistus Kandia, chercheuse en commerce et développement au Mashariki Research and Policy Centre de Nairobi, considère qu’« il est probable que les entreprises chinoises se tournent de plus en plus vers les marchés africains face au durcissement des restrictions et des droits de douane imposés par les États-Unis ».

L’« accès aux marchés occidentaux devenant plus difficile, l’Afrique offre à la fois une alternative stratégique et une base de consommateurs en pleine croissance », ajoute-t-elle. « La Chine s’est déjà positionnée comme le partenaire commercial et d’investissement dominant sur le continent, et les tensions commerciales actuelles pourraient accélérer cette évolution. Cette évolution présente à la fois des opportunités et des défis. D’une part, la disponibilité accrue de produits chinois abordables pourrait profiter aux consommateurs et contribuer à réduire le coût des activités commerciales », note Felistus Kandia.
« D’un autre côté, l’afflux de produits chinois risque de submerger les industries nationales fragiles de l’Afrique, où de nombreux fabricants locaux ont déjà du mal à rivaliser avec les importations à bas prix. »
En outre, les tensions commerciales actuelles entre les États-Unis et la Chine devraient se traduire par un ralentissement de la croissance à Pékin, et même à l’échelle mondiale. Le FMI a revu à la baisse sa prévision de croissance pour la Chine en 2025, la ramenant à 4 % en raison des tensions commerciales et des défis auxquels le pays est confronté sur le plan intérieur dans son secteur immobilier, vital pour son économie.
Moins de financements chinois ?
La banque d’investissement mondiale UBS a récemment révisé ses prévisions de croissance chinoise de 3,4 % à 3,7 % à 4 %, compte tenu de la détente apparente observée ces dernières semaines. Ce chiffre reste toutefois nettement inférieur à la plupart des prévisions antérieures la « fête de la Libération ».
Goldman Sachs est plus optimiste quant à l’impact positif des réductions tarifaires sur l’activité économique en Chine et table sur une croissance d’environ 4,6 % en 2025.
Felistus Kandia note qu’un ralentissement de la croissance en Chine « se répercutera inévitablement sur l’Afrique » et soupçonne que l’« un des effets les plus immédiats sera probablement une baisse des financements chinois pour les infrastructures ».
Les prêts chinois à l’Afrique sont en baisse depuis plusieurs années. Ils ont atteint un pic de 28 milliards de dollars en 2016, avant de chuter à moins d’un milliard $ en 2022, dans un contexte de croissance extrêmement faible lié à la pandémie.
Si Pékin a depuis augmenté ses engagements financiers sur le continent, les prêteurs chinois s’engageant à verser environ 4,61 milliards $ en 2023, un environnement commercial mondial plus fragmenté et une croissance plus lente en Chine sont susceptibles de limiter sa capacité ou sa volonté d’accorder de nouveaux prêts à l’Afrique.
Selon Felistus Kandia, « à mesure que la Chine s’adapte aux pressions économiques internes, notamment le niveau élevé de la dette, les changements démographiques et le ralentissement du secteur immobilier, ses investissements à l’étranger deviennent plus prudents et plus stratégiques ».
« Cela pourrait se traduire par une diminution des contrats d’infrastructure à grande échelle, des retards dans la mise en œuvre des projets ou des conditions de prêt plus strictes pour les gouvernements africains », explique-t-elle. « Pour les pays qui ont fortement dépendu des financements chinois pour mener à bien leurs plans de développement, cela représente une grave vulnérabilité. »
Les matières premières se préparent à un ralentissement
Felistus Kandia note également que le ralentissement de la croissance chinoise devrait réduire la demande de matières premières africaines. Bien que les prix aient désormais rebondi, le « jour de la Libération » a vu la valeur des contrats à terme sur le cuivre chuter de près de 20 %, ce qui pourrait refléter les craintes du marché quant à un affaiblissement de la demande d’un pays qui représente près de 30 % de la production manufacturière mondiale.
« La Chine est un grand consommateur de matières premières telles que le cuivre, le minerai de fer, le pétrole et le bois. Si la production industrielle et la construction ralentissent en Chine, les prix des matières premières pourraient chuter, ce qui nuirait aux exportateurs africains et creuserait les déficits budgétaires des économies dépendantes des ressources », explique Felistus Kandia.
« Cela pourrait à son tour limiter la capacité des gouvernements à rembourser leur dette, à investir dans les infrastructures sociales ou à stimuler les industries nationales. La baisse des prix entraîne également une diminution des recettes en devises et un resserrement de la marge de manœuvre budgétaire des gouvernements déjà aux prises avec la dette. »

Les tensions politiques et économiques croissantes entre Washington et Pékin pourraient également avoir des implications géopolitiques en Afrique. Daniel Silke craint que les répercussions politiques « ne placent réellement les pays africains dans une position très délicate ». Et d’expliquer : « Certains auront le sentiment de pouvoir traiter plus avantageusement avec Washington, d’autres auront envie de se rapprocher de la Chine. »
Daniel Silke craint que cela ne compromette des initiatives telles que la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine). En effet, pousser certains pays africains vers la Chine et d’autres vers les États-Unis, « pourrait briser l’idée d’un bloc commercial plus uni que l’Afrique peut et devrait probablement devenir ».
Felistus Kandia est plus optimiste quant à la capacité de l’Afrique à équilibrer son engagement avec les deux parties et à éviter d’être entraînée dans ces tensions politiques, même si elle note que « les pays africains pourraient être soumis à une pression croissante, directe ou indirecte, pour choisir leur camp ».
Organiser la réaction
L’« Afrique a besoin des capitaux chinois et de l’innovation américaine, des infrastructures orientales et du succès des marchés occidentaux », explique la spécialiste. « Choisir l’un au détriment de l’autre réduirait les options de développement du continent à un moment où il a besoin de partenariats plus larges pour atteindre ses objectifs industriels et sociaux. Au lieu de prendre parti, l’Afrique devrait adopter une position claire, celle d’un non-alignement fondé sur des principes. »
Il reste à voir jusqu’où ira la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, ou si, avec le récent recul des deux parties, les mesures les plus spectaculaires ont déjà été prises.
Toutefois, Felistus Kandia souligne que l’Afrique doit réagir « de manière proactive » à ces risques économiques et géopolitiques, à la fois en « s’engageant stratégiquement avec d’autres partenaires tels que le Japon, l’Union européenne et les États du Golfe afin d’aider le continent à amortir les chocs extérieurs et à rééquilibrer ses relations commerciales mondiales ».
Et de conclure : « Les gouvernements et les entreprises doivent adopter une approche fondée sur la planification de scénarios et la prospective stratégique. Le paysage mondial est de plus en plus instable et ceux qui anticipent les changements et s’adaptent rapidement seront mieux placés pour prospérer. Que ce soit par le biais de systèmes d’alerte précoce, de dialogues public-privé ou de politiques industrielles à long terme, l’objectif doit être de passer d’une réflexion réactive à une réflexion anticipative. »
Le Magazine de l’Afrique