Le syndicat national des bâtiments et travaux publics (SNBTP)a organisé une table ronde pour débattre du thème : « Partenariat public privé, la préférence nationale en action ». A l’issue des travaux, le président du SNBTP Abdel Kader Ndiaye a accordé cette interview à Challenges Economiques.
M.le Président, qu’est-ce qui a motivé l’organisation de cette table ronde ?
Je voudrais juste rappeler que cet événement se tient au lendemain du dévoilement de la stratégie nationale de développement « Sénégal 2050 », agenda national de transformation.
Nous attendions cette publication, pour nous permettre de nous aligner sur les orientations politiques, car la définition de la politique de la nation incombe fondamentalement au Président de la République. C’était la première motivation. La seconde motivation est liée aux promesses, aux engagements que nous avions pris lors de notre dernière Assemblée Générale du 25 juin 2024.
Cette Assemblée Générale avait pour thème : « la préférence nationale en action » et lors de ces assises, nous avions retenu les orientations et les fondements de notre conception du partenariat public-privé. Cette table ronde est un prolongement de notre Assemblée Générale.
Quels sont les thèmes qui ont été débattus lors de cette table ronde ?
Elle avait pour thème trois points. Le premier concernait les retours d’expérience. Nous avons choisi de grandes entreprises pour cela. Nous avons choisi aussi des Pme dont une est dirigée par une femme. Dans des secteurs variés, nous avons eu les routes, l’énergie et l’éclairage public, l’hydraulique urbaine et l’assainissement. Ce sont des entreprises qui ont le savoir-faire, qui ont des domaines de compétences éprouvés et qui existent depuis plus de trente ans. C’est à titre didactique pour qu’ils servent de modèle à la jeune génération.En tout cas, on nous critique souvent à tort, mais je vous dis que dans le domaine des bâtiments et des travaux publics, le Sénégal a quand même une position de leadership, depuis des années. Et aujourd’hui, je pense que c’était une tentative de démonstration pédagogique à l’égard de l’opinion des autorités et à l’égard aussi de la jeune génération. Le deuxième thème a porté sur les propositions, c’était le cœur de la table ronde, les propositions à soumettre au gouvernement. Et le troisième point concernait les propositions de réformes sur la commande publique.
Quelles doivent être, selon vous, ces propositions de réformes pour permettre au secteur privé de pouvoir pleinement jouer son rôle par rapport à la nouvelle politique que les nouvelles autorités vont mettre en place prochainement ?
Je pense qu’un pays se développe naturellement à travers son secteur privé. C’est pourquoi le dialogue économique doit être un dialogue de premier plan. Aujourd’hui, nous avons vu que la conjoncture aussi bien nationale et internationale est difficile.
Nous avons été impactés par une pandémie depuis 2019. L’entreprise sénégalaise va mal. Elle va mal surtout avec l’entreprise BTP, avec les politiques publiques qui l’ont fortement impacté. Parce que nous avons trop ouvert nos marchés. Nos marchés ont été trop ouverts à notre détriment. Vous avez vu avant, par exemple, au niveau du BTP, on employait beaucoup de jeunes en saisonnière. Certains arrivaient à même constituer leurs pactoles pour financer leurs études à la rentrée. Tous ces chantiers potentiels qui nous passent sous le nez sont la conséquence de l’hémorragie que vous voyez à travers la mer et le désert. Donc de notre côté, nous avions toujours une politique basée sur les techniques HUMO, les techniques de haute intensité de main-d’œuvre, où on cherchait au lieu de mettre moins de machines à la place de l’homme pour offrir beaucoup plus d’opportunités en main-d’œuvre. Mais si nous n’avons pas de portefeuille, comment voulez-vous que cela se fasse ? Ensuite, je pense que le point de passage obligé pour le développement, c’est de développer l’entreprise. Parce que c’est l’entreprise, c’est le secteur privé qui est porteur, qui est créateur de richesses. C’est le secteur privé qui est générateur d’emplois.
Vous avez vu, les régimes ont annoncé 100 000 emplois, d’autres 500 000. Ils ont du mal, même en manipulant les chiffres, à pouvoir atteindre leurs objectifs virtuels, virtuellement parlant. Pour lutter véritablement contre la pauvreté, pour développer notre pays, il faut soutenir l’entreprise, il faut soutenir les industries. De cette manière, l’économie va tourner.
Surtout l’entreprise, le bâtiment, vous entendez bien l’adage qui dit que quand le bâtiment va, tout va. Parce que notre secteur économique est un secteur d’entraînement. Qui offre d’énormes consommations à l’industrie.
Et qui offre aussi d’énormes opportunités qui ont beaucoup d’impact sur l’employabilité et sur la production de la valeur ajoutée, etc. C’est pourquoi nous, nous croyons fermement que le développement, notre développement ne peut pas se faire sans cette entreprise. Maintenant, aujourd’hui je suis heureux de voir que nos gouvernants sont alignés sur cette orientation. Mais vous savez qu’au Sénégal, le grand problème c’est l’océan qui sépare souvent la déclaration et l’application, la mise en œuvre. Donc nous nous réjouissons que dans les orientations, dans la stratégie nationale de développement, que les axes stratégiques mettent en avant l’économie, la compétitivité de l’économie, ça veut dire que la part du secteur public national dans le développement, les données, l’environnement des affaires, le capital humain et l’équité territoriale sont valorisés. Dans le même temps aussi que le développement rural se fasse surtout à partir des pôles territoriaux. Des pôles territoriaux qu’on va rendre économiquement viables. Donc il y a un potentiel énorme de croissance qu’on va aller chercher dans les régions. Il y a un nouveau découpage administratif, donc le découpage des régions, c’est le chemin, les huit pôles régionaux, nous les évoquons depuis l’avènement des journées économiques de la CNES. Aujourd’hui donc, quand nous voyons qu’au niveau de l’État, il y a une initiative qui va dans cette direction, nous ne pouvons que plonger et nager dans le sens de courant, pas en contre-courant. Nous demandons par contre que nos autorités nous aident vivement à relancer le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Par quoi ? Par les principes majeurs que j’avais soulignés tantôt. D’abord, valoriser l’expertise locale. Je disais que là où vraiment on peut avoir une compétence locale, le choix prioritaire doit verser sur la compétence locale. L’autre aspect, l’autre fondement, c’est qu’il faut, c’est que la relance du BTP se fasse en investissant dans le produit local, le consommer local.
Deuxième point, la formation. Cela commencera par nous, les managers. Il faudra qu’on renforce nos capacités au niveau de la législation, au niveau technologique, au niveau des innovations, la recherche et le développement en général, pour qu’on soit encore davantage compétitifs. Mais dans cet élan, nous aussi, dans nos programmes, nos entreprises se sont engagées à ce qu’il y ait, même dans les projets, systématiquement des voies de formation pour les jeunes. Je le disais tout à l’heure, vous avez vu que dans le marché de l’emploi, sur 300.000 demandes d’emploi, les 46% sont sans qualification, et à peine 10% arrivent à trouver du travail. Donc tout ce rebut, il va où ? C’est le rebut qui est orienté vers le désert et l’immigration clandestine, l’immigration irrégulière, excusez-moi le terme. L’autre aspect, c’est sur le statut de l’entreprise nationale.
Il y a un débat sur la définition du statut de l’entreprise nationale. Comment définissez-vous l’entreprise nationale ?
Ce n’est pas un débat qui s’appuie sur le nationalisme, parce que ce statut, si on ne le définit pas, c’est les conséquences par rapport aux structures d’appui, c’est les conséquences dans le contenu local. L’État ne doit pas subventionner, ne peut subventionner que pour nous, pour notre public, ceux qui sont appuyés, ceux qui sont véritablement des Sénégalais. Pour nous, l’entreprise nationale, c’est l’entreprise dont la majorité du capital est détenue par des Sénégalais. Donc c’est l’entreprise sénégalaise, une entreprise de droits sénégalais.
Et non par une entreprise qui est installée au Sénégal, de droits sénégalais qui est installée au Sénégal. Il y a une nuance. Même dans la loi sur les paiements, de grands groupes ont influencé pour que le régime, par exemple, des chiffres d’affaires, des paiements, soient de 2 milliards à peu près. Mais après, la conséquence, c’est eux qui profitent de toutes les politiques et aux appuis qu’on donne aux pays. Et les Pme ne peuvent pas bénéficier de ces formes d’appuis.
Deux milliards, peu de Pme réalisent un tel chiffre d’affaires. Et pourtant, c’est dans la loi. Donc pour soutenir l’entreprise, il faut forcément qu’on revienne sur une définition vraiment consensuelle de l’entreprise sénégalaise, l’entreprise nationale, parce que les conséquences sur le plan économique sont quand même appréciables et ne devraient profiter qu’aux Sénégalais.
Que pensez-vous de l’allotissement ou découpage des marchés en lot comme solution?
L’allotissement, c’est le découpage des marchés en lots. Souvent, on a de gros contrats, vous prenez 50 milliards, vous en faites un seul lot.
Et souvent, un lot qui échappe au secteur privé, à l’entreprise locale. Donc, vous prenez un lot de 50 milliards à l’entreprise extérieure, qui fait la pluie et le beau temps. Alors qu’en prenant 50 milliards, rien qu’en une portion, une grille de 3 milliards, vous dites que pour la partie électricité, l’éclairage public peut être fait par des Sénégalais.
Vous prenez la partie hydraulique, elle peut être faite par des Sénégalais. Vous prenez la partie plomberie, elle peut être faite par des Sénégalais. Vous découpez le marché comme ça, ça vous permet tout de suite de générer des milliers d’emplois et de faire tourner l’économie. Posez-vous la question de savoir, pourquoi après tant d’années de politique, de développement, que la pauvreté n’a pas reculé. 37% en moyenne nationale. Dans certaines contrées. On est à presque 60% en zone rurale. Et pourtant on se vante des taux de croissance élevés.
On se vante des milliards d’investissements qu’on a réalisés. Par exemple Abdoulaye Wade, au moins 10 000 milliards, Macky Sall, plus de 12 000 milliards, etc. Et toutes ces ressources sont allées où ? Vous avez vu la situation des entreprises, Elles vont très mal.
Mais nous ne sommes pas là pour pleurnicher ou nous transformer en force de contestation. Nous voulons repartir sur des bases nouvelles, avec un nouveau régime qui a décliné des orientations que nous apprécions. Très sincèrement.
Et nous voulons travailler ensemble avec une collaboration, une franche collaboration, et un esprit constructif et positif. Et ça je pense que vous avez vu aujourd’hui, nos échanges sont très clairs là-dessus.
Qu’en est-il de la classification et de la qualification des entreprises évoluant dans le secteur du BTP ?
On a proposé la classification et la qualification, c’est pour assainir le secteur. Parce qu’il y a beaucoup d’entreprises non professionnelles qui font des dégâts, qu’on nous impute. Vous avez vu le cas de l’université de Matam. Qui créent ces entreprises ? Vous avez entendu le président, on a décliné 400 milliards, il n’y a même pas 12% de taux de réalisation. Qui a la capacité de viser les décomptes ? Qui a la capacité de payer ? Ce n’est pas le secteur privé, et pourtant on critique les entreprises nationales. Alors que souvent, certains politiques, quand ils ont un pouvoir de décision, d’influence, ils rentrent, ils créent les marchés, ils créent les entreprises. Un collègue m’a dit que pendant la période de Covid, il allait retirer les commandes au domicile d’un ministre. C’était son fils qui gérait les marchés de son propre ministère. Moi je ne raconte pas d’histoire, je n’ai jamais voulu ébruter de ça. Nous avons vu que la dette intérieure étouffe nos entreprises, affecte souvent leurs performances. Pour régler ce problème, nous avons dit que mettons en place une banque, ou un établissement financier, où nous allons être actionnaires, mais qui va prendre en charge la facturation, ou d’autres de ces types de mécanismes. Et nous pensons que ce genre d’outils peut être alimenté à partir des ressources, du pétrole, du gaz, ou de nos mines, etc.
Quelles sont les solutions que vous préconisez pour accéder facilement au financement, au niveau bancaire ?
Je parlerai du financement à deux échelles. La première échelle, c’est l’échelle des marchés publics. Normalement, un marché public est assujetti à l’existence des crédits.
C’est leur régime. Ensuite, un marché public, je pense que souvent impose il y ait des obligations contractuelles qui fixent le délai de paiement. Ce qui se passe en réalité, le débat qu’on a eu sur la sincérité des statistiques, c’est le même débat qu’on a sur le délai de paiement.
Dans tous les documents de l’administration qui sont transmis aux bailleurs de fonds et aux partenaires techniques financiers, on te montre que l’administration respecte les délais de paiement. Ce n’est pas une vérité. Les délais de paiement ne sont pas du tout respectés.
Mais ça, ça peut être des points de blocage, souvent des décaissements, mais nos entreprises ont tous subi les fruits du délai de paiement parce qu’ils engagent du travail, ils s’endettent et finalement ils n’arrivent pas à rentrer dans leurs fonds. Et quand on les paie très tardivement, les banques, les frais financiers générés par leurs emprunts absorbent pratiquement leurs bénéfices et ils sont pratiquement tenus à la gorge par les banques commerciales. C’est pourquoi nous avons proposé la formule des banques qui vont prendre en charge l’affacturage.
Au Maroc par exemple, il y a une banque qui est destinée au financement des marchés publics. Elles prennent en charge les créances issues de ces marchés. Vous avez un décompte certifié, l’échéance arrive, la banque vous paie et prend en charge.
Elle va se retourner contre l’État pour se régler. Donc je pense que si l’État a déjà fait l’effort de mettre en place ce type de banque de développement, nous déjà ça va nous soulager au niveau du financement. C’est de l’activité de l’entreprise et du fonds de roulement.
Comment appréciez-vous les partenariats publics privés ?
Souvent les partenariats privés c’est de gros montants et en plus l’État ne peut pas souvent les financer directement. Vous avez un marché de 100 milliards, je peux mettre 10%, 10 milliards et ça c’est supportable. Mais ces entreprises qui viennent réaliser ces projets ce qui se passe, ils sont couverts par leur pays. Leur pays a mis en place des types de banques qu’on appelle les eximbank. Une banque à l’export parce qu’ils veulent que les projets qu’ils vont financer génèrent des retombées qui vont profiter à leurs entreprises à leurs industries, à leurs économies.
La solution, c’est un fonds d’investissement africain ou même national, à l’image des fonds d’investissement arabes ou nord-américains ou asiatiques. Nous pensons qu’au niveau sectoriel nous devons avoir un cadre de concertation avec les infrastructures l’urbanisme et l’habitat.
Si l’Etat opte pour la préférence nationale qu’est ce vous allez mettre sur la table pour permettre à l’Etat de justifier ce choix ?
La première chose, c’est d’abord le regroupement des entreprises.La dispersion nous défavorise et nous allons y mettre fin. Pour chaque sous-secteur de notre branche professionnelle, nous allons mettre en place des chefs de file. Des têtes de fil qui seront au-devant en ce qui concerne la commande publique. Cela demande de la rigueur et de la solidarité. Nous souhaitons que l’état mette en place un dispositif de contrôle et d’évaluation périodique pour l’évaluation des marchés et des sanctions qui vont avec. Le portefeuille de la commande n’est pas seulement pour nous. Une fois regroupé, nous pouvons faire des efforts dans cette volonté de partenariat à financer des projets qui seront à hauteur de nos capacités. Mais on ne peut pas le faire si nous ne disposons pas de facilités. Il faut aussi une obligation de résultats. Car il faut être honnête, un politique s’est en gagé au cours de son mandat à réaliser un certain nombre de choses, c’est pourquoi, il va falloir faire des évaluations périodiques et rigoureuses pour qu’on soit toujours alignés par rapport aux objectifs initiaux.