Sous la pression des besoins de financement des Etats africains, les banques se tournent de plus en plus vers la dette publique. Ce phénomène, connu sous le nom d’effet d’éviction, freine l’accès au crédit pour le secteur privé et inquiète face aux risques accrus pour le système bancaire.
Les Etats africains se sont massivement tournés vers les banques locales pour leurs besoins de financement sur la dernière décennie, selon le rapport « Finance in Africa : Unlocking investment in an era of digital transformation and climate transition » publié le jeudi 7 novembre par la Banque européenne d’investissement (BEI). Entre 2010 et 2023, les avoirs des banques africaines en dette souveraine intérieure ont connu une augmentation notable, passant de 10,3% à 17,5% de leurs portefeuilles. Cette situation, au-delà de révéler un système bancaire plus exposé aux aléas de la dette publique, limite l’enveloppe disponible pour les prêts au secteur privé. En conséquence, le crédit bancaire au secteur privé est en recul, de 42% en 2010 à 38% en 2023, malgré une demande de financement en hausse dans le tissu entrepreneurial africain.
L’effet d’éviction s’intensifie en Afrique de l’Est et de l’Ouest
L’effet d’éviction – phénomène par lequel les banques privilégient les investissements dans la dette publique au détriment des prêts au secteur privé – s’est intensifié au point d’atteindre des niveaux records en 2023, notamment dans plus de la moitié des pays africains. En Afrique de l’Est, en Afrique australe et en Afrique de l’Ouest, la situation est particulièrement critique. Les banques locales, sous la pression de la dette publique, allouent une part croissante de leurs ressources aux instruments souverains, souvent perçus comme moins risqués. Cette tendance se traduit par une concurrence accrue entre le secteur public et le secteur privé pour capter les financements des banques, au détriment de l’investissement privé.
En Afrique centrale, le portefeuille bancaire en dette publique a augmenté pour atteindre 24% du total des actifs contre 2,6% en 2010. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe suivent cette tendance avec des augmentations comprises entre 7% et 9% des actifs. En revanche, la baisse du crédit privé est la plus marquée en Afrique australe, où elle atteint -12,1% des actifs, contre une réduction de 2% à 3% en Afrique centrale, de l’Ouest et du Nord.
Cette préférence des banques pour les actifs souverains traduit une réalité financière : les obligations d’Etat, bien que peu risquées, offraient des taux élevés qui répondent aux impératifs de rentabilité des établissements financiers. Par exemple, les rendements sur la dette souveraine ont atteint des niveaux records : le Ghana a levé des fonds à un taux de 19%, et le Kenya à plus de 12%. Comparativement aux taux de 5% à 8% offerts par les prêts aux PME, ces rendements élevés, renforcent la préférence des banques pour les obligations d’Etat.
Un déficit de financement de 194 milliards de dollars pour les PME
Le secteur privé paie le prix fort de ce phénomène. Le déficit de financement pour les PME en Afrique subsaharienne est estimé à 194 milliards de dollars par an. Les PME, qui représentent 80% des entreprises et 60% des emplois dans la région, sont les premières touchées par cette réduction de l’accès au crédit. Selon le rapport de la BEI, 57% des PME signalent que l’insuffisance de financement est leur principal frein à la croissance, tandis que 45% font face à des difficultés pour accéder à des crédits de trésorerie.
Particulièrement touché, le secteur agricole un pilier économique dans plusieurs pays voit une large part de ses PME confrontées à une réduction des crédits.
Le défi est également interne aux banques, pour qui le risque de crédit demeure une préoccupation majeure. En 2022, environ 27% des prêts aux PME étaient considérés comme non productifs, un taux qui, bien qu’en légère baisse, reste préoccupant. Ce niveau de prêts non performants explique en partie la prudence des banques à l’égard du crédit au secteur privé.
(Agence Ecofin)