Après la « dégradation » de la note du Sénégal : quelle perspective ?

Par Demba Moussa Dembélé

Le samedi 5 octobre, cette nouvelle était à la Une de la plupart des quotidiens. Et certains des médias et commentateurs hostiles aux nouvelles autorités semblaient même s’en réjouir. Pour les rescapés de l’armée mexicaine en pleine déroute et leurs mercenaires encore en service, cette « dégradation » serait de la « faute » du Premier ministre Monsieur Ousmane Sonko, pour avoir dévoilé les mensonges et le maquillage des chiffres du régime sortant.

 

Quand Macky Sall fustigeait le rôle des agences de notation !

Pourtant, ces opposants irrationnels et hystériques au nouveau régime ont la mémoire courte. Ils semblent avoir oublié la critique acerbe de l’ancien président Macky Sall contre les agences de notation et les règles de la gouvernance économique mondiale. C’était lors de l’ouverture à Diamniadio de la réunion ministérielle de la 54e Conférence de la Commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique, le 14 mai 2022. Il disait « Tout le monde est d’accord que les conditions actuelles qui régissent la gouvernance économique sont dépassées et inadaptées à la réalité. A quoi bon donc continuer à imposer à l’Afrique de respecter des chiffres de déficit de 5 % ou 6 % dans cette double crise ? Ça n’a aucun sens. » Macky Sall avait en particulier exprimé de sévères critiques à l’endroit des agences de notation occidentales pour leur attitude biaisée vis-à-vis de l’Afrique, qui contribue à renchérir le coût des emprunts des pays africains sur les marchés financiers. Face à cette situation, Macky Sall était allé jusqu’à suggérer la possibilité pour l’Afrique de créer sa propre agence de notation ! Comme si cela pouvait changer quelque chose ! En effet, ce n’est pas la nationalité ou la couleur de la peau qui compte, c’est plutôt l’idéologie. Dès lors, créer une agence de notation propre à l’Afrique ne servirait à rien si celle-ci est guidée par l’idéologie néolibérale dans ses notations.

 

Faut-il le rappeler, Moody’s et les autres agences de notation occidentales sont un des rouages essentiels du capitalisme néolibéral. Leur mission est de renforcer la domination des principaux centres du système, Etats-Unis, Europe, entre autres, sur l’économie mondiale et le système financier international. Mais ces agences ne sont pas les seules à jouer ce rôle. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) en font également partie. Il n’a échappé à personne que depuis leur création il y a 80 ans, ces deux institutions sont dirigées respectivement par un citoyen américain et un citoyen (citoyenne) européen (européenne), malgré les énormes transformations intervenues dans l’économie mondiale depuis 1944!

 

Le Sénégal et l’Afrique ne peuvent rien attendre de ce système

Les critiques de Macky Sall à l’égard des règles de gouvernance mondiale sont d’autant plus justifiées que celle-ci semble accorder peu d’attention aux problèmes de l’Afrique, comme on peut l’illustrer avec les trois exemples ci-après. Lors de la pandémie du coronavirus, le Sénégal était le premier pays à appeler à l’annulation de la dette du continent africain pour permettre d’économiser des ressources qui seraient mises au service de la lutte contre le Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales. On connait la réponse qui a été réservée à un tel appel par les pays du G20, principalement les pays occidentaux. Un moratoire dérisoire fut  proposé aux pays africains, assorti de conditionnalités qui ont fini d’en faire un fiasco. Pour le Sénégal, voici le communiqué publié le 11 juin 2020 par le ministère des Finances et du Budget:

« La participation du Sénégal à l’Initiative de suspension du service de la dette [ISSD] se matérialisera par la suspension du paiement du principal et des intérêts dus à l’ensemble des créanciers du secteur bilatéral officiel jusqu’au 31 décembre 2020 pour un montant de 90,5 milliards de francs CFA (137 millions d’euros) entre le 1er juin 2020 et la fin de l’année, soit 13,51% du service de la dette extérieure dû en 2020 ».

Donc, le Sénégal, qui demandait l’annulation de sa dette se retrouve avec seulement 13,51% du service de la dette suspendu, pas annulé ! D’autres pays africains étaient dans la même situation

La seconde illustration du traitement du système à l’égard de l’Afrique est celle des allocations des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. En août 2020, celui-ci procéda à des allocations de DTS dans le but d’aider les pays membres à faire face aux conséquences de la pandémie. L’Afrique n’avait récolté que 33 milliards de dollars sur les 650 milliards de dollars alloués, soit 5% de ces allocations ! Lors d’une rencontre organisée à Paris le 18 mai 2021, soi-disant pour « la relance des économies africaines », plusieurs promesses avaient faites visant à réallouer des DTS des pays riches à l’Afrique. Plus d’un an après, le Président Macky Sall constatait encore avec amertume qu’aucune des promesses de réallocation n’avait été tenue!

 

La troisième illustration est « l’aide au développement ». En 2022, l’aide publique accordée par les pays riches avait enregistré une hausse de 13,6 % – « parmi les plus importantes de l’histoire » – disait-on, pour atteindre 204 milliards de dollars. Mais curieusement, l’enveloppe allouée aux pays africains avait été réduite de près de 8 %, soit  environ 30 milliards de dollars, un niveau comparable à celui de 2017 ! Donc, « hausse historique » de l’enveloppe globale consacrée à « l’aide au développement » mais « baisse historique » de la part consacrée à l’Afrique. Alors que celle-ci avait le plus grand besoin de ressources pour faire face aux conséquences de la Covid-19. Cherchez l’erreur !

 

Ces exemples devraient suffire pour ceux qui se font encore des illusions sur « l’aide » de l’Occident à l’Afrique. En réalité, ces exemples confirment l’argument selon lequel l’Afrique ne peut rien attendre du système capitaliste néolibéral pour amorcer son développement. C’est cette constatation qui avait poussé le regretté professeur Samir Amin à appeler à la déconnexion du système, il y a bientôt 40 ans !

 

Les dangers de la dette commerciale

La baisse de « l’aide » a poussé le Sénégal et les autres pays africains à se tourner de plus en plus vers les marchés financiers. Ce qui a entraîné une spirale d’endettement incontrôlable pour de nombreux pays, qui se sont retrouvés dans une situation de « stress financier ».  La dette commerciale de l’Afrique représente aujourd’hui 40% de la dette totale du continent. Parmi les créanciers privés de l’Afrique, on compte des banques, des gestionnaires d’actifs, des fonds de pension ou des assureurs. À cela, il faut ajouter les prêts contractés directement par des gouvernements auprès de groupes internationaux, comme Glencore et Trafigura.

 

La plupart des pays en « stress financier » sont ceux ayant une dette commerciale assez élevée. D’ailleurs, la même agence Moody’s signalait dans un rapport publié le 21 novembre 2021, les cas de pays dans une situation de « stress financier » à cause de leur dette commerciale. Parmi ces pays, elle citait notamment le Gabon, le Ghana et la Zambie et dans une moindre mesure le Kenya et l’Angola. Pour éviter de faire défaut, certains de ces pays s’étaient tournés vers le FMI. Le Sénégal fut obligé de signer un accord avec le FMI en mai 2023, accord dont ont hérité les nouvelles autorités.

Le recours aux marchés financiers par les pays africains avait été qualifié de « folie » par Monsieur Tidjane Thiam de la Côte d’Ivoire, qui dirigeait alors Le Crédit Suisse. Monsieur Thiam ne croyait pas si bien dire à la lumière de ce qui arrive à de nombreux pays aujourd’hui, surtout quand ce sont des pays « moins avancés », comme le Sénégal.

Conclusion

En fait, les pays africains ont besoin de ressources longues et à faible coût pour investir dans leur développement. Ce que les marchés financiers ne pourront jamais offrir. Ce qu’il faut, c’est  tout d’abord de compter sur la mobilisation des ressources internes. Donc, le gouvernement du Sénégal doit garder sa sérénité face à la note de Moody’s. Il doit réévaluer la stratégie de mobilisation des ressources pour le développement du pays et changer de paradigme. Contrairement aux régimes précédents, la préoccupation principale du nouveau régime devrait être de rassurer le peuple sénégalais et de travailler à son bien-être plutôt que de « rassurer » les marchés financiers.

 

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