REFORME DE LA PROTECTION SOCIALE AU SENEGAL : VERS UN SYSTEME PLUS CONTRIBUTIF, EFFICACE ET INCLUSIF

Le Modèle Hybride de la Protection Sociale Sénégalaise

La protection sociale est un sujet extrêmement large, englobant à la fois des aspects contributifs (assurantiels) et assistanciels portés par l’aide sociale sous toutes ses formes. Le Sénégal adopte un modèle hybride de protection sociale, combinant les approches beveridgienne et bismarckienne. Le modèle beveridgien, universel et financé par l’impôt, vise à fournir une couverture de base à tous les citoyens (assistanciels), tandis que le modèle bismarckien repose sur des cotisations salariales et cible les travailleurs formels (assuranciel). Cet article se focalise sur la partie contributive de la protection sociale.

Le Plan Sénégal émergent (PSE) et Son Orientation Politicienne

Le Plan Sénégal Émergent (PSE), malgré ses promesses, affiche une orientation politicienne notable, particulièrement perceptible dans son programme d’aide sociale assistancielle. Plutôt que de s’attaquer aux causes structurelles des inégalités, la mise en œuvre du PSE par la Stratégie nationale de Protection sociale (SNPS) en 2015, avec une vision de protection sociale universelle d’ici 2035, s’est particulièrement concentré sur des mesures à court terme destinées à séduire l’électorat financièrement vulnérable. Bien que ces initiatives assistancielles soient importantes, elles manquent de durabilité et de modalités de financement réels et soutenables pour le pays, d’après le rapport « Revue globale du système de protection sociale du Sénégal” publié en 2021 par l’Organisation internationale du Travail (OIT). De plus, elles ne répondent pas aux besoins systémiques de renforcement des capacités contributives du système de protection sociale.

Les Défis Actuels de la Protection Sociale contributive

Le système de protection sociale actuel repose sur plusieurs cotisations obligatoires. Voici un aperçu :

  1. Cotisations pour la Retraite :
    • Régime de base (IPRES) : 14% du salaire (8,4% à la charge de l’employeur et 5,6% à la charge de l’employé).
    • Retraite complémentaire pour les cadres : 6% du salaire (3,6% à la charge de l’employeur et 2,4% à la charge de l’employé).
  2. Cotisations pour la Santé :
    • Assurance maladie : Entre 4% et 15% du salaire, répartis entre l’employeur et l’employé.
  3. Autres cotisations :
    • Accidents du travail et maladies professionnelles : 1%, 3% ou 5% selon les risques encourus.
    • Prestations familiales : 7%.

Cependant, selon le rapport de l’OIT susmentionné, ces cotisations ne sont pas toujours versées de manière régulière. De nombreux salariés se retrouvent sans retraite car certaines entreprises ne versent jamais les cotisations obligatoires. Environ 20% des travailleurs sénégalais n’ont pas de couverture retraite, les privant de leurs droits après des années de travail. De plus, beaucoup de travailleurs salariés n’ont pas accès à une assurance maladie, malgré les obligations légales. Environ 50% de la population n’était pas couverte par des mutuelles de santé en 2021.

Les Problèmes du Système de Retraite

Le modèle de retraite actuel au Sénégal est jugé très obsolète. Il repose sur un système de répartition où les cotisations des actifs financent les pensions des retraités. Cependant, ce modèle présente plusieurs limites :

  1. Faible Taux de Cotisation :
    • Le taux de cotisation actuel n’est pas suffisant pour garantir des pensions adéquates pour tous les retraités.
    • Les cotisations versées sont souvent incomplètes ou inexistantes pour une part importante de la population active.
  2. Chômage Endémique :
    • Le Sénégal souffre d’un taux de chômage élevé, avec un taux de chômage élargi de 23,2% au premier trimestre 2024 selon l’ANSD. Cette situation réduit le nombre de cotisants et met en péril la viabilité financière du système de retraite.
    • La précarité de l’emploi et le travail informel font que de nombreux travailleurs ne cotisent pas régulièrement ou suffisamment.

Synthèse des Propositions de Réforme du Système de Santé au Sénégal selon le Programme Électoral Diomaye Président

Le premier ministre prévoit, dans les jours à venir, de présenter le nouveau référentiel de gouvernance du Sénégal en remplacement du PSE porté par le régime précédent. Ainsi, afin de ne pas anticiper sur le contenu de ce nouveau document, nous resterons focalisés sur le « Projet » qui a porté le Président actuel au pouvoir.

En analysant le « Projet » matérialisant le Programme électoral Diomaye Président, les chapitres dédiés à la santé et à la protection sociale sont assez ambitieux et leur réalisation permettra d’améliorer considérablement et qualitativement le système de protection sociale au Sénégal.

Cependant, pour des raisons de démocratie sanitaire et d’accès équitable aux soins, il serait peu pertinent de mettre en place des mutuelles départementales ou communales, car elles risqueraient de dupliquer les offres déjà disponibles via l’économie sociale et solidaire. Les populations, en particulier dans les zones rurales, ont un besoin urgent d’infrastructures sanitaires adaptées à leurs réalités locales. Aussi, en fonction de la localisation et des ressources des collectivités territoriales, l’accès aux services de santé varie considérablement, ce qui perpétue les inégalités existantes ou en crée de nouvelles. Il est donc crucial de concentrer les efforts sur le développement d’infrastructures sanitaires adéquates et sur l’harmonisation des services de santé à travers tout le pays pour garantir une couverture équitable et efficace pour tous les citoyens.

À long terme, une partie des politiques de santé pourraient être confiées aux collectivités territoriales lorsqu’elles jouiront d’une certaine autonomie financière et technique que leur procure la législation en vigueur. La loi 96-07 du 22 mars 1996 établit le transfert de blocs de compétences de l’État vers les collectivités territoriales, notamment l’éducation, l’aménagement du territoire, le développement économique et la santé. L’article 5 de ladite loi énonce que l’État doit transférer simultanément les compétences et les moyens qui permettent de les exercer correctement aux collectivités territoriales. Les compétences sont certes transférées avec leur lot de responsabilités et de difficultés, mais les moyens n’ont jamais suivi. Cela ne signifie pas pour autant que les collectivités territoriales ne pourraient pas être associées, dès maintenant, à la mise en place d’établissements ou de services médico-sociaux destinés à la prise en charge et à l’accompagnement des personnes âgées et/ou en situation de handicap, d’autant plus que le taux d’équipement du secteur médico-social relatif à l’autonomie reste extrêmement bas au Sénégal.

Renforcement de l’Institution de Coordination de l’Assurance Maladie Obligatoire (ICAMO) et Réforme de la Caisse de Sécurité Sociale

Pour une meilleure cohérence du système de santé au Sénégal, il est essentiel de commencer par la réforme des Instituts de Prévoyance Maladie (IPM). Ces institutions jouent un rôle clé dans la prise en charge des frais médicaux des travailleurs. Les IPM devraient être transformées pour se concentrer sur des prestations complémentaires, tandis que l’ICAMO serait renforcée pour gérer la couverture de santé de base de manière centralisée. En augmentant la part des cotisations dédiées à l’ICAMO et en l’ouvrant aux travailleurs indépendants, notamment le secteur informel, sur une base forfaitaire, quel que soit leur revenu déclaré ou non déclaré, on garantirait une couverture de santé de base équitable et standardisée pour tous. En effet, les travailleurs informels représentent une part significative de la population active au Sénégal, environ 85,8%, selon l’Organisation internationale du Travail (OIT)​​. Leur inclusion dans le système de protection sociale est cruciale pour garantir une couverture universelle et améliorer la viabilité financière du système. Une solution concrète serait d’introduire des cotisations forfaitaires adaptées aux revenus fluctuants de ces travailleurs. Par exemple, une cotisation mensuelle de 5 000 FCFA par travailleur informel, intégrée dans la patente, pourrait générer des recettes substantielles pour le financement de la sécurité sociale. Ce montant constitue la contribution mensuelle moyenne nationale par assuré tous secteurs confondus d’après le rapport statistique de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au Sénégal de 2020 comptant pour l’année 2018.

Les mutuelles, qu’elles soient publiques ou privées, seraient ensuite rattachées à la sécurité sociale nationale. Cette dernière définirait, avec les partenaires sociaux, l’harmonisation des coûts des différentes prestations sanitaires et financerait une partie des soins selon des modalités fixées par l’État. Les mutuelles, ainsi transformées, seraient alors en mesure de traiter directement avec les entreprises et les tiers physiques pour la prise en charge des coûts complémentaires. Ce système permettrait une gestion plus efficace et transparente des remboursements, assurant que toutes les parties prenantes bénéficient d’une couverture adaptée à leurs besoins. Cette centralisation permettrait de suivre de manière fine les dépenses de santé et de mieux planifier les politiques de santé publique. En unifiant les informations et les ressources, le Sénégal pourrait non seulement rationaliser les coûts, mais également identifier les besoins en infrastructure et en services de santé de manière plus précise, permettant ainsi des interventions plus ciblées et efficaces.

Un régime spécial pourrait être attribué à la filière agricole, mais sous le contrôle effectif de la sécurité sociale nationale. Ce modèle centralisé et harmonisé permettrait de rationaliser les ressources, d’améliorer l’efficacité administrative et de garantir une couverture sanitaire plus juste et plus uniforme à travers le pays.

Propositions de Réforme pour une Protection Sociale Efficiente

Pour remédier à ces lacunes, voici les propositions de réforme :

  1. Création de l’Organisme Centralisé de Collecte des Prélèvements Salariaux (OCCPS)
  • Objectif : Simplifier le processus de collecte des cotisations, améliorer l’efficacité et garantir une meilleure gestion des fonds.
  • Fonctions :
    • Recueillir toutes les cotisations salariales liées à la santé, la retraite, les accidents du travail et les prestations familiales.
    • Répartir les fonds collectés aux entités responsables (IPRES pour la retraite, ICAMO pour l’assurance maladie, etc.).
    • Assurer la transparence et la conformité des cotisations, prévenir la fraude et garantir une utilisation efficace des fonds.
    • Contrôler les effectifs déclarés et les déclarations mensuelles des entreprises, en veillant à la conformité et à l’exactitude des informations fournies.
    • Mettre en place des procédures de recouvrement pour les cotisations impayées, garantissant ainsi un financement viable et efficient de la sécurité sociale.
    • Réaliser en permanence des contrôles inopinés au sein des entreprises afin de vérifier in situ l’exactitude des informations déclarées

En renforçant ces fonctions, l’OCCPS permettra une meilleure gestion des ressources, améliorera l’efficacité administrative.

  1. Intégration de l’IPRES et de l’ICAMO dans la Sécurité Sociale
  • Transformation de l’ICAMO : Devenir la branche maladie centralisée de la sécurité sociale, gérant toutes les demandes de prise en charge.
  • Intégration de l’IPRES : Intégrer l’IPRES dans la sécurité sociale pour centraliser la gestion des retraites, optimiser les couts des prestations et des ressources humaines en charge des retraites  et améliorer la couverture médicale des personnes à la retraite.
  • Uniformisation des Prestations : Assurer que tous les assurés aient accès aux mêmes soins de base et aux mêmes droits à la retraite, indépendamment de leur affiliation à une IPM complémentaire.
  1. Transformation des IPM en Mutuelles Complémentaires
  • Objectif : Permettre aux IPM de se concentrer sur des prestations complémentaires tout en laissant la couverture de base à l’ICAMO.
  • Avantages : Améliorer l’accès aux soins supplémentaires et réduire les coûts administratifs en évitant les doublons.
  1. Introduction d’un Numéro Unique pour chaque Citoyen
  • Objectif : Assigner un numéro unique à chaque citoyen pour simplifier l’accès aux services de santé et de sécurité sociale.
  • Avantages :
    • Réduction des erreurs administratives et amélioration de la gestion des dossiers.
    • Faciliter l’accès aux services pour tous les citoyens.
    • Une le processus complètement maitrisé, le système du numéro unique pourrait être généralisé dans toute l’administration.

 

La mise en œuvre des réformes proposées, incluant la création de l’Organisme Centralisé de Collecte des Prélèvements Salariaux (OCCPS), l’intégration de l’IPRES et de l’ICAMO dans la sécurité sociale, la transformation des IPM en mutuelles complémentaires et l’introduction d’un numéro unique, est cruciale pour améliorer l’efficacité et l’inclusivité du système de protection sociale au Sénégal. Ces mesures permettraient une gestion optimisée des ressources, une réduction des coûts administratifs et une amélioration significative de l’accès aux soins pour tous les Sénégalais. En outre, il est impératif de moderniser le cadre juridique actuel, en particulier la loi n°75-50 du 3 avril 1975, devenue obsolète. Cette réforme devrait aboutir à un nouveau code de sécurité sociale, régissant efficacement la réglementation de la protection sociale et répondant aux besoins actuels des travailleurs et des citoyens sénégalais.

Aussi, pour améliorer la prise en charge médicale des retraités au Sénégal, il est essentiel d’intégrer leur couverture santé gérée par l’IPRES dans un régime général de sécurité sociale. Cela garantirait un accès rapide et sans retard aux soins médicaux. En intégrant les retraités dans le régime général, l’IPRES pourrait collaborer étroitement avec l’Institution de Coordination de l’Assurance Maladie Obligatoire (ICAMO) pour une gestion centralisée des cotisations et des remboursements. Ce système unifié permettrait d’harmoniser les processus de prise en charge médicale, réduisant ainsi les délais et assurant une couverture de santé équitable et continue pour les retraités, en alignement avec les standards des travailleurs actifs.

Mayacine MBAYE

Spécialiste du financement du système de santé et de

la protection sociale en France

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