Par: Malick NDAW
La mobilisation par l’Etat sénégalais de 450 milliards de Fcfa sur le marché international traduit un besoin urgent de capitaux. Dans un contexte où les conditions du marché évoluent rapidement, l’Etat sénégalais a ciblé un groupe spécifique d’investisseurs, évitant ainsi un processus long et exigeant. Mais à quel prix ?
750 millions de dollars (450 milliards de Fcfa), c’est le montant que le Sénégal vient de lever sur le marché international de la dette souveraine. Entre offres publiques et placements privés, l’Etat a opté pour la seconde pour mobiliser ces capitaux auprès d’investisseurs sélectionnés. Dans ses explications sur les modalités de cette opération, le ministre des Finances et du Budget nous dit que cette opération a été effectuée en « Placement privé » auprès des investisseurs. Pour la bonne compréhension, il eut été judicieux d’expliquer que le placement fait référence au processus de vente de titres directement à un groupe sélectionné d’investisseurs, en contournant le marché public. Une méthode attractive pour un émetteur qui cherche à obtenir rapidement un financement, ou à maintenir un certain niveau de confidentialité. Le timing et la rapidité sont ainsi des facteurs déterminants en cas d’urgence. C’est le premier avantage auquel s’ajoute celui de profiter d’investisseurs ayant souvent une tolérance au risque ou une expertise sectorielle plus élevée, sur l’autel desquelles sont tout de même sacrifiés la transparence et la liquidité notamment. Qu’à cela ne tienne.
En optant pour un placement privé, l’Etat sénégalais a ainsi évité la surveillance d’organismes de réglementation et les exigences de divulgation, et ne dispose que d’un accès limité au capital qu’offre ce type de placement. Il serait intéressant de savoir quelle note de crédit court terme bénéficie cette émission car, le niveau de risque se mesure aussi avec la note accordée à l’émetteur.
C’est cher payé
Toujours est-il qu’en termes de placement privé, la pression est sur les investisseurs dont les stratégies de liquidité et de sortie sont limitées. C’est l’inconvénient principal de ce type de placement puisqu’ils se retrouvent avec des périodes de détention des titres (obligations ou actions) qui ne sont pas facilement négociables sur les marchés secondaires. En contrepartie, ils tapent fort sur le taux d’intérêt et là, la pression change de camp. Aussi le « succès » dont il est question est plutôt mitigé car, 7,5% sur une échéance courte de 7 ans, c’est plutôt cher payé et ce sont les investisseurs qui tirent les marrons du feu.
On peut d’ailleurs constater que malgré la baisse des tensions politiques qui ont refroidi plus d’un investisseur, malgré les perspectives positives du pétrole et du gaz et donc du renforcement de nos ressources internes et des éventuelles externalités, cette émission obligataire traduit plutôt une certaine méfiance de la part des investisseurs.
A côté, si le Kenya s’est retrouvé certes avec un taux encore plus élevé (10,37%) que celui du Bénin et du Sénégal, c’est parce qu’il a « le couteau sous la gorge » : Un eurobond de 2 Md$ arrivant à échéance, ce mois-ci, sous peine d’un défaut de paiement. Pire, le Kenya risque même de voir sa notation chuter si le rachat de son euro-obligation de 2 milliards de dollars est effectué en dessous de la valeur nominale.
La stratégie payante
En 2008, en pleine période de la crise financière, le Sénégal était le seul pays africain à émettre une obligation de 200 millions de dollars (plus de 120 milliards de Fcfa) avec un taux… de 9,473 % pour une durée de 5 ans. Une opération d’autant plus mal fichue que le Sénégal, deux ans après, a été obligé d’émettre une deuxième obligation pour refinancer la première afin de prolonger la maturité de 5 à 10 ans, tout en augmentant la somme de 200 millions de dollars à 500 millions de dollars et réduit le taux de 9,473 % à seulement 9, 125 %. On dira encore : « c’était la crise » … Pour l’heure, pas de crise à l’horizon. Qu’à cela ne tienne.
Le Sénégal a toujours bénéficié de la confiance des investisseurs qui se sont, depuis quelques années, bousculés pour souscrire ses émissions obligataires et à des conditions douces. Il a fait beaucoup mieux dans un passé récent pour avoir mobilisé, en 2018, un montant de 1.060 milliards FCFA à travers une émission réalisée en deux tranches (comme dans le cas d’espèce). La première tranche d’une valeur d’1 milliard d’EURO (soit 656 milliards FCFA) pour une maturité de 10 ans à un taux de 4,75% et la seconde d’un milliard de dollars (soit de 528 milliards de FCFA à la date d’émission) pour une maturité de 30 ans à un taux de 6,75%, soit un montant global émis de 1.184 milliards de F CFA. Ce qui témoigne une forte confiance des marchés financiers.
Plus récent encore, en 2021, le Sénégal a émis une obligation de 775 millions d’euros (508 milliards de Fcfa), avec une maturité de seize ans et un taux d’intérêt fixe de 5,375%. Un peu plus d’un tiers (36 %) des fonds levés sera consacré, entre autres, au remboursement d’environ 70 % de l’obligation en circulation – 500 millions de dollars – qui arrive à échéance en 2024. « Cela permet au gouvernement de réduire les risques de refinancement au cours des prochaines années en allongeant la durée moyenne de l’encours de la dette », expliquait à Jeune Afrique, une analyste VP-Senior chez Moody’s. L’autre partie des fonds sera allouée au financement de projets d’infrastructures du Plan Sénégal émergent (PSE) notamment dans le secteur de l’énergie, des transports et de l’assainissement.
Encore un témoignage de l’attraction pour les titres du Sénégal et qui dénote une grande confiance du marché financier international dans les politiques publiques menées par l’ancien régime. Tant qu’à s’endetter, autant le faire mieux c’est-à-dire à des taux moins chers et sur une longue échéance pour surtout, créer de la valeur ajoutée.
L’année suivante, en 2022, le choix du Sénégal de se réorienter sur le marché financier régional de l’Union économique monétaire ouest africain (Uemoa) cadre bien avec sa stratégie de gestion de la dette à moins terme (2023-2025). Stratégie réalisée au regard du risque de surendettement qui est passée de faible à modéré depuis plus de 2 ans.
Nonobstant, les eurobonds c’est bien, mais il ressort pour nos économies, un intérêt à émettre davantage des obligations souveraines en monnaie locale qui seraient de nature à réduire la dépendance à la dette en monnaie étrangère.