LE SENEGAL AU FORUM DES PAYS EXPORTATEURS DE GAZ : Une alliance géostratégique

Qu’est-ce que le Sénégal gagne-t-il en rejoignant le cercle du Forum des pays exportateurs (GECF)? La réponse à cette question réside dans la maxime : «ensemble, nous sommes plus forts». Lorsque pays développés et pays moins nantis se mettent ensemble pour parler d’une seule voix, il vaut mieux en être. Le Sénégal qui s’apprête à accueillir son first gaz et envisage son exploitation dans la chaîne des valeurs de l’industrie chimique et du secteur électrique, mais aussi sa  commercialisation sous forme de GNL (Gaz naturel liquéfié), en a bien  saisi les enjeux : « faire du gaz naturel la ressource principale d’un développement global et durable ».

 

Le Sénégal vient d’être officiellement admis comme membre observateur au GEFC (Forum des pays exportateurs de gaz), dans un contexte marqué par  des tensions géostratégiques, et qui rassemble les principaux pays exportateurs de gaz. Le GEFC s’efforce à mettre en place un mécanisme  permettant «un dialogue constructif entre les producteurs et les consommateurs de gaz» afin «d’améliorer la stabilité et la sécurité de l’offre et de la demande sur les marchés du gaz dans le monde entier».

Créé en 2001, ce n’est qu’en 2011 que s’est tenu le premier sommet du GECF, au Qatar. Le sommet d’Alger, septième édition, qui s’est tenu à peine trois mois après la COP 28 au cours de laquelle les énergies fossiles tel que le gaz ont fait l’objet d’une levée de boucliers sans précédent, vient de s’achever sur une résolution forte : « le rejet de toute entrave à l’investissement dans les projets gaziers ». Le cheval de bataille du chef de l’Etat sénégalais, le président Macky Sall.

A l’inverse de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole), le marché mondial du gaz, du fait de ses spécificités notamment ses  contraintes, ne peut pas, pour l’heure, faire l’objet d’une cartellisation, comme  le voudrait le mastodonte russe, membre à part entière du GEFC. Le géant russe, principal exportateur de gaz, voudrait bien une «OPEP DU GAZ» aux fins d’utiliser cette ressource comme arme politique. En 2006, déjà, elle avait   laissé courir l’idée d’une «Opep du gaz» qui laissait croire à la possibilité d’un contrôle des prix par la cartellisation du marché. Une perspective qui avait suscité beaucoup de craintes notamment chez les européens. Sauf que le scénario d’un cartel du gaz qui jouerait sur les quantités mises sur le marché pour faire monter les prix, à l’image de l’Opep, est apparu comme peu crédible aux yeux de l’industrie gazière.

La dynamique géostratégique du GECF est à la mesure des mutations mondiales actuelles, influencées par une recomposition du pouvoir mondial vers un monde multipolaire et, les changements à venir entre 2024, 2030 et 2035, nécessitent des adaptations systémiques pour s’insérer dans un ordre social en devenir. Il n’empêche, même si elle ne semble pas constituer un obstacle pour des décisions communes, on ne peut ignorer la dynamique géopolitique au sein du GECF à travers ses membres et leurs divergences idéologiques. Le Qatar est très proche des pays occidentaux tandis que la Russie, de même que l’Iran, sont en train d’œuvrer pour un front anti-occidental.

 

70% des réserves mondiales de gaz

 

Rappelons que les membres à part entière du GECF sont l’Algérie, la Bolivie, l’Egypte, la Guinée équatoriale, l’Iran, la Libye, le Nigeria, le Qatar, la Russie, le Trinité-et-Tobago, les Émirats arabes unis et le Venezuela. Quant à l’Angola, l’Azerbaïdjan, l’Irak, la Malaisie, le Mozambique, le Pérou et désormais la Mauritanie et le Sénégal, ils ont le statut d’observateurs. Ces deux derniers pays deviendront membres de plein droit après l’entrée en production du gisement Grand Tortue Ahmeyim (GTA), actuellement en phase exploitation à la lisière des deux pays, pour un investissement de 5 milliards de dollars (plus de 3000 milliards de FCFA) au cours des 5 dernières années. Avec une production attendue à 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an, une capacité qui devrait augmenter à 10 millions de tonnes d’ici à 2030, le Sénégal a bien sa place dans le concert des pays producteurs. D’autant plus que le pays dispose de deux autres gisements importants de gaz offshore appelés Yaakaar et Teranga (respectivement 420 milliards de m3, 140 milliards de m3) placent le Sénégal sur la carte mondiale des producteurs de gaz naturel. Dans le landerneau du gaz, le GECF pèse 70% des réserves mondiales (144 000 milliards de mètres cubes), 42% de la production commercialisée (1650 milliards de m3) dont 45 à 50% sont exportés et 60% des exportations mondiales de Gaz naturel liquéfié (GNL).

Le Sénégal au centre du jeu

Petit producteur certes, avec des réserves estimées à 900 milliards de mètres cubes (sans compter les gisements de Yaakar et Teranga), comparé aux géants du gaz comme l’Iran, le Qatar et la Russie, mais le statut du Sénégal au sein du GECF n’est pas négligeable, car il lui permettra de peser sur les décisions de GECF. Avec ses réserves considérables, le Sénégal trouve-là une opportunité importante de jouer sa partition dans le concert des nations. Le marché européen, « immuno-dépendant » du gaz russe et qui subit les affres de la guerre russo-ukrainienne, tend les bras à Dakar. En juillet 2022, 5 mois après le début du conflit russo-ukrainien, Olav Scholz, le chancelier allemand (un pays très dépendant du gaz russe) a fait le déplacement à Dakar au Sénégal et manifesté ses ambitions gazières de partenariat avec le Sénégal. Son nouveau statut de pays gazier place par ailleurs le Sénégal sur la route des ambitions du Maroc et de l’Algérie. Au cœur des tensions géopolitiques en Afrique du Nord, la concurrence fait rage pour le contrôle des nouvelles routes d’exportation du gaz naturel. La rivalité entre ces deux pays est davantage mise en lumière par le nouveau statut gazier du Sénégal, Pour s’imposer comme un acteur clé dans le transit du gaz vers l’Europe, le Maroc envisage la construction d’un gazoduc reliant le Sénégal à l’Europe via la Mauritanie. L’Algérie, elle, a une longueur d’avance en tant que fournisseur historique de gaz à l’Europe. En plus d’avoir renforcé ses liens avec le Sénégal, elle fait valoir sa coopération avec le Nigéria notamment à travers le projet de gazoduc transsaharien (TSGP) visant à relier les champs gaziers nigérians au réseau algérien, comme le rappelle l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique, dans son édition du 4 mars dernier. L’un dans l’autre, les défis qui se dressent sur la route de ces deux pays sont réels, ne serait-ce que par rapport au péril sécuritaire, entre autres. D’un côté il y a la menace Boko Haram tandis que de l’autre, plane le syndrome des djihadistes du Nord. Au centre du jeu, le Sénégal a choisi le moyen le plus rapide pour commercialiser son gaz, le moins contraignant en termes d’infrastructures et le moins coûteux: la voie du GNL dont l’UE importe 40% de ses besoins. Les Etats-Unis l’ont d’autant mieux compris qu’ils sont devenus le premier exportateur de GNL en Europe, suivis par la Russie qui dispose des plus grandes réserves de gaz naturel. Le conflit russo-ukrainien a fini d’orienter l’intérêt des européens sur le gaz africain.

L’enjeu des marchés

Le facteur lié au contrôle du marché gazier est un autre élément important et pertinent de l’adhésion du Sénégal au Forum GECF. Les risques et les défis auxquels sont confrontés les marchés du gaz naturel et qui découlent des incertitudes géopolitiques et économiques, représentent un enjeu de taille. Dans le contexte du covid, une certaine cohésion au sein de l’OPEP avait beaucoup contribué à la stabilisation du marché pétrolier et évité une «catastrophe» aux pays producteurs. Aussi pour s’adapter à l’évolution des marchés, le GECF devrait suivre la même logique. Du moins, le Forum tient à ne pas laisser le contrôle du marché à d’autres. Par ailleurs, dans ces mêmes marchés, le GECF trouve un grand intérêt au maintien des contrats de long terme eu égard aux investissements nécessaires pour garantir les capacités de production futures. Ces contrats de long terme sont susceptibles de garantir la rentabilité des futures productions et un prix du MMBtu (Million British Thermic) qui ne peut être stable (du moins à moyen terme) que s’il est indexé sur une ressource énergétique stable. A l’inverse du pétrole, le prix du gaz ne réagit pas instantanément à l’offre et à la demande comme le pétrole. Le marché du gaz est segmenté géographiquement du fait de la prépondérance des gazoducs (environ 70%) et du GNL (environ 30%), soulignant l’importance des contrats à moyen et long terme en raison de lourds investissements et de la rentabilité à moyen et long terme. En dépit de la forte pression exercée par les climato-sceptiques sur le financement de l’industrie gazière, le gaz naturel a un bel avenir. Si l’on en juge d’abord par les marchés et les prévisions de la demande. D’ici à 2050, la demande devrait augmenter de manière impressionnante de 34%, selon le dernier rapport annuel «Global Gas Outlook 2050» du GEFC, publié la semaine dernière. Quant à l’AIE (Agence internationale de l’énergie), elle estime dans son dernier rapport trimestriel publié en janvier dernier, que la demande mondiale de gaz devrait connaître une « forte croissance » en 2024, soutenue par des prévisions de températures plus froides et la baisse des prix.

Malick NDAO

Author: admin