Retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO : entre annonce et réalité, les conséquences de la rupture

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur retrait de la CEDEAO par voie de communiqué, le dimanche 28 janvier. Dans la foulée, l’organisation a réagi, se disant ouverte à une solution « négociée ».

Réagissant à l’annonce de leur retrait, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a indiqué dans un communiqué diffusé sur son site internet, qu’elle n’avait pas encore reçu une notification formelle du Mali, du Niger et du Burkina Faso, concernant leur intention commune de se retirer de l’organisation.

« Le Burkina Faso, le Mali et le Niger demeurent des membres importants de la Communauté et la conférence reste déterminée à trouver une solution négociée à l’impasse politique », peut-on lire dans le document qui précise que de nouvelles déclarations seront faites « selon l’évolution » de la situation.

En effet, selon l’article 91 du traité révisé de l’Organisation, « tout Etat membre désireux de se retirer de la Communauté notifie par écrit, dans un délai, d’un (l) an, sa décision au Secrétaire Exécutif qui en informe les Etats membres. A l’expiration de ce délai, si sa notification n’est pas retirée, cet Etat cesse d’être membre de la Communauté ». Et d’ajouter : « Au cours de la période d’un (1) an visée au paragraphe précédent, cet Etat membre continue de se conformer aux dispositions du présent Traité et reste tenu de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du présent Traité ».

Même si les déclarations des trois pays ont été lues sur leurs chaines de télévision nationales et circulent sur les réseaux sociaux, on est loin d’un acte de retrait conforme aux usages diplomatiques, et dans les trois pays, il n’existe pas de preuve que le processus a fait l’objet d’une consultation populaire ou élective.

Ce ne sera pas la première fois que la CEDEAO reçoit une notification de retrait d’un de ses membres. En 2000, la Mauritanie avait décidé de quitter l’organisation, mais le contexte et les conditions étaient différents, et le processus avait été respecté. Cette déclaration des trois pays qui forment désormais l’entité connue sous l’appellation d’Alliance des Etats du Sahel, survient alors que les personnes qui les dirigent sont mises au ban de la communauté pour avoir pris le pouvoir par la force des armes.

Dans les cas du Burkina Faso et du Mali, cette annonce intervient alors que la communauté internationale attendait d’en savoir plus sur la manière dont se dérouleraient les élections dans les deux pays. Les militaires au pouvoir avaient promis des élections en 2024 dans le cadre de concertations avec la CEDEAO. Au Mali, la date a été repoussée sine die, et au Burkina Faso les dirigeants ont décidé que la lutte contre les terroristes était devenue la priorité. Au Niger, les discussions sont restées au point mort et le président élu Mohamed Bazoum reste détenu alors que les militaires ne montrent aucun signe de passation du pouvoir aux civils.

Ces derniers mois, les trois pays ont renforcé individuellement, et parfois collectivement, leurs alliances avec la Russie. Au rang des autres options, de nouvelles alliances semblent se nouer avec l’Iran et sur le plan économique, la Chine continue de pousser ses pions. Le passage du Secrétaire d’Etat américain aux Affaires étrangères, Antony Blinken, ne semble pas avoir décrispé la situation. Ce dernier a pourtant joué la carte de l’apaisement, indiquant à la CEDEAO qu’on peut critiquer les prises de pouvoir par coup d’Etat, mais discuter avec ceux qui en sont les auteurs.

Il faut également souligner que cette déclaration de retrait crée un précédent juridique. Si la CEDEAO doit respecter ses textes, elle doit attendre au moins une année, avant de retirer aux partants le bénéfice de son accord d’association. Elle ne peut activer des sanctions supplémentaires, ayant déjà mis en œuvre une série d’entre elles.

Des conséquences économiques et sociales à craindre

S’il entre en vigueur, ce retrait devrait impacter les corridors commerciaux notamment pour les agents économiques qui y sont actifs. Les trois pays n’ont aucune voie maritime, mais peuvent invoquer des accords internationaux sur les droits des pays de l’Hinterland, pour contraindre les pays côtiers de la CEDEAO à laisser passer leurs marchandises.

Dans une région où la libre circulation des personnes permet depuis de nombreuses années l’installation de diasporas importantes du Mali, du Burkina Faso et du Niger dans les autres pays de la CEDEAO et vice-versa, la nouvelle décision est déjà source d’inquiétudes. Selon un recensement de 2014, il y aurait 3,5 millions de Burkinabés vivant rien qu’en Côte d’Ivoire. Cela représente autant d’individus qui devront régulariser leur statut en cas de mise en place d’une nouvelle politique migratoire entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine.

« Nous avons vu des gens se rassembler à l’Assemblée nationale pour applaudir la décision », a également confié Marchel, un ressortissant béninois vivant à Niamey. « Mais si la décision se confirme, nous risquons d’avoir également de nombreuses difficultés pour nous régulariser, car ce n’était déjà pas facile avec les tensions des derniers mois », a-t-il ajouté.

L’UEMOA et le F CFA   

Ces derniers mois, les rumeurs sur la création d’une monnaie commune aux trois pays, le « Sahel », se sont accentuées. Les trois pays de l’AES ont régulièrement fustigé le fonctionnement du FCFA, ancienne monnaie coloniale, et leur sortie de cette monnaie semble désormais n’être qu’une question de temps.

Pourtant, le processus semble bien plus complexe. De plus, l’exemple du franc malien qui a servi de devise officielle entre 1962 et 1984 a déjà montré que la question de la souveraineté monétaire ne peut être abordée simplement sous le prisme géopolitique.

Dans leurs lois de finances respectives pour 2024, le Mali et le Burkina Faso ont prévu de mobiliser du financement sur le marché des titres publics pour soutenir leur budget. 1 444 milliards FCFA (2,3 milliards $) devraient être mobilisés par Bamako et 1 220 milliards FCFA par Ouagadougou. Des objectifs qui laissent penser qu’une sortie du F CFA par ces deux pays au moins, n’est pas encore à l’ordre du jour pour l’année qui vient de démarrer.

(Agence Ecofin)

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