L’émigration irrégulière entre crise de l’emploi et mal gouvernance

Par : Dr Ndongo Mané Kébé

Depuis quelques temps, on note une recrudescence de l’émigration irrégulière. Il est clair que le facteur explicatif premier à ce phénomène qui est évoqué, est d’ordre économique car le Sénégal est un pays « très stable » et que la seule violence que subissent les populations, et qui les chasse du pays, elle est économique.
La crise de l’emploi que connait le Sénégal est sans doute la plus profonde depuis des décennies. Non seulement il y a un déficit d’emplois, mais le peu d’emplois qu’il y a n’est pas décent. Ce qui accroit la précarité des populations au moment où le coût de la vie monte en flèche.
Le développement du secteur informel indique à suffisance un mal être profond de l’économie du pays caractérisée pas un cadre peu propice à l’investissement et à la création d’emplois, dans lequel le secteur privé national est moribond.
Cela offre des perspectives peu prometteuses pour l’avenir des jeunes qui restent au pays. Ces derniers ne croient plus à la volonté des autorités de prendre à bras le corps leur situation précaire au regard de l’échec des nombreuses politiques d’emplois, la mal gouvernance, exacerbée par l’impunité et le manque de reddition des comptes dans la gestion des affaires publiques. A cela s’ajoute le bradage des ressources du pays dont les entreprises étrangères sont les seules à bénéficier d’un taux de croissance élevé tant chanté, depuis quelques années.
Ce qui fait que les inégalités sociales se creusent à des proportions exponentielles et que le travail n’est plus le moyen sûr de réussite.
Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’il y a plus de deux ans, l’Etat avait lancé le programme « Xeuyu ndawni » avec un budget de 450 milliards sur trois ans. A quelques mois de la fin de ce programme, la situation de l’emploi est plus que jamais préoccupante
Mais la raison n’est pas qu’économique. Aujourd’hui, plus que jamais, on a une combinaison de facteurs, à la fois économiques, politico-judiciaires, etc. qui rend encore plus sombre l’avenir des jeunes.
A cela s’ajoute une dimension sociologique du phénomène qui interpelle notre conception de l’emploi et de la réussite qui se traduit par une crise profonde de notre société où le matérialisme a pris le dessus sur tout et a fini de faire de la réussite une question de vie ou de mort.
Il s’agit d’une crise structurelle face à laquelle les déclarations d’intentions ne suffisent plus, l’hypocrisie et le populisme politique éhontés n’ont plus leur place au moment où le pays perd ses vaillants fils dans la mer et dans le désert.
La solution à cela viendra d’une approche intégrée du problème qui va questionner à la fois l’efficacité et l’efficience des politiques en matière d’emploi, la gouvernance des affaires publiques, le système éducatif et de formation, la culture de l’entreprenariat, le système financier, le cadre institutionnel d’accompagnement des PME, entre autres. Mais la construction d’une société solidaire et juste, avec un état de droit, qui donne les mêmes chances à tous, et où seul le travail est facteur de réussite, s’avère la fondation solide sans laquelle toute initiative dans ce sens serait un château de cartes.

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