Le secteur privé, moteur de la croissance verte ?

Comment l’Afrique peut-elle construire un avenir énergétique durable ? Deux universitaires ont mis en évidence trois leçons tirées d’entreprises innovantes dans plusieurs pays du continent.

Selon Phillip Trotter et Aoife Brophy, de la Smith School of Enterprise and the Environment de l’université d’Oxford, il n’est pas acquis que les investissements du secteur privé se traduisent automatiquement par une croissance verte et à faible émission de carbone en Afrique, ni qu’ils soutiennent d’autres objectifs importants tels que la réduction de la pauvreté.

Pour qu’il en soit ainsi, les responsables politiques doivent définir des lignes directrices, des incitations et des contraintes qui encouragent les modèles d’entreprise favorables au développement durable, affirment-ils.

« Il est possible de canaliser la puissance et le potentiel de l’essor énergétique de l’Afrique pour faire progresser les objectifs de développement durable du continent. »

Au cours des cinq dernières années, les chercheurs ont étudié en profondeur le secteur de l’énergie hors réseau dans six pays subsahariens présentant des déficits énergétiques considérables, le Ghana, le Nigeria, l’Ouganda, la Sierra Leone, la Tanzanie et la Zambie, en se penchant sur certaines des entreprises les plus innovantes. Ils ont synthétisé leurs recherches pour mettre en évidence trois facteurs clés que les décideurs politiques peuvent utiliser pour orienter dans la bonne direction le marché de l’énergie en pleine croissance en Afrique.

  1. Soutenir la valeur ajoutée, et non la facilité d’accès

Leurs recherches montrent que le simple fait d’accroître l’accès à l’énergie ne favorise pas automatiquement le développement durable : « Ce qui compte, ce ne sont pas les kilowatts que vous fournissez, mais la manière dont vous permettez leur utilisation », affirment les auteurs.

Ce qui a frappé Trotter et Brophy, c’est que les entreprises les plus performantes ne se sont pas contentées de vendre des unités d’énergie ; elles ont investi dans des actifs pour fournir activement des services énergétiques, permettant ainsi aux communautés de se développer et de prospérer.

Par exemple, de nombreuses communautés de pêcheurs n’ont pas accès à la réfrigération, ce qui limite leur capacité à stocker et à vendre des produits et à se développer sur des marchés éloignés. À Kalangala, en Ouganda, une société d’énergie va au-delà de la simple fourniture d’électricité pour vendre de la glace qui a été congelée grâce à l’électricité produite par un mini-réseau solaire dans des installations qui n’étaient plus utilisées depuis dix ans. Cela ouvre de plus grandes possibilités de marché, en donnant aux pêcheurs de nouveaux moyens d’agir.

Trotter et Brophy n’ont trouvé aucun exemple de modèles commerciaux de ce type dans les pays où les politiques ont été soit presque prohibitives (Ghana), soit très peu propices à l’innovation (Zambie et Tanzanie). En revanche, en Ouganda et en Sierra Leone, ils ont trouvé un nombre considérable d’entreprises mettant simultanément en œuvre de tels modèles, malgré un environnement macroéconomique comparativement plus faible.

Les auteurs estiment donc qu’il serait judicieux, lors de l’élaboration des politiques et de l’octroi des financements, de trouver des moyens de mesurer la valeur ajoutée et d’éliminer tout obstacle susceptible d’empêcher les entreprises énergétiques de fonctionner de manière intégrée.

  1. Utiliser la carotte et le bâton

« Pour que les innovations arrivent sur le marché, les start-up ont besoin d’un soutien financier au départ », expliquent Trotter et Brophy. « Toutefois, à plus long terme, nous avons découvert que les contraintes appropriées peuvent être tout aussi importantes pour inciter les entreprises à soutenir les objectifs plus larges du développement durable. »

De nouvelles façons de penser

Ils ont constaté que les entreprises hors réseau fortement subventionnées avaient tendance à se concentrer sur le court terme et à moins réfléchir à l’impact social plus large de leur activité, mais que celles qui devaient faire face à des contraintes supplémentaires, telles que le plafonnement des prix à la consommation, étaient poussées à créer une valeur durable et à long terme de manière innovante.

« Les décideurs politiques doivent donc créer une stratégie économique équilibrée, avec des pistes à court et à long terme, et des éléments de soutien et de contrainte », affirment-ils. À leurs yeux, cela permettra aux entreprises hors réseau d’être soutenues financièrement pendant les premières périodes d’expérimentation, mais aussi de fonctionner de manière autosuffisante et évolutive, au service de la société dans son ensemble.

  1. Penser comme une start-up

Les auteurs ont constaté que les entreprises les plus innovantes créaient leur propre cercle vertueux en trouvant constamment des moyens de créer et de capturer de la valeur à tous les niveaux.

« En conséquence, elles ont élaboré leurs propositions de valeur en tenant compte des besoins de la communauté, les entreprises locales ont prospéré et la communauté environnante a bénéficié d’un meilleur accès à une énergie abordable et propre », écrivent-ils.

 

Les décideurs politiques pourraient stimuler une telle approche en réunissant des personnes de différentes disciplines et départements, en mesurant les facteurs importants à l’aide d’indicateurs plus larges et alternatifs, et en mettant l’accent non plus sur la réparation des macro-systèmes, mais sur la création d’écosystèmes locaux prospères, ajoutent-ils.

La bonne combinaison de soutien et de contraintes peut permettre au secteur privé d’aller au-delà de la fourniture d’un accès de base à l’énergie et de servir simultanément de multiples objectifs sectoriels et sociétaux, affirment les auteurs dans leur étude principale.

« Soutenir le secteur naissant de l’énergie durable pour qu’il apporte une valeur ajoutée à l’ensemble de la société est une opportunité formidable. Pour saisir cette opportunité, il faut de nouvelles façons de penser et des combinaisons de politiques créatives », concluent les auteurs.

Le Magazine de l’Afrique

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