Comment éviter une crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

Par: Fabio Comelli, Antonio David, Luc Eyraud, Peter Kovacs, Jimena Montoya et Arthur Sode

La dette publique dans la région atteint des niveaux jamais observés depuis des décennies

Le ratio d’endettement moyen en Afrique subsaharienne a presque doublé en seulement dix ans, passant de 30 % du PIB à la fin de 2013 à un peu moins de 60 % du PIB à la fin de 2022. Le coût du remboursement de cette dette a lui aussi augmenté.

Le ratio paiement d’intérêts/recettes, un paramètre essentiel pour évaluer la capacité d’un pays à assurer le service de sa dette et pour prédire le risque de crise budgétaire, a été multiplié par plus de deux depuis le début des années 2010 et représente désormais près de quatre fois celui enregistré dans les pays avancés. En 2022, plus de la moitié des pays à faible revenu en Afrique subsaharienne présentaient un risque de surendettement élevé ou étaient en situation de surendettement d’après les évaluations du FMI.

Ces tendances laissent craindre l’imminence d’une crise de la dette dans la région. Une récente étude du FMI expose plusieurs solutions possibles pour éviter qu’un tel évènement se produise. Elle répertorie ainsi cinq mesures que les gouvernements d’Afrique peuvent prendre pour préserver la viabilité des finances publiques tout en réalisant les objectifs de développement de la région.

1. Définir un cap : redonner un ancrage à la politique budgétaire en élaborant une stratégie à moyen terme réaliste

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, la politique budgétaire accorde une place excessive aux objectifs de court terme et ne s’inscrit dans aucune stratégie à moyen terme claire. Cette absence d’ancrage se traduit par des manquements aux règles budgétaires et des niveaux de dette toujours plus élevés.

Il serait préférable d’adopter une approche plus stratégique de la politique budgétaire, à savoir fixer des cibles d’endettement précises qui tiennent compte des arbitrages entre viabilité de la dette et objectifs de développement, plutôt que se focaliser sur les déficits budgétaires à court terme. Cette étude propose une approche novatrice de l’estimation, pour chaque pays, d’un point d’ancrage de la dette à moyen terme qui permet de maintenir le coût du service de la dette à un niveau gérable.

D’après cette méthode, le point d’ancrage médian pour la région correspond à environ 55 % du PIB ; un peu plus de la moitié des pays présentaient un niveau d’endettement supérieur à leur point d’ancrage à la fin de 2022.

2. Se préparer : réaliser un rééquilibrage budgétaire pour ramener la dette à un niveau plus prudent

D’après l’analyse des services du FMI, la plupart des pays de la région devront réduire leur déficit budgétaire dans les prochaines années — de l’ordre de 2 % à 3 % du PIB, en moyenne.

Un tel rééquilibrage semble matériellement possible au vu des données rétrospectives disponibles : par le passé, des pays d’Afrique subsaharienne sont parvenus à améliorer leur solde primaire de 1 % par an sur une période de deux à trois ans.

Mais tous les pays ne se heurtent pas aux mêmes difficultés. Un quart environ des pays de la région conservent une certaine marge de manœuvre budgétaire et peuvent l’utiliser pour maintenir, voire augmenter, leurs investissements vitaux dans le capital humain et physique. En revanche, un petit nombre de pays ont besoin d’un assainissement de grande ampleur : pour eux, il est peu probable qu’un rééquilibrage budgétaire suffise à lui seul à assurer la viabilité des finances publiques. Il leur faudra peut-être aussi procéder à un rééchelonnement ou à une restructuration de la dette.

3. Solliciter les contribuables : accroître la mobilisation des recettes intérieures

En règle générale, les pays d’Afrique subsaharienne recourent par trop aux coupes dans les dépenses pour réduire leur déficit budgétaire. Bien qu’une telle politique puisse être justifiée dans certaines situations, les mesures relatives aux recettes, comme l’élimination des exonérations fiscales ou la dématérialisation des systèmes de déclaration et de paiement des impôts, devraient être davantage mises à profit. Accroître la mobilisation des recettes est moins préjudiciable à la croissance dans les pays où les taux d’imposition initiaux sont faibles, alors que le coût associé à la réduction des dépenses est particulièrement élevé au regard des grands besoins de développement de l’Afrique.

Il est, certes, difficile d’augmenter massivement et rapidement les recettes, mais plusieurs pays, tels que la Gambie, l’Ouganda, le Rwanda et le Sénégal, y sont parvenus, en combinant des mesures sur l’administration des recettes et sur la fiscalité.

4. Consolider la maison : renforcer les institutions budgétaires afin d’améliorer l’exécution des plans

Une réorientation de l’action publique a plus de chances de porter ses fruits si les institutions budgétaires sont fortes et efficientes. Du côté des dépenses, des plans pourtant bien conçus produisent trop souvent des résultats décevants en raison de dérapages budgétaires ou de la matérialisation imprévue de risques budgétaires. Adopter un cadre budgétaire à moyen terme, mettre en place des outils pour mieux évaluer et gérer les risques budgétaires et accroître les contrôles sur les dépenses publiques durant la phase d’exécution du budget sont des actions essentielles pour éviter ce genre d’écueils.

L’existence de contrôles des dépenses efficaces (laquelle suppose de renforcer le cadre budgétaire juridique, d’améliorer l’information sur les finances publiques et de donner des moyens d’action aux organismes d’audit et de contrôle) est particulièrement importante, dans la mesure où ces contrôles permettent de réduire le risque que le gouvernement opère un dérapage budgétaire ou prenne des engagements extrabudgétaires, lesquels sont monnaie courante dans la région.

5. Convaincre les citoyens : anticiper les résistances du grand public face aux réformes

La viabilité d’une nouvelle stratégie budgétaire dépend également de la capacité du gouvernement à obtenir le soutien de la population en montrant les avantages à long terme des mesures. L’adhésion des citoyens devrait être au cœur de l’élaboration des politiques publiques. Il convient par exemple d’accorder une attention particulière à la chronologie des réformes et à la prise de mesures compensatoires.

Des campagnes de communication qui présentent de façon transparente et crédible les avantages à long terme d’une réforme, ses effets sur la répartition des revenus et les coûts de l’inaction ont aussi un rôle important à jouer. Plus généralement, l’acceptation des réformes par la population dépend de la capacité des pouvoirs publics à convaincre qu’ils utiliseront les deniers publics de manière efficace, juste et transparente.

 

Fabio Comelli est économiste principal au département Afrique du FMI, où Antonio David est chef de division adjoint, Luc Eyraud chef de la division études régionales, Jimena Montoya analyste de recherche principale et Arthur Sode économiste. Peter Kovacs, qui travaillait au FMI, est économiste à la Commission européenne.

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