Une résilience mise à l’épreuve

Le rapport 2023 de l’IDA relève que les pays fragiles d’Afrique de l’Ouest et centrale qui bénéficient d’une union monétaire peuvent mieux affronter les tensions inflationnistes. Ses auteurs misent sur une ZLECAf réussie et des réformes des secteurs privés et publics.

 

L’IDA (International Development Association), l’institution de la Banque mondiale chargée d’aider les pays les plus pauvres du monde, publie son évaluation annuelle des pays d’Afrique subsaharienne, le CPIA (Country Policy and Institutional Assessment), qui fait apparaître les progrès de 39 pays africains susceptibles de bénéficier de son assistance.

Face à un contexte de resserrement des marchés mondiaux du crédit, la résilience économique et sociale continue d’être mise à rude épreuve dans tous les pays de l’Afrique subsaharienne, alors que leur capacité institutionnelle à restaurer la stabilité et à assurer une croissance soutenue demeure problématique. « Cette résilience s’avère également fondamentale pour répondre aux impératifs du changement climatique mondial et aux évolutions du marché qui devraient accompagner la transition de l’économie mondiale vers les énergies vertes », commente le rapport. Qui constate que la reprise de l’activité économique après le ralentissement induit par la pandémie de Covid-19 se met en place à plusieurs vitesses, avec d’importantes disparités d’un pays à l’autre.

 « La fréquence, l’exhaustivité et la rigueur de l’examen CPIA peuvent contribuer à stimuler l’engagement des pays et à étayer un dialogue fondé sur des données probantes autour du programme de réforme des pays », commente Andrew Dabalen, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique.

Pays par pays, l’institution émet des « notes » reflétant, sous plusieurs critères, leur situation économique. « Malgré les difficultés économiques au niveau mondial, les pays d’Afrique subsaharienne qui ont affiché des améliorations de leurs notes CPIA sont plus nombreux que l’année précédente », se félicite le rapport. En Afrique de l’Ouest et centrale, la note globale de huit pays a augmenté : le Bénin, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la République du Congo et le Togo. La note générale s’est améliorée pour quatre pays d’Afrique de l’Est et australe : le Burundi, la RD Congo, le Mozambique et la Zambie. En revanche, huit pays ont enregistré une baisse de leur score moyen : le Tchad, les Comores, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Ghana, le Malawi, Sao Tomé-et-Principe et le Soudan.

 

Du mieux en Afrique de l’Ouest

Les pays affichant une hausse des notes ont réalisé des progrès notables sous les critères de la gestion économique, des politiques en faveur de l’inclusion sociale et de la gouvernance. Les pays avec des scores en baisse ont quant à eux rencontré des difficultés en matière de gestion économique et de gouvernance. Pour la plupart, les pays dont les notes se sont dégradées se situaient déjà vers le bas de l’échelle. Cela marque une divergence croissante des notes au sein de la région en 2022.

L’Afrique de l’Ouest et centrale s’est remise des baisses précédentes, tandis que l’Afrique de l’Est et australe peine encore après une baisse significative en 2019. « La gestion macro-budgétaire est un facteur crucial contribuant à cet écart, l’Afrique de l’Ouest et centrale affichant toujours des performances supérieures à celles de l’Afrique de l’Est et australe dans les catégories économiques et du secteur public », précise le rapport.

Cet écart entre les sous-régions est attribuable à la performance relative des États fragiles et touchés par des conflits et ceux qui ne le sont pas.

Le siège de la Banque mondiale.
Le siège de la Banque mondiale.

 

En raison de l’augmentation des prix mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie, les politiques monétaires et de taux de change cristallisent l’attention. Alors que seuls trois pays ont un taux de change flottant, ceux qui ont un régime de change fixe conventionnel ont connu des niveaux d’inflation plus faibles que ceux ayant un régime de change flexible ou un régime de change activement géré. « En conséquence, les grandes unions monétaires d’Afrique occidentale et centrale ont pu maintenir des taux d’intérêt relativement bas face au resserrement des marchés mondiaux du crédit. »

De plus, face au resserrement des marchés du crédit, la gestion et la transparence de la dette sont devenues une priorité stratégique absolue. L’allongement des échéances, qui permet de réduire les risques liés aux coûts élevés de refinancement, procure encore des avantages considérables, et de nombreux pays s’emploient activement à reconstituer leur portefeuille. En outre, l’instauration d’une crédibilité à long terme grâce à des politiques à moyen terme transparentes et à de robustes cadres juridiques a été couronnée de succès dans la région.

Selon le rapport IDA, « il est nécessaire d’engager des réformes du secteur privé pour pérenniser la croissance économique aux niveaux actuels, d’autant plus que l’étroitesse des marchés du crédit et la dette publique élevée limitent l’investissement public dans de nombreuses régions du continent ».

 

Améliorer l’accès aux marchés financiers

Toutefois, si la volatilité des marchés mondiaux devait persister, les opportunités offertes par la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) en matière de commerce international « incitent à l’optimisme », avec un potentiel d’augmentation des recettes de 9 % d’ici 2035, « sous réserve d’une mise en œuvre efficace ».

IDA constate que malgré les progrès des services financiers numériques, le recours global au système financier reste inférieur à celui d’autres régions. Le crédit accordé au secteur privé a diminué dans certains pays en raison de l’augmentation des emprunts publics auprès des banques commerciales, ce qui entraîne des risques macrofinanciers. Conclusion : « Il est nécessaire d’améliorer la solidité, l’accès aux services financiers, la stabilité et la surveillance du secteur financier de la région. »

Les pays fragiles d’Afrique subsaharienne sont confrontés à des défis spécifiques en matière de commerce, d’accès au financement et de cadres réglementaires. Les barrières commerciales et les droits de douane élevés portent préjudice à ces pays de manière disproportionnée, tandis que les risques politiques et sécuritaires entravent encore davantage leur accès au financement et limitent donc leur capacité de production.

D’autre part, il subsiste des défis à relever dans la réalisation de l’égalité des genres, des progrès limités ayant été constatés dans la promulgation de lois et de politiques promouvant l’égalité de traitement en matière d’accès et de protection pour les hommes et les femmes. Les pays fragiles et touchés par un conflit sont confrontés à des obstacles supplémentaires dans la réalisation de l’égalité des genres.

 

N’abîmons pas nos ressources humaines

De même, les réformes relatives à la durabilité environnementale ont progressé sur fond de pressions exercées pour soutenir les écosystèmes vulnérables au changement climatique. La politique environnementale a notamment commencé à être intégrée dans d’autres domaines politiques, comme en témoignent les stratégies de redressement « vertes » de la Covid-19, la production locale d’énergie renouvelable et les projets de gestion durable des terres dans le cadre des programmes de développement agricole et rural.

Outre « la gouvernance », IDA appelle à renforcer « les institutions du secteur public », mises à rude épreuve durant la pandémie, en dépit de quelques progrès. « La bonne gouvernance et un contrat social solide constituent la clé de voûte du développement durable en favorisant la stabilité, la responsabilité, l’efficacité et la confiance des investisseurs. »

Parmi les améliorations les plus importantes figurent une meilleure gestion des ressources humaines au sein des pouvoirs publics et de la numérisation des opérations et des services gouvernementaux, la gestion numérique des ressources humaines combinant les deux dans une poignée de pays (dont le Bénin et la Côte d’Ivoire).

En revanche, les indicateurs mondiaux de gouvernance de la Banque mondiale ont reculé au cours des deux dernières décennies en ce qui concerne l’efficacité des pouvoirs publics, la qualité de la réglementation, le contrôle de la corruption et la stabilité politique. Conjointement avec les régressions de la liberté de la presse dans certains pays ; « il s’agit d’une tendance préoccupante », avertissent les auteurs.

Le Magazine de l’Afrique

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