Comptes bancaires dormants : Cet argent qui cherche preneurs

En 2018, plus de 3000 comptes bancaires dormants ont été recensés au Sénégal pour un montant global de près de trois milliards de FCfa. Qu’appelle-t-on compte dormant ? Quelle est la procédure habituelle pour les ayants droit afin de récupérer cet argent ? Éclairage sur ce phénomène bancaire dans ce dossier.

Dossier réalisé par Seydou KA et publiè dans le Soleil le 14 fèvrier 2022

La loi uniforme de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) de septembre 2012 définit le compte dormant ou inactif comme tout compte créditeur détenu dans les livres d’un organisme financier (banques, Systèmes financiers décentralisés (Sfd), La Poste), qui n’a fait l’objet d’aucune intervention, depuis au moins 10 ans, de la part de son titulaire ou de ses ayants droit et dont ledit titulaire et ses ayants droit ne se sont pas manifestés sur la même période, en dépit des tentatives menées par l’organisme financier pour entrer en contact avec eux, notamment sur la base de la documentation fournie par le titulaire.
Toutefois, précise Habib Ndao, Secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf) du Ministère des Finances et du Budget, n’est pas considéré comme avoir dormant le compte qui n’a subi aucune intervention de la part de son titulaire depuis au moins 10 ans lorsque celui-ci a effectué, pendant cette période, une intervention sur les autres comptes qu’il détient dans les livres du même organisme financier ou a eu un contact avec ledit organisme. De même, tout compte soumis à une surveillance particulière du fait d’une décision de justice ou de l’administration, les dépôts à terme sur la période contractuelle de 0 ans ou plus n’est pas considéré comme compte dormant.

Émigration, décès : ce qui est à l’origine des comptes dormants 

Trois raisons principales sont à l’origine des comptes dormants. Il s’agit de la disparition non signalée et non justifiée, le décès non signalé et non justifié ou l’arrêt (volontaire ou pas) par le titulaire de toute opération à son initiative sur le compte, liste Souleymane Soumaré, Directeur général de l’Association professionnelle de banques et d’établissements financiers du Sénégal (Apbefs). Abondant dans le même sens, Habib Ndao, de l’Oqsf, souligne que, très souvent, il s’agit de personnes physiques qui ont ouvert des comptes dont les parents et les ayants droit ignorent l’existence. « Une fois décédés, les ayants droit, soit par ignorance, soit par illettrisme financier, ne savent pas quelle démarche mener », dit-il. Également, les comptes inactifs peuvent se manifester chez certains clients effectuant une émigration sur une période relativement longue.

Une étude, réalisée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) auprès du système bancaire des huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), avait identifié, en 2006, l’existence de 774 689 comptes totalisant 61 milliards de FCfa. En 2017, il a été dénombré, au Sénégal, 1057 comptes bancaires dormants sur plus de 1 600 000 comptes bancaires représentant une valeur estimée à près de deux milliards de FCfa. En 2018, les recensements effectués ont permis de relever plus de 3000 comptes déclarés dormants au Sénégal pour un montant global de près de trois milliards de FCfa.

Ce que prévoit le dispositif réglementaire 

Jusqu’en décembre 2013, la gestion des comptes dormants était régie, au Sénégal, par la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976. Mais, depuis septembre 2012 et l’adoption, par le Conseil des Ministres de l’Uemoa, de la loi uniforme sur le traitement des comptes dormants dans les livres des organismes dépositaires des États membres de l’Umoa (promulguée et adoptée par la loi n° 2014-032 du 17 juillet 2014), le dispositif réglementaire a évolué. Dans le même sillage, la Bceao a adopté trois instructions précisant respectivement les conditions et les modalités de recherche des titulaires ou de leurs ayants droit, de réclamation des avoirs dormants et de leur transfert à la Bceao. C’est ainsi que les organismes dépositaires sont tenus de rechercher les titulaires ou ayants droit des comptes qui n’ont fait l’objet d’aucune intervention depuis au moins huit ans, la recherche devant être poursuivie pendant deux années supplémentaires en l’absence de résultat, soit, au total, 10 années. « Ainsi, les dépositaires (établissement de crédit, Système financier décentralisé, le service financier de La Poste), doivent clôturer les comptes dormants au terme de la 10ième année de la dernière intervention et transférer les avoirs détenus dans les livres de l’Agence principale de la Bceao au plus tard 30 jours suivant la clôture », explique Souleymane Soumaré. À son tour, la Bceao conserve les avoirs ainsi transférés jusqu’à l’expiration d’un délai de 20 ans à compter de la date de transfert par l’organisme dépositaire.

Au bout de 20 ans, la Banque centrale place les avoirs dormants conservés dans ses livres prioritairement sur les titres publics et restitue les avoirs reçus à la demande du titulaire ou de ses ayants droit. Cependant, indique Habib Ndao, jusqu’à l’expiration du délai de 20 ans, toute personne qui estime être le titulaire ou un ayant droit des avoirs dormants transférés à la Banque centrale peut les réclamer en adressant une demande écrite à la Bceao avec ampliation à l’organisme dépositaire initial. Il précise que le déclassement en compte dormant entraîne l’arrêt des prélèvements des frais de gestion et de toute rémunération, ainsi que des charges fiscales y afférentes.

La procédure à suivre pour les ayants droit 

Selon Souleymane Soumaré, Directeur général de l’Apbefs, grâce à la clarté des textes en vigueur ; ce qui facilite le retraçage, les banques ne rencontrent pas de difficultés particulières pour la gestion des comptes dormants. « La difficulté, si difficulté il y a, est plutôt celle des titulaires des comptes ou de leurs ayant droit cherchant à entrer en possession de leurs avoirs remontant à la période avant 2014, c’est-à-dire avant l’avènement du nouveau dispositif », dit-il. Il précise que ces difficultés découlent souvent de l’ancienneté, de la remontée du processus jusqu’à localiser le positionnement des avoirs du point de départ auprès du dépositaire jusqu’à l’aboutissement auprès de l’organe étatique sensé avoir recueilli les avoirs.

La réclamation de restitution des avoirs détenus dans des comptes dormants peut être faite par les ayants droits. Ces derniers « doivent produire une lettre de réclamation adressée à la Banque centrale et doit être accompagnée des pièces justificatives relatives à l’identité de son auteur et au droit qu’il prétend détenir sur les avoirs dormants », rappelle Habib Ndao. La justification de l’identité de l’auteur de la réclamation est faite par la présentation d’une carte d’identité nationale ou de tout document officiel original en tenant lieu, en cours de validité, et comportant une photographie.
Lorsque la réclamation est faite au nom d’une personne morale, poursuit M. Ndao, y compris les cas d’indivision, le représentant de celle-ci doit présenter les documents attestant des pouvoirs qui lui sont conférés. En outre, il doit fournir les pièces justificatives de son identité par la présentation d’une carte d’identité nationale ou de tout document officiel original en tenant lieu, en cours de validité, et comportant une photographie.
La preuve de l’adresse professionnelle ou domiciliaire du représentant est fournie par la présentation de tout document de nature à l’établir. Sont également requis, d’une part, l’original, l’expédition ou la copie certifiée conforme des statuts, de l’extrait du Registre du Commerce et du Crédit mobilier, l’attestation de déclaration d’existence et/ou de tout autre acte attestant notamment de la forme juridique de la personne morale concernée et de son siège social et, d’autre part, le document justifiant son droit sur les avoirs dormants.

La loi uniforme relative au traitement des comptes dormants dans les livres des organismes financiers des États membres de l’Umoa définit la procédure à suivre. L’article 9 de ladite loi dispose que : « jusqu’à l’expiration du délai de vingt (20) ans visé à l’article 8 de la présente loi, toute personne qui estime être le titulaire ou un ayant droit des avoirs dormants transférés à la Bceao peut les réclamer en adressant une demande écrite à la Banque Centrale, avec ampliation à l’organisme dépositaire initial ».

Le délai de prescription des avoirs dormants est de trente (30) ans, à compter de la date de la dernière intervention du titulaire du compte ou de ses ayants droit (article 14). Au terme de ce délai, la Bceao transfère les avoirs dormants non réclamés au Trésor public de l’État d’implantation de l’organisme dépositaire initial, dans un délai maximum de trois mois. Ce transfert éteint tous les droits sur les avoirs concernés qui sont définitivement acquis audit Trésor public (article 15).

Une source potentielle de litiges  

La problématique des comptes dormants constitue une source potentielle de litiges qui pourraient opposer les établissements dépositaires et les titulaires des avoirs concernés, avec des effets négatifs sur la stabilité et l’intégrité du système bancaire et financier. C’est à ce titre que l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), conformément à sa mission de médiateur financier, de protecteur des services financiers, de promoteur de l’inclusion financière, accompagne régulièrement les clients et usagers (titulaires de compte et ayants droit), pour la formulation de leur réclamation et la transmission de leur requête à la Bceao en vue du recouvrement des avoirs dormants réclamés. « L’objectif de notre intervention est donc de protéger les intérêts des déposants, de renforcer leur confiance vis-à-vis des établissements bancaires et financiers, de réduire les risques de contentieux entre les institutions financières et les titulaires des avoirs ou leurs ayants droit et de préserver les institutions financières des fraudes et autres malversations impliquant leurs personnels, contribuant, de ce fait, à la préservation de leur réputation », explique Habib Ndao, Secrétaire exécutif de l’Oqsf.

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