Pour commercer entre nous, fabriquons nous-mêmes !

De nombreuses menaces pèsent sur l’ouverture, la liberté et l’équité du commerce en Afrique, juge Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce. Selon qui ces menaces sont profondes, structurelles et, pour la plupart, internes au continent.

 

« Le manque de valeur ajoutée de nos produits est une menace pour le développement du commerce », explique à African Business Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC.

En effet, « 63% des exportations du continent sont encore des produits de base ce qui constitue une menace si nous ne pouvons pas les transformer en produits finis, afin que nous puissions les échanger entre nous ».

Ngozi Okonjo-Iweala souligne les obstacles auxquels se heurtent de nombreuses entreprises africaines pour accéder au financement du commerce. « Nous devons nous pencher sur le déficit de financement du commerce, qui est estimé par certains à 80 milliards de dollars, en Afrique. Ceux qui veulent faire du commerce, les PME et les grandes entreprises, n’ont pas accès au financement dont ils ont besoin. »

« Nous avons ce qu’il faut pour produire de l’hydrogène vert, nous avons ce qu’il faut pour les panneaux solaires. Nous avons déjà les ingrédients naturels pour bénéficier de cette transition verte. Mais faisons-nous suffisamment valoir le bien-fondé de l’investissement auprès du secteur privé ? »

À cela s’ajoutent les chocs mondiaux, qui ont entraîné des « reculs très importants » dans la sécurité alimentaire de l’Afrique. « Trente-cinq pays africains importent des denrées alimentaires ou des engrais de la région de la mer Noire. La guerre en Ukraine a rendu cela très difficile. »

La pénurie d’engrais a également un impact négatif sur la productivité et le rendement des cultures l’année suivante, ce qui menace la sécurité alimentaire de millions d’Africains.

Le rôle de l’OMC est essentiel, car une calorie sur cinq consommée dans le monde fait l’objet d’échanges commerciaux, explique Ngozi Okonjo-Iweala. L’OMC a également convenu avec le Programme alimentaire mondial (PAM) de veiller à ce que les achats humanitaires de l’organisme des Nations unies ne fassent l’objet d’aucune restriction dans quelque pays que ce soit. Le PAM devrait être autorisé à acheter des fournitures humanitaires pour tout membre de l’OMC sans restriction, afin de pouvoir nourrir les quelque 350 millions de personnes dans le monde qui souffrent d’insécurité alimentaire. Environ 140 millions d’entre elles vivent en Afrique.

 

Nous pouvons produire notre nourriture

Le PAM des Nations unies classe 25 pays dans la catégorie des « points chauds de la faim », qui ont un besoin urgent de nourriture, et seize d’entre eux se trouvent en Afrique. L’OMC facilite un commerce « ouvert, libre et équitable » pour garantir l’accès de ces pays à la nourriture, insiste Ngozi Okonjo-Iweala.

« Enfin, c’est par le biais du commerce que nous pouvons faire circuler certains des intrants et des extrants qui permettent de produire des denrées alimentaires », ajoute-t-elle. « Là encore, cela signifie que le système commercial multilatéral étayé par l’OMC doit fonctionner et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il en soit ainsi. »

Pour atténuer l’insécurité alimentaire de millions de personnes à long terme, l’Afrique doit cultiver davantage de produits alimentaires, affirme la directrice de l’organisation basée à Genève. « Nous n’avons absolument aucune excuse, car l’Afrique possède 65 % des terres arables cultivées dans le monde. Nous pouvons non seulement nous nourrir nous-mêmes, mais aussi nourrir les autres, et nous devons donc nous mobiliser pour produire davantage chez nous. »

Le taux moyen d’application d’engrais en Afrique est de 22 kilogrammes par hectare, alors qu’il est sept fois plus élevé dans le monde (146 kilogrammes par hectare), ce qui signifie que le continent est en retard sur le reste du monde en ce qui concerne la valeur nutritionnelle de ses engrais. « Nous sommes très, très en retard en termes d’utilisation d’engrais de toutes sortes, ce qui a un impact important sur la productivité et la production. Si nous voulons produire plus de nourriture, nous devons nous pencher sur cette question et sur l’utilisation de nos terres », insiste Ngozi Okonjo-Iweala.

Et pourtant, « Il n’y a aucune raison pour que nous importions 100 millions de tonnes de nourriture. C’est ce que l’Afrique importe chaque année, pour une valeur d’environ 85 milliards d’euros. Et pourquoi dépensons-nous tout cet argent alors que nous pourrions produire notre propre nourriture ? »

 

Faire fonctionner la ZLECAf

L’Afrique produit environ 30 millions de tonnes d’engrais par an, mais la majeure partie est exportée et le continent importe ensuite 90 % des engrais qu’il utilise. Il est souvent moins cher pour un pays africain d’importer un produit de l’étranger, de Chine ou d’Europe par exemple, que d’un autre pays africain, en raison des obstacles au commerce du continent qui le rendent très onéreux. « Nous devons remédier à cette situation, de sorte que si les gens produisent de l’engrais sur le continent, nous ne l’exportons pas, nous l’utilisons sur le continent », martèle la patronne de l’OMC.

Le développement de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) devrait galvaniser le commerce sur le continent. Sur plusieurs décennies, la Zone devrait renforcer l’intégration économique de l’Afrique.

À la question de savoir si le libre-échange changera la donne ou si les gouvernements en attendent trop, Ngozi Okonjo-Iweala répond : «  La ZLECAf est essentielle. C’est l’un des instruments clés pour réaliser l’agenda de l’Afrique, l’Agenda 2060, si elle fonctionne, elle sera vraiment transformatrice pour le continent. » Aussi, juge-t-elle, on n’attendra jamais trop de cette initiative panafricaine : « Si nous commençons à avoir des attentes très faibles, elle ne tiendra pas ses promesses. Pour qu’il soit une réussite, il faut que le libre-échange soit plus qu’un simple accord : il doit permettre aux pays africains d’ajouter de la valeur à leurs produits et de commercer facilement entre eux. »

Le commerce intra-africain représente environ 18 % des échanges. « Il n’y a aucune raison pour que cette part ne double pas au cours de la prochaine décennie ou des deux prochaines décennies, si nous résolvons certains des problèmes structurels dont nous avons parlé, en améliorant la facilitation des échanges. »

Bien qu’ils soient riches en ressources, de nombreux pays africains n’ont pas profité de la flambée des prix des produits de base qui a commencé au début des années 2000. Le continent possède la plupart des minéraux et des métaux précieux nécessaires pour alimenter une économie mondiale verte, tels que le lithium, le cuivre et le cobalt. Pourtant, jusqu’à présent, c’est l’Afrique qui a reçu le moins d’investissements dans les projets d’énergie verte, la plupart étant destinés à l’Europe, à la Chine et aux États-Unis.

Que peuvent faire les pays africains pour ne pas passer à côté cette fois-ci ? « C’est le moment pour nous de nous assurer que nous faisons partie des chaînes d’approvisionnement de ces nouveaux produits. Nous disposons des minerais recherchés, dont beaucoup se trouvent sur le continent. Je pense que les Africains doivent concrètement, cette fois-ci, et de manière concertée, plaider en faveur de leur participation à la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques que tout le monde s’efforce de fabriquer. »

 

L’avenir du commerce est vert

Toutefois, il ne s’agit pas seulement de traiter des minerais à extraire et envoyer à l’étranger pour qu’ils soient traités. Pour faire partie de cette chaîne d’approvisionnement, « nous devrions insister sur les accords qui traitent ces minerais afin de créer des emplois et de nous permettre d’ajouter plus de valeur à la chaîne d’approvisionnement des véhicules électriques. Nos dirigeants doivent donc conclure ces accords et se rendre en Europe ».

L’Europe est une priorité pour Ngozi Okonjo-Iweala qui, à la mi-mars, a rencontré à Bruxelles des responsables tels que le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, et le président du Conseil de l’UE, Charles Michel, afin de faire valoir le rôle crucial de l’Afrique dans la chaîne d’approvisionnement de l’économie verte.

Le changement climatique et une transition juste qui tient compte du coût du carbone dans les transports auront un impact sur les chaînes d’approvisionnement et le commerce sur le continent. L’Afrique devra se positionner pour tirer parti de ces changements. « Je dis souvent que l’avenir du commerce est vert », explique la patronne de l’OMC. « Nous devons accepter que le commerce fasse partie de la solution au changement climatique au niveau mondial et sur le continent. L’Afrique est très bien placée pour certains des nouveaux types d’énergie verte dont nous avons besoin », comme en témoignent les milliards de dollars d’investissement dans l’hydrogène vert, en Namibie.

Selon elle, le continent a ce qu’il faut pour tirer parti de ces changements. « La question est de savoir si nous nous organisons pour être perçus comme un endroit accueillant où ces investissements peuvent arriver. Cela ne va pas nous tomber dessus. », déclare Ngozi Okonjo-Iweala. « Nous avons ce qu’il faut pour produire de l’hydrogène vert, nous avons ce qu’il faut pour les panneaux solaires. Nous avons déjà les ingrédients naturels pour bénéficier de cette transition verte. Mais faisons-nous suffisamment valoir le bien-fondé de l’investissement auprès du secteur privé ? Pour qu’il nous considère comme un lieu potentiel d’investissement dans ces domaines ? Je ne suis pas sûre que ce soit le cas. »

La directrice de l’OMC exhorte les gouvernements africains et le secteur privé à intensifier leurs efforts pour trouver des partenariats afin que le continent soit le meilleur endroit pour investir. « Nos gouvernements doivent agir pour que nous puissions tirer parti de la situation, car j’ai constaté que les investissements se déplaçaient ailleurs. »

Et pourtant, de nombreux minéraux n’ont pas encore été découverts en Afrique et que le continent pourrait jouer un rôle encore plus important que prévu dans la transition vers une économie mondiale durable. Les pays africains devraient faire valoir ce point de vue lorsqu’ils tentent de tirer parti de la transition verte.

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