Alors qu’il vient à peine d’inaugurer son usine d’engrais au Nigeria, le groupe Dangote prévoit l’extension de ses capacités de production, afin de répondre à la demande mondiale. Le contexte international et la flambée des prix qui en résulte favorisent cette stratégie, comme dans le pétrole.
Quel meilleur moment pour lancer une usine d’engrais que lorsque les prix mondiaux atteignent des sommets ? C’est exactement ce qu’a réalisé Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique.
L’usine d’engrais de son groupe, d’une valeur de 2,5 milliards de dollars, a démarré sa production au printemps à Lagos, la capitale économique du Nigeria. La capacité de 3 millions de tonnes par an permettra de répondre à la demande locale de 1,5 million de tonnes et de dégager un important excédent pour l’exportation. Produisant à la fois des engrais à base d’urée et d’ammoniac, cette usine est la troisième plus grande usine d’engrais au monde et le deuxième plus grand producteur d’engrais à base d’urée.
Les prix mondiaux des engrais sont en hausse depuis 2020. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a fait qu’amplifier la tendance, en entraînant une flambée des prix du gaz naturel, principale matière première des fabricants d’engrais à base d’ammoniac et d’urée.
On le sait, les deux pays belligérants étant d’importants producteurs et exportateurs de céréales, les marchés alimentaires mondiaux ont été durement touchés. En conséquence, les produits alimentaires de base connaissent leur plus forte hausse de prix depuis 2008. La demande d’engrais a bondi dans d’autres pays producteurs qui cherchent à accroître leur production céréalière pour combler le déficit de l’offre mondiale.
« Les marchés sont soumis à une pression énorme, certains prix des produits de base ayant atteint des sommets historiques en termes nominaux », constate John Baffes, économiste principal à la Banque mondiale. « La forte hausse des prix des intrants, comme l’énergie et les engrais, pourrait entraîner une réduction de la production alimentaire, en particulier dans les économies en développement. »
Alors que les cibles d’exportation initiales de Dangote étaient principalement l’Afrique – l’usine a l’objectif de rendre le continent autosuffisant en matière de production alimentaire –, les réalités actuelles du marché signifient qu’une demande croissante pourrait naître en dehors du continent. Déjà, des commandes ont été passées depuis les États-Unis, le Brésil, le Mexique, l’Inde et l’Union européenne.
« Le marché de l’exportation est un marché de vendeurs », s’est réjoui Aliko Dangote lors du lancement de l’usine. « Les gens nous supplient de leur vendre, et nous sommes très exigeants quant au choix de nos clients. »
La construction de l’usine d’engrais, qui s’étend sur un terrain de 500 hectares dans la zone franche de Lekki, à Lagos, a commencé en 2014. Il s’agissait d’un projet jumelé avec la raffinerie de pétrole brut de Dangote, qui devrait entrer en production au troisième trimestre de cette année après des retards répétés.
Sur ce point, Dangote Industries Limited a clôturé, mi-juillet sur le marché financier nigérian, un emprunt obligataire de 187,6 milliards de nairas soit 444,6 millions de d’euros. Cette opération s’inscrit dans le cadre du programme d’émission de titres de créances lancé le 30 juin, destiné à financer la raffinerie de pétrole. Destinée à être l’une des plus grandes raffineries du monde, elle pourrait produire jusqu’à 50 000 barils par jour, à horizon 2026, selon les estimations du FMI.
Une stratégie de domination des marchés
Une fois opérationnelle, l’usine – qui appartient à 20 % à la Nigerian National Petroleum Corporation – devrait permettre de réduire radicalement les 9,6 milliards de dollars que le Nigeria dépense annuellement en subventions pour l’essence.
Revenons à l’usine d’engrais : le groupe Dangote a prévu de l’étendre en fonction des besoins du Nigeria, qui, selon les estimations de la société, devraient atteindre 5 à 7 millions de tonnes par an, à terme. Sa capacité dépasse déjà celle de tous les producteurs d’engrais existants dans le pays. Il s’agit notamment de l’usine Eleme Fertilizer and Chemicals Co d’Indorama, d’une capacité de 1,4 million de tonnes par an, située près de Port Harcourt, la capitale sud de l’industrie pétrolière, et de l’usine Notore Chemical Industries, d’une capacité de 800 000 tonnes par an, dans la zone franche d’Onne, à l’extérieur de la même ville.
L’investissement de Dangote dans la production d’engrais est en accord avec sa stratégie de domination des secteurs cruciaux de l’économie qui fournissent les besoins de base. Son ciment est le plus grand producteur de matériaux de construction en Afrique, tandis que la raffinerie de sucre, d’une capacité de 1,44 million de tonnes par an, est un leader dans l’industrie alimentaire, fournissant à la fois les utilisateurs industriels et domestiques.
Un enjeu économique majeur pour le Nigeria
Le groupe Dangote est également actif dans la production automobile, le raffinage du sel, la fabrication d’assaisonnements alimentaires et le commerce du riz et du blé. Ses relations avec les gouvernements successifs montrent également que les autorités sont conscientes de l’importance croissante du groupe en tant que partenaire pour atteindre leurs propres objectifs économiques.
Le président Muhammadu Buhari était présent à l’inauguration officielle de l’usine d’engrais, ainsi que 18 des 36 gouverneurs des États du Nigeria, le gouverneur de la banque centrale et plusieurs ministres. Leur présence souligne l’importance que les hauts responsables des différents niveaux de gouvernement attachent désormais aux projets commerciaux du milliardaire. Le président Buhari considère que l’usine créerait des emplois et réduirait la pauvreté. « Dans le secteur agricole, un autre point central de notre politique économique, nous nous attendons à un boom car le fertilisant est désormais facilement disponible », a déclaré Muhammadu Buhari. « Nous nous attendons à une montée en puissance d’une nouvelle race d’agripreneurs qui ajouteront de la valeur à l’agriculture et rendront la nation autosuffisante en matière de production alimentaire. »
L’entreprise a également présenté un plan qui va au-delà de la simple fabrication et propose des services de vulgarisation aux agriculteurs, notamment des analyses de sol pour déterminer le meilleur mélange d’intrants et leur application la plus efficace. Le plan prévoit de travailler avec les associations d’agriculteurs, les entreprises, les agences de développement, les gouvernements fédéraux, régionaux et locaux.
Certains critiques craignent que l’influence du groupe Dangote dans des secteurs clés de l’économie n’étouffe la concurrence future. Cheta Nwanze, analyste principal de recherche chez SBM Intelligence, société de conseil aux entreprises basée à Lagos, affirme que les politiques macroéconomiques du gouvernement favorisent le groupe mais ne se traduisent pas « par des avantages rentables pour le reste de la nation ».
Alors que les positions fortes et les bénéfices constants du conglomérat Dangote proviennent d’investissements dans la production, lui donnant le pouvoir de déterminer les prix, les critiques ont accusé l’entreprise d’utiliser son influence pour obtenir un statut fiscal favorable du gouvernement.
Aliko Dangote lui-même essaye d’être en excellents termes avec les gouvernements successifs, se présentant comme un allié, plutôt qu’une menace pour leurs politiques et leurs programmes. Grâce à un timing international opportun, sa dernière entreprise semble s’aligner sur les ambitions d’exportation du gouvernement et lui donner un rôle clé dans une autre industrie qui sera cruciale pour l’avenir du Nigeria.
Aliko Dangote visite le chantier de sa future raffinerie de pétrole.
Le Magazine de l’Afrique