Ibrahima Amadou Sarr, Président de la CRSE « Il y a une répartition des compétences assez claire entre l’Etat et l’organe de régulation »

En marge d’un atelier organisé par la Commission de régulation du secteur de l’énergie (CRSE), au profit des organisations de défense des consommateurs, Ibrahima Amadou Sarr, Président de ladite Commission a accordé un entretien à Challenges Economiques. Il explique entre autres dans cette interview, les changements avec le nouveau visage de la CRSE, les relations de la Commission avec l’Etat et les consommateurs et  aborde aussi la question des compensations.

Des changements vont intervenir dans le secteur de l’énergie. Pouvez-vous revenir sur le nouveau visage de la Crse ?

À la suite de la lettre de politique sectorielle en vigueur et de la signature du Second compact du Millenium challenge account, signé entre le gouvernement du Sénégal et celui des États Unis, d’importantes réformes sont en cours et ont déjà commencé à porter leurs fruits. Nous avons noté en juillet 2021 déjà la transformation de la Commission de régulation du secteur de l’électricité en Commission de régulation du secteur de l’énergie. Cela répond de la part du gouvernement d’un souci de rationalisation des structures. En lieu et place de créer un autre organe de régulation destiné aux hydrocarbures, le gouvernement a décidé de créer  un organe unique qui sera multisectoriel qui va s’occuper de l’énergie en général. Ce qui se traduit par une transformation structurelle au niveau de la Crse où on va passer carrément à un conseil de régulation lequel  aura sept membres. Deuxièmement il va y avoir un secrétaire exécutif, ainsi qu’une troisième structure qui va s’appeler le comité de règlement des différends. En raison de l’étendue des missions de la commission, elle sera composée de sept membres. En terme d’attributions également, elles ont été étendues au secteur aval des hydrocarbures et au secteur middle et intermédiaire gazier. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le nouveau visage de la commission de régulation c’est toute la chaîne énergie plus un renforcement de ses attributions en matière d’octroi des titres, de sanctions, d’instruction des plaintes des consommateurs et des opérateurs

Les prérogatives de la Crse sont élargies. Maintenant est ce que les moyens pour accomplir les différentes missions sont à disposition ?

Les autorités sont parfaitement conscientes que ça ne sert à rien d’avoir un organe de régulation de cette nature et ne pas ne lui donner les moyens d’exercer convenablement ses missions. Je sais qu’il y a un engagement ferme de la part du chef de l’Etat de donner à cet organe tous les moyens pour assumer convenablement ses missions. Des dispositions particulières ont visé déjà l’autonomie financière au point qu’aujourd’hui, ce qui se faisait dans le secteur de l’électricité où quelques fois, nous avions des difficultés à recouvrer nos redevances. Aujourd’hui le pouvoir de recouvrement a été renforcé. Les redevances sont aujourd’hui considérées comme des créances d’Etat et sont susceptibles de faire l’objet d’exécution forcée de la part des opérateurs qui auraient des réticences à s’en acquitter. Il s’y ajoute la collecte d’autres redevances dans le secteur des hydrocarbures afin d’avoir un budget permettant à l’organe de jouer convenablement son rôle

Quels rapports entretenez-vous avec l’Etat, les consommateurs et les opérateurs ?

Les rapports sont suffisamment clairs compte tenu de l’organisation classique d’un État. Mais dans la pratique, il y a un soi disant espèce de rivalité entre l’organe de régulation et l’autorité politique. Car en réalité, les gens partent sur la base que c’est l’organe politique qui est élu et qui a la légitimité de prendre certaines décisions qui engagent la nation et les populations. Et la vocation de l’organe de régulation dès fois est de prendre des décisions de cette nature. Ce qui fait que dans la mise en œuvre, il peut parfois y avoir des difficultés. Mais si nous nous en tenons au principe classique d’un État, la Commission de régulation du secteur de l’Energie est un organe de l’Etat à l’image des autres institutions de la République. De ce point de vue, il y a des matières pour lesquelles, c’est l’Etat qui renonce à prendre des décisions à donner son envie, en laissant à l’organe de régulation la latitude d’arrêter des décisions qui vont s’imposer à l’Etat lui-même..

Sur la fixation des tarifs, ils sont aujourd’hui déterminés et fixés par la commission de régulation. Si vous regardez dans toute la sous-région, pratiquement il n’y a qu’au Sénégal où on voit qu’il y’a une régulation parce que la détermination des tarifs est laissée au soin des régulateurs par le gouvernement. Dans tous les autres pays, c’est soit le ministère, la commission ne donne qu’un seul avis. Mais le type de relation peut être plus ou moins limpide ou heurtée en fonction de la mise en œuvre. Mais du point de vue des textes, il est à peu près clair aujourd’hui qu’il y’a une répartition des compétences assez claire entre l’Etat et l’organe de régulation.

Il faudra quand même une volonté politique forte pour aboutir aux résultats escomptés

Oui, ça j’en suis convaincu parce que c’est l’Etat qui fixe les règles et qui définit les normes. C’est à l’Etat en premier lieu d’appliquer ces normes-là. Donc les domaines dans lesquels l’Etat considère que ça appartient à l’autorité de régulation, il n’a pas à y interférer. Le régulateur aussi doit se rendre compte que moi je suis un organe de l’Etat, je travaille pour l’Etat mais dans le cadre du respect de la politique sectorielle. Et à partir de ce moment aussi, tout ce qui appartient à l’Etat, moi je n’interviens pas. Si on me demande de donner un simple avis, je m’en limite à ça parce que c’est ce que stipule le texte. Si on me demande maintenant de donner un avis conforme, je le fais. Et dans ce cas, le gouvernement est obligé de suivre l’avis que j’ai donné. Il faut que chaque partie applique les règles suivant ce qui est en vigueur. C’est ça qui est primordial. Mais je crois que, quand même du point de vue de la régulation en tout cas ce qui concerne le secteur de l’énergie, depuis la création de la commission, les autorités nous ont toujours manifesté beaucoup de respect, beaucoup de considération qui font que aujourd’hui non seulement dans le classement qui est fait annuellement par la Banque africaine de développement, avec l’indice de réglementation, le Sénégal figure parmi les trois du peloton de tête en matière de régulation dans la zone francophone y compris en tenant même compte des pays développés.

Qu’est-ce que ces changements vont apporter concrètement dans la prise en charge des préoccupations des populations ?

Je pense que les principaux bénéficiaires du service public de la régulation, ce sont les consommateurs. Parce que tout ce que nous faisons, c’est pour le compte des consommateurs. Que ce soit en matière de prix, ou en matière de qualité de service. Et la nouvelle situation, c’est comme si on avait un nouveau souffle, un nouveau départ. La réunion de ce matin l’a montré. Les associations de consommateurs pouvaient choisir la voix de la dénonciation. Mais visiblement, de plus en plus, elles prennent acte et vont aujourd’hui dans le sens de la contribution. Cela veut dire qu’ils sont aujourd’hui coauteurs des décisions qui sont en train d’être prises dans le secteur de l’énergie électrique. Voilà des types de transformation positives qui, si on ne rompt pas la dynamique, vont ouvrir des perspectives beaucoup plus heureuses pour l’ensemble du secteur de l’énergie en général. Vous l’avez vu, la nouvelle loi a institué au comité consultatif des régulateurs qui vont accompagner l’autorité de régulation non seulement dans la prise de décision mais aussi dans la prise en charge de l’ensemble des problématiques qui se posent au niveau du secteur de l’énergie électrique en général.

L’harmonisation tarifaire est depuis quelques années une réalité dans le monde rural. Maintenant quelles sont les perspectives avec la Crse notamment en matière de paiement des factures à l’opérateur public?

Les perspectives avec la Crse aujourd’hui, c’est que régulièrement, chaque mois, nous calculons les écarts de revenus. Parce que quand l’Etat dit que j’harmonise les prix pour que chaque citoyen, quelque soit l’endroit où il se trouve puisse payer la même chose. Alors que les conditions d’exploitation diffèrent, les tarifs d’une concession à une autre diffèrent. Donc dans ces conditions, il y’a toujours des écarts de revenu parce que l’Etat a fixé comme tarif de base le tarif première tranche de Senelec. Ce qui veut dire donc que l’Etat est amené à combler une partie de la facture des usagers qui étaient au-dessus de la première tranche de la Senelec. Et que régulièrement nous calculons les écarts de revenu et prenons des décisions pour que l’Etat puisse compenser derrière. Maintenant ça c’est dans une phase transitoire mais l’organisation la plus achevée c’est dans les prochaines années où désormais, que ce soit en termes de système de comptage ou en termes de système d’exploitation, les concessionnaires d’électrification rurale vont s’aligner et faire les mêmes pratiques que la Senelec pour que le service public de l’électricité soit uniforme sur l’ensemble du territoire national. Maintenant ce qui se pose, c’est la problématique du financement de la compensation. Est-ce que le système dans lequel nous sommes aujourd’hui est viable. Parce qu’il arrive souvent que l’Etat ait des arriérés de payement que ce soit au niveau de la compensation de la Senelec ou au niveau de la compensation des concessionnaires de l’électrification rurale. Ce qui donc doit nous pousser à ouvrir la réflexion pour dire est ce qu’il n’est pas  temps  d’imaginer un système où c’est le système lui-même qui va générer ce qui devrait permettre une sorte de péréquation, une sorte de mutualisation des effets qui devrait permettre un peu, sachant que la compensation à long terme ne serait pas viable. Bien qu’il y’a quand même des perspectives avec aujourd’hui la conversion de beaucoup de centrales de Senelec au gaz, avec la diversification du mix-énergétique, on peut s’attendre à un impact positif sur les conditions d’exploitation pour amoindrir les coûts et par conséquent les prix. Mais en attendant d’aller là-bas, est-ce qu’aujourd’hui le temps n’est pas venu d’affronter le problème frontalement pour voir les gens qui sont dans le système et qui sont capables de faire des efforts. Imaginez aujourd’hui, même si on ajoutait 10 francs sur le prix du kWh payé à la Senelec, cela permettrait de prendre en charge pratiquement deux ans de compensation dans le monde rural. Est-ce que nous les habitants sommes prêts à faire ce genre de sacrifice. C’est un peu la problématique qui est posée aujourd’hui et ces discussions là sont souvent différées en fonction d’un certain nombre d’agendas qui font que certaines questions ne sont pas approchées de manière frontale. Mais je crois qu’il est  temps d’imaginer à l’intérieur du système des voies et moyens pour parvenir à ce que le système lui-même puisse générer les ressources nécessaires pour faire face à ces besoins qui correspondent aujourd’hui à des nécessités absolues.

Cet élan de solidarité passe forcément par le dialogue. Avez-vous enclenché le débat avec les associations de consommateurs ?

Oui c’est ce que je dis souvent. Nous sommes souvent poussés par les agendas qui font que les gens ne réagissent que dans l’immédiateté. Mais je pense qu’il est temps de faire cette réflexion pour se demander est-ce que l’Etat peut continuer aujourd’hui à verser annuellement à la Senelec des compensations de revenu de l’ordre de 121 milliards par an. En moyenne presque 600 millions par mois pour compenser les écarts de revenu que ce soit pour la Senelec ou pour les concessionnaires d’électrification rurale. Ce n’est pas viable à long terme. Alors qu’en toute simplicité, si on ajoutait 5 à 10 francs sur le prix du kilowatt heure, ça permettrait de régler pas mal de problèmes. Mais, on sait mieux que moi comment le système fonctionne, comment le système fonctionne. En tout cas c’est des sujets qui méritent réflexion, qui méritent aussi beaucoup de courage. Que ce soit de la part de l’Etat, mais aussi de la part de nous mêmes en tant que citoyens tout simplement. Parce qu’aujourd’hui, c’est une aberration que 40 ou 50 ans après l’indépendance, qu’il y’ait des points dans le pays où ils n’ont jamais eu d’électricité. Alors que nous, dans les zones urbaines, s’il y’a une coupure de 5 minutes, on met le feu. Voilà le genre de problème qui interpelle l’Etat et qui nous interpelle nous en tant que simples citoyens.