SYNERGIE ENTRE FINANCE ET ASSURANCE Par la Bancassurance et l’Assurbanque

Dans cette tribune, Abdou Cissé, CEO de Cisco Consulting, apporte des éclairages sur les concepts “Bancassurance” et “Assurbanque” et surtout leur différence avec le partenariat entre banque et assurance, en ouvrant des pistes de synergies entre la finance et l’assurance africaines. 

En Afrique subsaharienne francophone, les partenariats existants entre établissements financiers (banques, systèmes financiers décentralisés) et établissements d’assurances (compagnies, mutuelles et micro-assurances) ne contribuent pas à l’essor de nos marchés. Lorsqu’une banque commercialise via son réseau des produits d’assurance conçus, fabriqués et gérés par une  compagnie d’assurance, nous assistons exactement à un PARTENARIAT entre une banque et une compagnie d’assurance. De tels partenariats s’intitulent Bancassurance (par abus de langage) sur le marché de la zone CIMA et posent d’énormes problèmes aux usagers de la banque. En effet, après avoir longtemps pratiqué clandestinement l’auto-assurance dans le domaine des crédits emprunteurs, certains établissements financiers, ont été contraints par le régulateur à respecter le métier des assureurs. Au niveau de leur partenariat sur le marché sénégalais, certaines banques imposent aux assureurs la fixation de 90% de la prime commerciale (taux de prime pure associée aux risques et taux de commission d’apporteur d’affaires que les assureurs doivent leur reverser, qui peut aller au-delà de 22%) ; d’autres contraignent les assureurs à des dépôts à terme en contrepartie d’apport d’affaires, avec des conventions de commissionnement sur participation aux bénéfices des contrats emprunteurs. Certains assureurs acceptent les conditions fixées par les banques et les demandeurs de crédit, payeurs de la prime commerciale, se trouvent complètement  lésés.

Lors des Etats généraux des assurances en 2018 à Abidjan, l’autorité de contrôle des assurances (CIMA) avait bien reconnu l’échec du modèle de micro-assurance mise en place dix ans avant. De même, les autorités de contrôle du secteur financier constatent que les systèmes décentralisés, attendus en partie pour élargir la bancarisation vers le secteur informel, ont finalement donnés naissance à une plateforme financière dépourvue de modèle conforme aux réalités africaines (à l’instar des microfinances qui restent dans la transformation classique, consistant à empruntent sur le marché à des taux d’intérêt très élevés pour financer l’activité informel à des taux hors normes).

Ainsi, les concepts de microfinance et micro assurance ne répondent pas aux attentes des acteurs économiques de l’Afrique francophone, car leurs pratiques ont divergé vers une forme de finance et assurance pour l’informel, voire même pour les plus démunis.

Des solutions sont possibles en allant au-delà du cadre de partenariats entre banque et assurance pour  évoluer vers de réelles plateformes de Bancassurance et Assurbanque avec une coordination des autorités de contrôle des assurances et de la finance ; ceci permettra de  libéraliser le marché pour autoriser aux demandeurs de crédit la souscription de contrat décès dans une compagnie de son choix.

 

1) BANCASSURANCE ET ASSURBANQUE : Historique et Actuariat

Nous avons l’habitude d’importer des concepts comme des étiquettes, pour dupliquer la science occidentale, sans faire l’effort de comprendre les origines réelles de ces concepts et surtout sans se poser la question de savoir comment les adapter à nos réalités africaines. Mon frère congolais disant, que nous baignons dans des sentiments de frustration, voire même de complexe, en cherchant souvent à récupérer une forme de modernité dont nous pensons manquer. Un exemple typique est celui du concept de la BANCASSURANCE, qui se conçoit et s’interprète de diverses manières, de Douala à Dakar, d’Abidjan à Cotonou en passant par Bamako et Libreville, bref, à travers toute l’Afrique francophone.

Les enfants du pays de la langue de Molière ont le droit de chanter ‘cocorico’ car le modèle français de Bancassurance a été une référence pour les autres modèles qui se sont développés en Occident. Son exportation spécifique aux produits  d’assurance vie a connu un grand succès en Europe du Sud alors que les pays anglo-saxons et ceux de l’Europe du Nord ont été un peu plus réfractaires. Ce modèle

s’est même exporté en Chine par le biais de la caisse nationale de prévoyance (CNP assurance qui peut être présentée comme la Bancassurance de la Caisse des Dépôts et Consignations en participation). Dans les autres parties de l’Amérique et de l’Asie, ce modèle a eu un faible développement, suite à des barrières réglementaires (Glace Steagll Act aux Etats Unis).

Après la deuxième guerre mondiale, les métiers de banque et d’assurance se sont développés séparément. Du côté des anglo-saxons il y a eu des holdings qui ont contrôlé à la fois une banque et une compagnie d’assurance ; mais les synergies entre les deux métiers ont connues une exploitation fructueuse en Europe continentale, avec l’avènement de la mensualisation des salaires pour les banques et la démocratisation de l’accès à l’automobile pour les compagnies d’assurance.

Au début des années 1970, les banques françaises se sont alarmées de voir les assureurs commercialiser des contrats d’épargne sans risque technique, et capter ainsi une part de marché croissante dans la collecte de l’épargne (*). Confrontées à la concurrence des produits bancaires purement financiers, les compagnies d’assurance françaises avaient commencé à commercialiser des contrats à capital différé avec contre-assurance décès des provisions mathématiques (contrat d’épargne). La commercialisation de tels produits par les assureurs avait démarré à la demande d’association comme l’AFER (l’agence française pour l’épargne et la retraite) ; le premier produit d’épargne en assurance vie que j’ai connu à mes débuts de pratique de l’actuariat s’appelait le compte AFER. La contre-assurance décès des provisions mathématiques élimine le risque viager de tel contrat d’assurance vie et fournit une similitude aux contrats purement financiers du type Plan Epargne Populaire (PEP) ou d’autres contrats d’épargne longue commercialisés d’habitude par les banques. En effet, comme le calcul des primes et des engagements n’intègre pas les facteurs viagers, alors la prestation garantie par l’assureur au terme ou avant le terme du contrat, reste identique, en cas de vie ou de décès de l’assuré ; ce qui permet de présenter ce produit d’assurance vie par des formules purement financières, avec des exemples comme les contrats en unités monétaire (franc) ou encore les contrats en unités de compte (poche franc).

Seulement, les contrats d’épargne en assurance vie se distinguent des contrats d’épargne classique bancaire par leurs spécificités, à travers la participation aux bénéficies techniques et financiers, la nuance entre le souscripteur et l’assuré (contrat emprunteur), le taux garanti qui peut être fixe, et surtout les avantages autour de la fiscalité de l’assurance vie.  La flambée de tel type de contrat d’assurance vie a constitué une forme d’arme fatale pour l’Etat Français tant pour se financer sur le moyen et long terme que pour taxer les revenus de l’épargne.

Cette plainte des banques contre les assureurs est allé jusqu’à la cour de cassation et la justice n’a toujours pas pu empêcher les assureurs de commercialiser de tels produits. Il faut reconnaitre qu’après les accords de Breton Woods, les banques avaient commencé à orienter une partie de leur business vers le secteur de la bourse et que l’Etat français trouvait aussi plus d’opportunité à voir les assureurs sur ce terrain de l’épargne (dans sa recherche de financement long terme).

Les banques françaises ne pouvaient pas rester sans riposte face à la compétition imposée par les assureurs qui commercialisaient des produits bancaires ; elles se sont carrément dotées de compagnies d’assurance captives, appelées communément BANCASSURANCES. Le terme Bancassurance  garde un sens comme association de banque d’abord et d’assurance ensuite, d’où l’écriture concaténée des deux métiers ; il est nécessaire ainsi de bien percevoir que la Bancassurance a été à l’initiative des banques, confrontées à une pression des compagnies d’assurance, au-delà même d’une pression atmosphérique. En contre-offensive, les assureurs  ont créé leurs banques (ASSURBANQUES) comme Axa Banque, ou Groupama Banque, avec un succès très mitigé.

Pour mieux profiter des opportunités de ces concepts  de BANCASSURANCE et d’ASSURBANQUE, il est nécessaire de les définir correctement dans le respect de leur originalité :

Nous devrions parler de Bancassurance lorsque qu’une banque (ou une entité financière) crée ou absorbe une compagnie d’assurance (ou en détient une participation) ; cette compagnie

  • d’assurance conçoit, fabrique et effectue la gestion des produits d’assurance que la banque distribue à ses usagers (son propre réseau) ; le chiffre d’affaires d’une Bancassurance est partie intégrante de celle de la banque en question ; le Comité Actif-Passif de la Bancassurance est partie intégrante du comité de bilan de la banque ; les deux entités restent juridiquement séparées mais consolidées au sein d’un groupe. Dans le contexte français, le modèle de Bancassurance est beaucoup plus rentable en assurance vie qu’en assurance de dommages ;
  • Nous devrions parler d’Assurbanque (ou Assurfinance) lorsqu’une compagnie d’assurance crée ou absorbe une banque ou une entité financière (ou en détient une participation) avec des objectifs stratégiques d’accompagnement de la compagnie (vulgarisation de l’assurance, maintien de ses clients assurés jusqu’au terme par des contrats financiers, etc.) ; le chiffre d’affaires de l’Assurbanque est partie intégrante de celle de la compagnie d’assurance ; le comité de bilan de l’Assurbanque est partie intégrante du comité Actif-Passif de la compagnie d’assurance ; les deux entités restent juridiquement séparées mais consolidées au sein d’un groupe ;

Avec la création de leur pôle bancaire, les compagnies SUNU et NSIA se sont transformées en  des Assurbanques, après avoir tiré toutes les leçons de leurs partenariats avec les banques de la place. Il faut cependant reconnaître qu’en dehors de leur réelle vocation au sein de leur groupe, les Bancassurances ou les Assurbanques peuvent aussi développer des  partenariats avec d’autres entités.

 

2) ORIENTATIONS VERS DES SYNERGIES ENTRE FINANCE ET ASSURANCE

 

La Finance sans Assurance est une des raisons de la crise financière internationale de 2008. L’Assurance sans la Finance contribue encore au faible développement de nos marchés africains, car nous n’arrivons pas à bâtir un système financier capable d’accompagner les évolutions de l’économique réelle. De réelles synergies entre la finance et l’assurance via Bancassurance ou Assurbanque, doivent rester dans l’esprit d’élargir l’accès de tous les acteurs économiques au système financier en distribuant des produits conçus, fabriqués et gérés au sein d’un même groupe, avec une notion de consolidation dans le groupe, de mutualisation commerciale, de mariage de bilans d’activités de banque et d’assurance, d’optimisation conjointe de Produits Nets Bancaires avec les trois Marges d’Assurance (technique, exploitation et financière) et surtout une auto couverture du risque de taux  face à la sensibilité (souvent inverse) des deux métiers à l’évolution des taux d’intérêt.

Le respect scrupuleux de cette hiérarchie des métiers d’assurance et de finance aboutira à une Bancassurance qui va impliquer l’Assurbanque ; L’Assurbanque sera au cœur du modèle de la micro-assurance ; la micro-assurance sera à la base de la microfinance. Le mécanisme peut être décrit comme suit :

  • Par la Bancassurance, l’assurance sera au service de la finance dans un esprit de vulgarisation, d’émulation et d’assainissement de la concurrence ;
  • Par l’Assurbanque (qui a déjà démarré avec SUNU Finance et NSIA Banque) l’activité financière peut proposer des prêts à tous les acteurs économiques, à des taux très bas, par le véhicule du stock de provisions techniques générées par l’activité d’assurance ; le modèle reposera sur la capacité à équiper les emprunteurs en produits d’assurance et une technique actuarielle qui permet de suivre et de gérer le risque ;
  • Ces modèles définis ci-dessus seront dupliqués exactement dans un environnement commun à la micro assurance et la microfinance qui ne seront plus isolées, mais consolidées dans des groupes de Bancassurance et d’Assurbanque pour mieux mutualiser.

Les deux secteurs participeront activement au financement de l’économie par la double mutualisation en assurance et finance. Le développement de cette forme de Bancassurance et d’Assurbanque à l’africaine permettra d’atteindre et de formaliser toutes les couches sociales, de simplifier l’adhésion à l’assurance et la collecte efficace des primes. La poussée des contrats d’assurance vie permettra aux Etats de se financer sur le moyen et long terme et de taxer les revenus de l’épargne.

 

L’avenir de nos marchés d’assurance et de finance appellera à garder le cap d’une vision claire de développement de l’écosystème par une stratégie conforme à nos réalités africaines. Ceci nécessite, pour nous, africains, d’aller au-delà du volet commercial des Bancassurances et Assurbanques pour exploiter la forte imbrication des activités de finance et d’assurance. Il suffit de regarder en profondeur la construction complète du taux d’intérêt des opérations de crédit à travers ses composantes :

– Le taux de refinancement (argent de la banque centrale nécessaire pour réaliser les contraintes de solvabilité et de liquidité) ;

– Le taux de frais de gestion des opérations de crédit ;

– Le taux de marge pour la banque

– Le taux de couverture du décès de l’emprunteur ;

– Le taux de probabilité de défaut économique de l’emprunteur ;

– Le taux de frais de gestion des opérations d’assurance ;

– Le taux de marge pour l’assureur.

Les trois premières composantes sont fixées pour permettre de ne pas déstabiliser la valeur de la monnaie et de créer un profit pour les banques ; les deux suivantes sont liées à des opérations d’assurance qui nécessitent la mutualisation pour réaliser la loi de grands nombres en assurance décès et en assurance caution.

En somme, le banquier est censé optimiser la circulation de la monnaie centrale (par la création d’une masse monétaire judicieuse) et l’assureur contribue à la stabilité de la monnaie par le remboursement du crédit (soit la bonne destruction de la monnaie créée) au travers de la mutualisation des risques de non remboursement (décès + défaut).

L’intégration de la dimension culturelle du continent dans nos méthodes d’exercer ces deux métiers sera nécessaire car l’assurance est à la croisée d’éléments fondamentaux comme l’économie, la finance, la solidarité, la mutualisation, la prévoyance et la protection sociale. La prévoyance et la protection sociale induisent une solidarité nationale ; cette solidarité donne naissance au principe de la mutualisation qui doit être au cœur de la connexion assurance-finance pour accompagner l’économie réelle.

(*) La Bancassurance : Stratégies et Perspectives en France et en Europe (Alain B et Michel L)

Author: admin